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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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20 février 2018

"De la lectio à l’oraison", article de Bernard Ducruet paru en 2010 dans Lumière & Vie n°287

L’antique tradition de la lectio divina est proposée au centre Assise à certains moments des sessions. Il s’agit d’une façon de lire l’Écriture sainte qui, dans l’ouverture à l’Esprit Saint, est écoute de la Parole de Dieu et conduit à la prière.

Voici un article de Bernard Ducruet sur la lectio divina. Ancien abbé de Saint-Benoît-sur-Loire, il est venu plusieurs fois au centre Assise pour animer des week-ends, puisque depuis sa création le centre est relié à l'abbaye (cf. Le lien d'amitié entre l'abbaye de Fleury et le centre Assise : échos des deux côtés).

Dans cet article, après avoir situé la lecture des Écritures dans la Bible, dans l'histoire de l'Église et dans les sacrements, le P. Ducruet aborde les étapes de la lectio divina en mettant à chaque fois en évidence divers aspects. Voici quelques repères :

  1. la lectio c'est d'une part la prière fervente à l’Esprit Saint et d'autre part l'écoute de la parole,
  2. la meditatio c'est la manducation de la Parole,
  3. l'oratio c'est la prière, elle est la réponse ou le silence dans lequel on demeure.

« Au lieu de lire pour apprendre, laisse la Parole te parler et t'atteindre d'elle-même. Elle est vivante, elle a quelque chose à te dire ». (Dom Bernard DUCRUET, osb)

 

De la lectio à l’oraison

Bernard Ducruet

 

Lumière et vie, La méditation

Présentation de Lumière & Vie[1].

Le père Bernard DUCRUET est père abbé émérite de l’abbaye bénédictine Notre-Dame de Fleury à Saint-Benoît sur Loire. Né en 1927, il est entré à Fleury en 1946 après avoir fait la campagne 44-45 en Alsace et en Allemagne dans l’arme blindée. Il fut cellérier et maître des novices, puis abbé de 1973 à 1991
Lumière & Vie remercie le Père Lin, ancien rédacteur de Renaissance de Fleury, d’avoir accepté la publication in extremis de cet article paru dans la revue Renaissance de Fleury en mars 1998 (sous le titre La lectio divina), alors que nous apprenions le décès du Père André Louf, qui devait nous remettre son article sur la tradition monastique chrétienne de la méditation.

 

Dans la tradition monastique : de la lectio à l’oraison

Dans un monastère catholique, un moine japonais, pratiquant le zen, expliquait un jour sa méthode de méditation, et il leur demanda : « Et vous, comment faites-vous ? » En réponse, un vieux moine lui révéla son point de départ : « La Parole de Dieu, car Dieu, lui dit-il, est déjà là, dans la Sainte Écriture, et nous avons simplement à le rejoindre. Tout notre cheminement prend là sa source, et se déploie jusque dans la rencontre. C’est ce que les anciens exprimaient dans ces trois mots : lectio, meditatio, oratio. » C’est là le point de départ qu’il nous paraît important d’exposer aujourd’hui.

La Constitution Dei Verbum du Concile Vatican II a remis en honneur la place de l’Écriture Sainte dans la Tradition du Peuple de Dieu. Dans son chapitre 6, elle rappelle que la Sainte Écriture, au cœur de la vie de l’Église, est constitutive du Peuple de Dieu, et que sa lecture est pour tous un acte essentiel de la vie chrétienne

Dans le judaïsme

La Lecture Sainte, la lectio divina, a une longue histoire : c’était déjà un procédé de la Synagogue. Dans le livre de Néhémie, au chapitre VIII, on nous rapporte, au retour de l’Exil, la découverte de la Torah, qu’Esdras lit au peuple durant sept jours. Il s’agissait de « bien discerner les paroles de la Loi », dit le texte. Et comme le peuple ne comprend pas l’hébreu, on lui donne une traduction et une explication. Ainsi naissent les commentaires, le Midrash.

