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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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7 janvier 2024

Petites histoires racontées par K G Dürckheim et C Mettra dans "Le mot qui vient du silence" en 1983

Il fut un temps où Graf Dürckheim et Claude Mettra animaient ensemble l'émission intitulée " Le mot qui vient du silence". Claude Mettra commençait par une histoire puis posait des questions à K G Dürckheim. Voici sept extraits de l'émission de 1983, sept histoires qui sont pleines d'enseignement !

 Un message est déjà paru donnant un hommage de C. Mettra pour K G Dürckheim avec des liens vers des vidéos :Par Claude Mettra. Hommage à Graf Dürckheim écrit en avril 1989, avec un lien vers une émission de Mettra avec Dürckeim

 

Petites histoires racontées par K G Dürckheim et C Mettra

 

feuilles d'érable1) La feuille et l'arbre (dit par Claude Mettra)

Si la feuille n'a, de sa condition de feuille, qu'une représentation où elle se distingue de l'arbre, naturellement elle sera effrayée quand viendra l'automne. Elle craindra de se dessécher, de tomber et finalement de devenir poussière. Mais si elle saisit réellement qu'elle est elle-même l'arbre dans sa modalité de feuille, et que la vie et la mort annuelles de la feuille font partie de la nature de l'arbre, elle aura une autre vision de la vie. Pour la saisir au fond d'elle-même, il faut de nouveau cette conscience intime où la feuille perçoit sa nature essentielle comme la modalité du tout, modalité qu'elle vit en lui. C'est seulement dans la mesure où, dans sa condition de feuille, elle se sent elle-même arbre, qu'elle tombera sans crainte ni révolte. Avec les autres feuilles elle accomplira le naître et disparaître avec lequel l'arbre vit son destin dans un éternel « Meurs et deviens ».

 

2) Se laisser trouver (K G D)

L'exercice du zazen est un exercice qui développe les conditions grâce auxquelles on a la chance qu'on sera une fois touché par le Tout Autre, et qu'on s'en apercevra. Alors il s'agit de se laisser toucher par ce que nous sommes dans notre profondeur, il faut essayer d'effacer ce qui barre le chemin.

La chose la plus importante tout d'abord, c'est que l'homme ne devrait jamais dire « Je cherche Dieu » ou « Je cherche mon être », il devrait dire « Je dois me laisser trouver » et c'est le mouvement contraire. L'effort que nous faisons en général, même si nous voulons faire quelque chose de bien, c'est toujours une activité que nous faisons. Quand il s'agit de trouver le contact avec le divin, on doit se laisser trouver.

Et là il y a une très belle histoire. Une fois quelqu'un me raconte que toute la nuit il avait fait un rêve où il était en train d'enfoncer une porte derrière laquelle il entendait déjà la voix des anges. Il continuait toujours plus à se donner de la peine, mais n'arrivait pas. Finalement, mort de fatigue, il tourne la poignée de la porte, il tombe en arrière et s'aperçoit que la porte s'ouvre de son côté !

Cette image est très importante. En effet on peut essayer d'ouvrir la porte pour rejoindre le Tout Autre, mais en fait c'est elle qui s'ouvre vers nous et vers l'autre côté !

 

3) Le geste source d'une expérience (K G D)

Un geste n'exprime pas seulement une attitude, mais il crée cette attitude. Se mettre à genoux par exemple, c'est exprimer une certaine humilité ; mais en même temps, quand vous vous mettez vraiment à genoux, vous devenez humble à cet instant-là.

Il n'y a pas très longtemps, je me suis rendu compte pendant la méditation que mon œil avait une expression triste, et que ce geste de tristesse dans mon œil me rendait triste. Alors, d'un moment à l'autre, j'ai été capable d'ouvrir mon œil d'une façon gentille, et tout à coup le souci est parti.

C'est très intéressant de savoir que le geste n'est pas seulement l'expression, mais en même temps la source de l'expérience.

Je me souviens une fois d'une femme à laquelle je demandais à un certain moment : « Est-ce que vous savez prier Madame ? » « Prier… que voulez-vous dire ? » Vous savez, elle faisait partie de ces protestants qui sont toujours debout devant le bon Dieu. S'agenouiller, Ah Non ! Je lui dis : « Vous me demandez ce que veut dire prier. Par exemple, vous vous agenouillez devant votre sofa, vous mettez les coudes sur le sofa, vous enfoncez votre tête dans vos mains et vous vous abandonnez. Vous ne savez pas à qui vous abandonnez, mais en tout cas vous abandonnez complètement tout ce que vous êtes en tant que moi. » Elle me regarde un peu effarée, et s'en va. Le lendemain, elle me raconte que ça l'avait beaucoup touchée. Elle habitait dans un hôtel assez loin de chez moi, peut-être à trois heures de là. « Vous savez ce qui m'est arrivé ? Je me suis mise tout à coup à courir ; j'ai monté les escaliers de l'hôtel trois par trois ; j'ai ouvert ma chambre, et je l'ai fermée à clé très vite. Je me suis lancée sur mes genoux et j'ai fait le mouvement vous m'avez dit de faire, celui de m'abandonner dans mes coudes, dans mes bras. Et voilà ce qui m'est arrivé : une immense expérience de la divinité. C'est la première fois que j'ai senti quelque chose de ce que vous appelez Dieu. » Donc voyez, le geste de cette humilité, le geste de s'abandonner complètement… qui a comme fruit cette expérience du divin auquel on s'est donné.