Avant l’Exil, c’est au Temple que le peuple cherche la face de Dieu. Car l’homme a besoin de signes sensibles pour l’aider à trouver la présence de Dieu. Mais lorsque le Temple fut détruit et le peuple exilé, c’est autour de la Loi que l’on se rassemble pour chercher ensemble le Seigneur et l’écouter dans sa parole. A partir de cette époque, tout village peut avoir sa synagogue où la communauté locale se rassemble autour de la Parole lue et commentée. Nous voyons ainsi, dans l’Évangile, que Nazareth connaissait cette structure d’Église où la Parole de Dieu lue ensemble distingue un Peuple de toute association profane. Et la première communauté chrétienne a confirmé cette tradition juive de la lecture de la Parole dans ses assemblées, à laquelle elle a ajouté la fraction du pain, l’Eucharistie, en mémoire du Seigneur. La Parole ouvre à la Présence, dès l’origine du christianisme

 

Chez les Pères de l’Église

A la suite, toute la tradition patristique a commenté le chapitre VI de saint Jean en parlant de l’unique pain du Christ, celui de la Parole accueillie dans la foi et celui de la Chair et du Sang du Christ reçus dans l’Eucharistie. Jésus est l’unique pain de Dieu descendu du ciel, à travers sa Parole et à travers le don de sa vie. Sa Parole est Esprit et Vie. Il donne sa vie en donnant sa Parole. Il n’y a pas d’écart entre sa Parole et sa Vie. On accueille l’une dans l’autre. Il n’y a qu’un seul événement de grâce : celui de la Parole et celui du Sacrement de sa présence.

Saint Ignace d’Antioche dit que pour obtenir l’héritage, il faut se réfugier dans l’Évangile comme dans la chair du Christ. Il faut aller à toute l’Écriture comme à la chair du Christ. Pour Origène, l’Écriture est Mystère et Sacrement où se trouve la présence de Dieu. On va de l’eucharistie à la Parole de Dieu et, par l’une et l’autre, à son incarnation. Et le grand saint Jérôme nous dit ceci : « La chair du Seigneur étant une vraie nourriture et son sang un vrai breuvage, notre seul bien c’est de manger sa chair et boire son sang, non seulement dans le Mystère eucharistique mais encore dans la lecture de l’Écriture. Quand nous entendons la Parole de Dieu, si nous pensons à autre chose pendant qu’elle entre dans nos oreilles, quelle responsabilité n’encourrons-nous pas ? »

Ainsi, dans la tradition patristique, l’Écriture n’est pas un livre comme le Coran, mais comme un Sacrement de la Parole de Dieu. Nous ne faisons pas de la Bible une lecture fondamentaliste comme le font parfois les Musulmans du Coran. Pour eux, la lettre du texte est Parole de Dieu, on ne peut rien en changer.

Même en Chine, le texte est lu en arabe, parce qu’il est sacré, tandis que pour nous, l’Écriture est comme un Sacrement de la Parole de Dieu. Dieu nous parle en se servant de l’Écriture lue avec foi et interprétée en Église sous la motion de l’Esprit Saint. L’Écriture reçue dans l’Esprit du Christ exprime et communique cet événement de grâce.

Et la Parole de Dieu ne peut être séparée des sacrements de l’Église. L’Esprit nous sanctifie par l’unique médiateur et, pour être éloquents, les sacrements ont besoin de la Parole de Dieu. Le Moyen-Age a connu l’apogée de cette tradition de la lectio divina, où l’Écriture lue et méditée avait pour but de découvrir le Mystère du Christ

Une expérience du Christ

Nous ne connaissons le Christ véritablement que par l’Écriture, reçue du Christ dans l’Esprit Saint. Mais il est important de ne pas séparer les divers éléments qui nous donnent de faire l’expérience du Christ ressuscité et où nous puisons son Esprit : il y a l’Église, il y a la communauté qui nous fait vivre, il y a l’Eucharistie et il y a le texte des Écritures. Pour aimer le Christ,  il faut le connaître et il ne peut y avoir de vraie connaissance du Christ, vrai Dieu et vrai homme, sans l’Écriture interprétée par l’Église dans l’Esprit du Christ. Pour connaître le Christ, il faut le laisser resplendir, comme à la Transfiguration, entre Moïse, Élie et les Apôtres. Moïse et Elie sont là pour garantir la véritable interprétation de la Croix.

Séparée de l’Église et de l’Eucharistie, séparée de l’effort de vivre la Vie du Christ ressuscité et de nous purifier du vieux levain, la lecture de l’Écriture peut devenir lettre morte. Elle peut être étudiée pour elle-même avec le scrupule du docteur de la Loi, avec l’érudition de l’exégète incroyant ou même avec la crédulité de l’homme religieux fondamentaliste.

La résurrection, clé de lecture

Mais seule la Résurrection du Christ donne la clef de lecture de toute la Bible : « Qui est digne d’ouvrir le livre et d’en rompre les sceaux », lisons-nous dans l’Apocalypse, sinon « le Vivant », l’Agneau vainqueur de la mort ? Tant que le Christ n’est pas ressuscité, l’Écriture est un corps mort : « L’Esprit Saint n’avait pas encore été donné parce que le Christ n’était pas encore ressuscité ». Avec la Résurrection, sur les lettres de la Bible passe le souffle de l’Esprit comme sur les ossements desséchés. L’Esprit qui inspira les auteurs de l’Écriture permet seul de les interpréter. Il est le seul exégète de l’Écriture, « il vous introduira à la vérité tout entière », dit saint Jean. Dès lors, toute lecture de la Bible faite en unité avec l’Église dans l’intention de rencontrer le Christ ressuscité, devient lecture sainte, lecture divine, lectio divina.

Dans l’Église

Dans l’Église catholique, il y a eu à un moment une certaine perte de ce sens de la lecture divine. Au XVIe siècle, Luther a réagi, et, peut-être pour redonner sens à cette tradition, le Protestantisme recommandait la seule Écriture pour construire et animer la foi, sola scriptura. En réaction, l’Église catholique a eu tendance à développer le sacrement pour lui-même. Puis au XIXe siècle, au même moment où l’exégèse scientifique s’emparait de la Bible, les commentaires de l’Écriture sont devenus de plus en plus moralisants, et la piété, déçue de ces commentaires, a cherché sa nourriture dans des dévotions sans grand lien avec l’Écriture. Mais, sans la prière, l’exégèse dessèche, et, sans la lectio divina, la dévotion s’essouffle. Elle ne devient souvent que la projection de nos besoins si elle n’est pas éclairée par l’Écriture. Enfin, sans la Parole de Dieu, le sacrement est muet… Il est nécessaire que la Parole donne le sens de l’action divine dans le sacrement pour sa pleine efficacité, sinon il peut y avoir erreur d’interprétation et parfois risques d’idolâtrie et/ou de magie.

 

 

lecture divineDeux étapes

Si le Sacrement ne peut être séparé de la Parole de Dieu, de son côté la lectio divina elle-même doit être célébrée comme un sacrement. Il n’y a pas de lectio divina sans épiclèse. Voilà pourquoi le premier temps de cette lecture sera celui de la prière fervente à l’Esprit Saint de nous unir à la communauté ecclésiale et de nous faire participer au sens qu’il a donné lui-même à la lettre du texte, pour nous d’abord, pour notre communauté éventuellement, pour l’Église.

Ensuite, la seconde étape est celle de l’écoute de la Parole. Ce n’est pas une simple lecture mentale. Il nous faut, si possible, la proclamer labialiter, avec les lèvres, c’est-à-dire corporellement, parce que ce n’est pas une simple lecture, c’est une expérience d’écoute, une écoute prête à la mise en pratique. Ce n’est pas une lecture curieuse, mais faite avec bonne volonté, sachant que le Sens ne se révélera pleinement que dans la mise en pratique.