Mais il est important de savoir que "le corps qu'on est" – qui est donc l'ensemble des gestes par lesquels on se présente et on s'exprime – fait partie des instruments que nous avons pour nous approcher de plus en plus de la réalité profonde de notre être.

 

 

vieil homme4) Le vieux sur son petit banc, regardant au loin dans la mer

K-G D : L'homme a deux devoirs, d'un côté il a le devoir de former le monde extérieur avec sa capacité, son efficacité, sa force, sa santé, son corps, et de l'autre côté il a le devoir de mûrir. Le fruit de cette maturité serait la personne, du moins ce qui le représente dans son être essentiel. Et c'est ça qu'on oublie : on ne parle pas de la maturité. On a même oublié le mot "maturité" dans ce sens profond.

Au fond, il nous faut mettre sur terre le représentant du divin, et pas seulement être efficace par un travail quelconque dans l'existence. Et voilà l'autre mensonge.

Essaye de donner maintenant sa place à ce désir profond de ton être de gagner une réalité dans ta vie qui finalement est ce qu'il te faut pour remplir le sens de la vie humaine, et pour ça, tu n'as pas besoin de transpirer dans ton travail. Finalement, c'est la tranquillité qu'il te faut. La méditation.

Réfléchis un petit peu. Tu as vu une fois quand tu étais au bord de la mer, assis, le vieux sur son petit banc, regardant au loin dans la mer. Il ne bouge pas. Il est assis là. Il ne parle pas. Et finalement, au bout d'une heure, de deux heures, de trois heures peut-être, il se lève lentement, et quand il rentre dans la pièce il y a quelque chose qui émane de lui. Il y a une aura, une ambiance, une présence du Tout Autre qu'il a gagnée grâce à cette attitude méditative. Il a vécu pour deux ou trois heures devant sa maison, et toute sa famille en profite. Voilà du nouveau dans notre pièce, quelque chose qui est bien différent de l'atmosphère du soi-disant quotidien où on est toujours en train de faire quelque chose le plus possible. Non ! Il s'agit de ce silence, de trouver ce silence intérieur dans lequel s'exprime le Tout Autre. Et c'est une des raisons de faire la méditation dans le sens du zen.

C M : Votre image me touche beaucoup parce qu'à travers nos rencontres, j'ai souvent en souvenance la figure d'un grand poète qui est Saint-John Perse. Il a été fasciné par la vieillesse. Il parle très souvent de ce qu'il appelle le grand âge. Et il y a une image qui est fréquente dans sa poétique et qui est liée directement à la mer, c'est l'image du grand large. Et cette contemplation du vieil homme assis sur son banc est un peu la reconquête de ce grand large, et en même temps la plongée dans ce grand large.

K-G D : C'est bien le grand large… Et vous savez, c'est bien le grand large qu'on trouve dans la méditation profonde.

 

5) Ça ne presse pas ! (K G D)

Je voudrais raconter une petite histoire d'un ami japonais qui, dans sa jeunesse, a vécu dans un groupe avec d'autres jeunes gens chez un grand maître où ils faisaient zazen. Il existe au Japon, dans le zen, non seulement le grand satori, cette transformation définitive de l'homme dans une grande expérience, mais il y a aussi la petite expérience reconnue par le maître qui s'appelle kenshô. Tous les jours donc il est avec les autres jeunes et de temps en temps il devient témoin du fait qu'un de ses camarades reçoit un kenshô reconnu par le maître. Mais lui n'en a jamais. Il est triste, furieux, désolé. Que faut-il faire ? Il faut encore travailler plus. Donc il fait zazen pendant la journée non seulement avec les autres, même quand il passe dans la ville de Tokyo quand il voit un petit jardin où il est tranquille, il se met dans la posture de zazen avec grande concentration. Un beau jour, un vieux passe, lui frappe sur son épaule et lui dit : « Monsieur, ça ne presse pas ! »

Je trouve cette histoire magnifique.

On ne peut pas accélérer le rythme de la grande Vie, c'est elle qui choisit ce dont on a besoin pour percer la peau de notre être essentiel.

 

6) Le rayonnement du grand maître (K G D)

En ce qui concerne les exercices qui nous viennent aujourd'hui de l'Orient, il y a là quelque chose de très intéressant. La perfection d'une technique comme le yoga, le kinomichi, l'art des fleurs… ne veut pas dire la chance de faire une grande performance mais de faire un pas en avant sur le chemin intérieur, c'est-à-dire que c'est ça qui compte. Et finalement, ce chemin ne s'exprime pas dans une performance.