Toute l’Écriture

Cette lecture tendra à être celle de toute l’Écriture. Il ne faut pas choisir les seuls passages que nous aimons, car il y a alors risque de délaisser les lieux où la Parole nous blesse. Il y a des passages qui nous paraîtront sans saveur, d’autres trop humains ou révoltants. Nous n’avons pas à juger la Parole de Dieu mais à nous laisser juger par elle. Pour cette lecture continue, fidèle, cursive, si possible à la même heure, il faut savoir sacrifier du temps et non donner le temps qui reste, comme ces lévites, autrefois, qui sacrifiaient des victimes défectueuses.

Cette écoute peut être faite aussi en écrivant le texte ; et il faut savoir que les nerfs du pouce et de l’index sont reliés à l’oreille, si bien qu’écrire est aussi une manière d’écouter. Voilà pourquoi, au Moyen-Âge, on faisait sa lectio divina dans les scriptoria, en écrivant les textes. Aujourd’hui on retrouve cette forme d’écoute à la fois intérieure et corporelle par la pratique de la mémorisation, un vieux procédé, naturel dans les civilisations traditionnelles

 

Méditation

Après l’écoute, vient le temps de la méditation. Alors, on scrute le texte, on le creuse ; on commente l’Écriture par l’Écriture. Comme dit Origène, on entre dedans, on cherche les lieux parallèles ; en se servant, par exemple de toutes les notes de la T.O.B., on cherche les thèmes ; on possède peu à peu les concordances bibliques. On apprend à faire retentir la Parole depuis la promesse jusqu’à l’accomplissement, tout en méditant sur l’unité du dessein de Dieu. C’est le message symphonique de l’Écriture qui peu à peu se dévoile ainsi. C’est alors vraiment la méditatio, la manducation de la Parole.

Cette manducation saura se servir des meilleurs travaux d’exégèse ; elle ne se contente pas du sens littéral ou du sens moral : c’est le Mystère du Christ et la présence de Dieu, cachés dans cette parole humaine inspirée qui capte notre attention. Et la relecture des textes que nous pensions connaître renouvelle notre ferveur par des sens nouveaux autrefois cachés. « Hier tu comprenais un peu, dit saint Augustin, aujourd’hui tu comprends davantage, demain tu comprendras mieux encore ». Non pas l’érudition mais l’onction, non pas la science mais la co-participation, non pas le livre, mais la charité, voilà les maîtres de la lectio divina

Transformation

Dieu ne se trouve pas au-delà des mers ou des cieux, car nous dit le Deutéronome, « sa Parole est tout près de ta bouche et dans ton cœur, pour que tu la mettes en pratique » (Dt 30,13). Et l’Épître aux Hébreux (6,5) parle de « ceux qui ont goûté au don céleste et savouré la belle parole de Dieu ». La Parole nous nourrit et en même temps se nourrit de nous, parce qu’elle a besoin du terreau nourricier de notre humanité pour croître et se développer « jusqu’à ce que le Christ soit formé en nous ». Car le message de la Parole pénètre le corps et l’âme avec une grande force de conversion et de transformation.

Les auteurs hésychastes parlent de l’unification de l’intelligence et du cœur. Car la vigilance maintient l’intelligence à contempler la Parole dans un cœur purifié, craignant Dieu. Et cette contemplation est source d’unité, de joie, de bonheur très simple, car l’intelligence retrouve son vrai rôle d’illuminer l’objet de l’amour et elle devient lumineuse à son tour par les dons de science, de sagesse, d’intelligence, qui viennent de l’Esprit Saint. « Marie méditait dans son cœur », nous dit souvent saint Luc

Saveur

Cette assimilation par le cœur de la Parole lue et entendue nous conduit à en goûter la saveur : « Goûtez et voyez comme est bon le Seigneur », nous dit le Psaume souvent commenté par les auteurs cisterciens. Guillaume de Saint-Thierry s’explique ainsi : « Pour tout livre de l’Écriture, la lectio faite avec application et la simple lecture diffèrent autant l’une de l’autre que l’amitié de l’hospitalité passagère et l’affection fraternelle d’un salut occasionnel… Il faut aussi, chaque jour, détacher quelques bouchées de la lecture quotidienne et confier à l’estomac de la mémoire un passage que l’on digère mieux et qui, rappelé à la bouche, fera l’objet de fréquentes ruminations. »

Guigues le Chartreux ajoute : « La part de foi que tu as reçue, c’est comme un petit morceau de pain dans ta bouche. Mais si tu ne médites pas fréquemment et pieusement ce que tu crois, si tu ne le mâches pas, en quelque sorte, en le triturant, en le retournant avec les dents, c’est-à-dire avec l’essence de ton esprit, il ne franchira pas la gorge, c’est-à-dire il ne parviendra pas jusqu’à ton intelligence. Par l’intelligence, la nourriture spirituelle passe dans l’affection du cœur pour que tu ne négliges pas ce que tu as compris, mais que tu le recueilles avec soin par l’amour. C’est en vain que tu as compris si tu n’aimes pas ce que tu as saisi, car la sagesse est dans l’amour. L’intelligence précède l’esprit de Sagesse et ne goûte que d’une manière transitoire, mais l’amour savoure ce qui demeure ».

 

Oraison

Et la dernière étape, lorsque la Parole est descendue ainsi dans le cœur réchauffé, c’est la prière, car elle est la réponse ou le silence dans lequel on demeure. Il n’y a plus à parler, il n’y a plus à réfléchir ; il reste à faire monter en soi la réponse comme dans un dialogue d’amour. Il ne s’agit plus seulement de conformer nos pensées aux siennes, mais de le rencontrer Lui. C’est là l’oraison et l’expérience de la présence

Alors, nous remercions Dieu de la Parole qu’il nous a donnée. Nous la conservons dans notre cœur et souvent, à notre insu, c’est elle qui nous donne d’agir, de témoigner dans le reste de la journée. Elle est vraiment cette petite graine qui croit et devient un grand arbre, celle qui dans notre cœur le convertit, le change, le transforme à l’image du Fils bien-aimé, Parole du Père. « Car au Père n’a jamais manqué la Parole et à la Parole jamais n’a manqué le Souffle », comme le dit saint Jean de Damas.

 

Liberté

scriptorium, Codex Amiatinus, VIIIe sSuivant le tempérament, cette lecture divine sera infiniment diverse. Pour l’un, elle sera simple copie des textes, à la façon des anciens moines ; pour d’autres, elle sera méditation, parfois écrite, à la façon du Père de Foucauld ; pour d’autres, elle sera lecture précise qui compare les textes, cherche les parallèles, trouve un fil conducteur, décrypte un sens, fait œuvre d’exégèse à la façon des Pères, ou celle des Rabbins, ou encore de façon plus scientifique, mais toujours dans la foi et l’espérance d’une rencontre avec le Christ ressuscité : « C’est le Seigneur ».

Tous les tempéraments, toutes les formations, toutes les écoles peuvent conduire à former une méthode personnelle pour lire la Bible. Il s’agit seulement de ne pas être réducteur, c’est-à-dire de ne pas privilégier un aspect du mystère, mais d’éclairer une parole par une autre pour accéder à la vérité tout entière, toujours dans l’Esprit du Christ ressuscité, en communion avec l’Église, nourris par l’Eucharistie, purifiés de nos péchés. Il est bon d’approcher l’Écriture avec la conscience d’être pécheur et de nous tenir à la porte du Temple comme le publicain : « Je ne suis pas digne, moi, pécheur, d’accéder au sanctuaire de ta Parole. »

Certains ont reçu le don d’expliquer les Écritures. Ils ouvrent la porte aux autres pour qu’ils s’asseyent à la table du Seigneur et découvrent sa miséricorde et son amour. Parfois ils introduisent les autres sans eux-mêmes entrer.

D’autres goûtent les Écritures, ils comprennent d’instinct tout ce que les Pères en ont dit. C’est dans le silence de l’oraison qu’ils communiquent à l’Église ce dont ils vivent, mais vous pouvez être sûrs qu’il y a communication. Si, dans l’encyclique Vita consecrata, Jean-Paul II cite si souvent sainte Élisabeth de la Trinité, ce n’est pas parce qu’Élisabeth de la Trinité a prêché, mais c’est parce que, dans l’oraison, elle a exprimé tout ce que l’Esprit Saint lui donnait de dire et que cela s’est communiqué à l’Église, et maintenant, c’est le Pape lui-même qui se sert du témoignage de cette sainte pour le donner à l’Église.