Là je vais encore raconter une très belle histoire. À l'occasion d'une visite d'un Européen d'une certaine importance, au Japon, on avait préparé une compétition de maîtres de tir à l'arc. Ce sont les jeunes qui commencent, puis les plus âgés, et chacun avait la permission de tirer une flèche. On attendait encore le grand maître. Il arrive. Il est tout petit, très âgé, avec un immense arc et on se demande ce qu'il va donner. Le voilà qui se met à genoux, l'arc tremble terriblement, tout le monde retient son souffle, la flèche part et tombe par terre à 10 m de l'arc. À ce moment-là une vingtaine de personnes tombent en samadhi !

Je trouve cette histoire extraordinaire : finalement, ce n'est pas la performance qui compte mais le rayonnement de cet homme qui fondamentalement était devenu la présence du Grand Être, de telle façon qu'il était capable de transformer une vingtaine de personnes situées à 20 m de distance de lui, de les toucher, de les transformer, de les transpercer par ce qui émane de lui au moment où il fait l'exercice, exercice dans lequel toute sa vie il a appris le développement jusqu'à la hauteur à laquelle il se trouve en ce moment.

 

7) Être ouvert à la chance d'être touché par l'Être dans quoi que ce soit (K G D)

Je dis toujours à mes élèves, quand la méditation est finie : « Le zazen commence maintenant quand vous sortez de cette pièce. » C'est le quotidien en tant qu'exercice, en tant que zazen, qui doit être vécu c'est-à-dire être dans un état éveillé. C'est la vigilance qui est la vertu principale de celui qui est sur le chemin.

Au fond, il y a cette belle phrase japonaise : « Chaque situation est la meilleure des occasions » de donner la preuve qu'on est encore en contact avec le Tout Autre.

Voyez, chaque chose que nous faisons – par exemple nous lavons une assiette – a deux résultats : ce qui en sort et ce qui en entre. Ce qui en sort, c'est que l'assiette va être propre ; ce qui en entre grâce à notre attitude pourrait être que nous-même nous nous nettoyons en faisant ce travail. Il n'y a aucune action vis-à-vis de laquelle on ne pourrait pas dire : il y a ces deux côtés, ce qui en sort et ce qui en entre.

Vous allez mettre une lettre à la Poste, ce qui en sort c'est que la lettre tombe dans la boîte, et ce qui pourrait en entrer : ce qui vous est donné grâce à la façon dont vous avez marché les cent pas pour aller jusqu'à la Poste. Ainsi chaque situation est la meilleure des occasions si vous avez compris le zazen en tant qu'exercice pour chercher à vous ouvrir en tant que corps / âme / esprit ou tout autre de façon que quoi que ce soit que vous touchiez vous fasse ressentir le Tout Autre.

Je vous donne encore un exemple à propos d'un client que je reçois. Je lui demande : « Mettez votre doigt sur la table. Qu'est-ce que vous éprouvez ? » « C'est un peu dur et c'est froid. » « Bien, laissez votre main. » Vous savez, c'est intéressant que si vous ne bougez pas, il ne se passe pas deux minutes que vous ne sentiez un petit picotement dans la pointe du doigt, et tout à coup ça va plus loin : ce sont les doigts entiers qui sont pris, puis la main puis finalement le bras. Et tout à coup, après cinq à dix minutes, se développe une vie dans votre main, dans votre bras qui est bien loin de ce que vous avez ressenti lors du premier moment où vous avez mis votre doigt sur la table.

De même, quand je reçois un client, j'ai toujours une fleur sur ma table à écrire, je la mets dans sa direction et je lui dis : « Regardez cette fleur, restez dessus. » Et après un certain temps, il me dit : « Vous savez ce qui m'arrive, maintenant ce n'est pas seulement moi qui regarde la fleur mais j'ai l'impression que c'est elle qui me regarde. » Je lui dis : « Restez encore. » Et tout d'un coup il me dit : « Cette fois, ça va plus loin, je l'impression que c'est "la fleur dans cette fleur" qui me regarde, moi dans mon être et c'est autre chose. » « Restez encore plus longtemps. » Et il me dit : « Elle commence à me parler. » « Mais oui, je lui dis, chaque chose que nous prenons au sérieux a quelque chose à nous dire. Ce n'est pas seulement nous qui pouvons parler d'elle. Allez-y, restez, pas seulement pour la voir, pas seulement pour la regarder ; ce qui va plus loin c'est si vous vous mettez à son écoute. »

L'ouïe va plus loin que la vision. Au commencement était le Verbe et pas l'image. Alors si vous me demandez comment faire pour maintenir ce qu'on a gagné dans la méditation, je dis : un état d'être qui vous laisse ouvert à la chance d'être touché par l'Être dans quoi que ce soit.

 

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