 

Sécheresse

Il y a ceux qui ouvrent le livre et se trouvent devant lui « comme l’hippopotame » ou comme « une bête de somme » disent les Psaumes. Ils lisent, ils relisent, ils s’endorment, ils luttent… et toujours rien. Parfois, la cause en est la fatigue ; il serait bon de se reposer. Mais parfois le péché rend aveugle et sourd, et un test est alors de vérifier l’intérêt que nous prenons à lire un roman ou à regarder la télévision. Si notre activité mentale se réveille avec l’intérêt du livre ou l’actualité des images, nous devons nous interroger. Mais parfois, le roman reste insipide et les images sans intérêt. Alors, restons paisibles : le Seigneur lui-même nous appelle à une communion plus secrète dans le silence de l’oraison.

Pourtant, même en ce cas, ne négligeons pas un temps de lectio divina. Il sera plus bref, — simplement les lectures de la Messe du jour, par exemple, que l’on complétera, puisque les passages sont des morceaux choisis, par la Bible en suivant le cursus indiqué, ce qui est une façon d’obéir à l’Église, — mais l’oraison ne peut être séparée de l’Écriture ; sinon elle risquerait de devenir méditation transcendantale. Sans doute rien ne se passe en ce temps d’oraison, mais demeurons dans l’amour et durons devant l’Eucharistie.

Un test nous montre que telle est bien la volonté du Seigneur : si, par hasard, nous avons à commenter l’Écriture pour nos frères, dans un partage d’Évangile par exemple, nous nous surprenons à en décrypter le sens avec facilité, comme si nous avions longuement médité ce texte au point qu’il nous soit familier. Celui qui nous est devenu proche dans l’oraison, c’est justement le Christ ressuscité qui, par le moyen de la foi, et comme il l’a promis, nous donne son Esprit pour que nous répondions devant ceux qui nous interrogent.

Parfois aussi la tension due aux préoccupations ne nous laisse pas l’esprit libre. A ce moment-là, surtout ne dramatisons pas. Un frère interrogeait un vieillard : « Mes pensées divaguent, j’en suis affligé ». Et le vieillard lui dit : « Toi, demeure dans le recueillement et tes pensées reviendront à l’essentiel. En effet, de même que lorsque l’ânesse est enchaînée, son ânon court de-ci et de-là mais rejoint toujours sa mère là où elle est, ainsi les pensées de celui qui persiste à demeurer près de Dieu, même si elles divaguent, reviennent toujours »

 

 

« Chaque jour prélever quelque passage de la lecture et le confier à la panse de la mémoire : un passage que l’on cherchera à assimiler avec plus de soin, et qui, rappelé à la bouche, sera longuement ruminé ; une pensée plus en rapport avec notre genre de vie, capable de soutenir l’attention, d’enchaîner l’âme et de la rendre insensible aux pensées étrangères ».  (Guillaume de SAINT-THIERRY, Lettre aux frères du Mont-Dieu)

 



[1] Fondée en 1951 par des Dominicains de Lyon, lumière & vie est une revue trimestrielle d’information et de formation, qui veut satisfaire aux exigences de la recherche théologique, et se faire l’écho des questions posées au christianisme et des interpellations que la foi adresse à notre temps. Fin 2013 la revue s'éteint après 63 ans d'existence, non par essoufflement de la rédaction, mais faute d’un nombre suffisant de lecteurs, et ce malgré les efforts entrepris. En accord avec la Province Dominicaine de France, l’Association Lumière & Vie a décidé au moment de sa dissolution la mise en ligne gratuite de la collection intégrale, afin de la rendre accessible à tout public. Il est donc possible de télécharger non seulement les entretiens, mais les numéros complets (http://lumiere-et-vie.fr/ ).

 

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