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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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5 novembre 2023

Hara", article de Jacques Castermane, précédé d'une présentation

Graf Dürckheim dit que le Hara est le "centre vital de l'homme". C'est de ce centre vital que Jacques Castermane parle dans la chronique parue dans la revue "Sources" d'octobre novembre décembre 2008, n° 9.

C'est la première fois qu'une réflexion de J. Castermane est mise sur ce blog dédié à Jacques Breton et au centre Assise. C'est une sorte d'écho aux rencontres de mars au Forum 104 à Paris lors des journées des 12-13 mars 2022 consacrées à Graf Dürckheim et co-organisées par La Maison de Tobie, Centre Assise, Forum 104, Maison du Grand-Pré, où Jacques Castermane est intervenu.

 

Présentation rapide de Jacques Castermane

 

Jacques CastermaneIl est diplômé en kinésithérapie. À partir de 1969 il a vécu cinq ans à Rütte dans le centre créé par Graf Dürckheim. En 1981 il a inauguré le « Centre Dürckheim » à Mirmande (en France dans la Drôme), un lieu dédié à l’exercice, à l’expérience et à la vie spirituelle (site https://centre-durckheim.fr/).

Il a publié entre autres :

  • des entretiens avec Graf Dürckheim : Le Centre de l'Etre, Albin Michel 1992 ;
  • La Sagesse exercée, avec une préface d'André Comte-Sponville, Éd. de la Table Ronde 2005 ;
  • aux: Comment peut-on être zen ? avec une préface de Marc de Smedt, Ed. du Relié 2011),

Comment peut-on être zen ? va être réédité le 2 novembre 2023 aux Ed. Marabout à 3 €: avec cette fois unepréface d'Alexandre Jollien.

Un livre à paraître le 9 novembre 2023 chez Almora à 20 € : Jacques Castermane ou la sagesse du corps (Zazen et enseignements) écrit par René Monami : « A travers des entretiens, des confidences, des souvenirs, des enseignements plus formels, nous découvrons dans l'intimité toute la profondeur de cet homme de 90 ans. »

 

"Hara"

par Jacques Castermane

 

Le stress fait des champions olympiques, des entrepreneurs efficaces, des chirurgiens performants, des acteurs à succès ; le sur-stress peut conduire ceux-ci à la dépression ou à l'infarctus. Dans la même mesure qu'il y a un bon et un mauvais cholestérol, il y a un bon et un mauvais stress.

Le Hara, mot japonais, désigne une manière d'être de l'homme d'action qui le protège de cette escalade néfaste. Mais Hara n'est ni une pilule qu'on ingurgite chaque soir ni un truc. C'est un travail sur soi.

 

Ce que le Japon appelle "Hara" est la capacité de l'homme à se situer dans "son juste milieu". Une expression qui nous rend attentif au fait que le centre de l'être humain ne se situe ni dans la poitrine ni dans la tête, mais au niveau du bassin.

Voici un texte japonais qui souligne l'importance de ce que Graf Dürckheim appelle le "centre vital de l'homme" : « La centration dans le Hara est conforme à la Nature. Ne rassemble la force qu'en un seul endroit : le bas-ventre (…) Lorsque la force, provenant du Hara, disparaît, alors apparaissent les dérèglements, tels qu'agitation, envie, colère, avidité et méfiance. »

Cela sous-entend que se centrer dans le Hara est la condition de l'accès à la paix intérieure.

 

Il y a ici, pour l'homme occidental qui sépare et oppose le corps et l'esprit, une énigme.

Lorsque j'ai commencé à pratiquer l'Aïkido, j'étais, moi-même, intellectuellement contrarié par le principe de la non-dualité corps-esprit, qui était, disait le maître, le fondement de cet art martial. À l'occasion d'une conversation, au cours de laquelle je défendais le principe de la dualité, il sourit et me dit : « Corps et esprit… c'est comme glace et eau ! »

Je laisse à chacun le soin de prendre son indication au sérieux ou de la trouver absolument naïve. Je la prends au sérieux : « glace est eau et, en même temps, eau n'est pas glace » (pour preuve, je ne mets jamais d'eau dans un whisky, toujours de la glace).

Plus sérieusement, Hara n'est pas une japonaiserie. C'est le centre vital de cet être de nature qu'est chaque nouveau-né. Si le jeune enfant n'était pas, naturellement, centré en son juste milieu, il lui serait impossible de s'asseoir et de rester assis, de se mettre debout et de rester debout, puis de marcher. Hara, c'est aussi la détermination dont il témoigne à chaque fois qu'il tombe et se relève.

 

Au plan anatomique, le milieu juste est la partie inférieure du tronc. Son périmètre est délimité par les os du bassin (koshi), la sangle abdominale située entre l'ombilic et le pubis (tanden) et, en arrière, le sacrum et les dernières vertèbres lombaires.

Cependant Hara n'est pas quelque chose : un assemblage anatomique. Hara désigne l'ensemble des gestes, des actions et des attitudes qui ont pour assise, pour fondement, ce point d'appui.

 

Dans la tradition japonaise, la maîtrise d'un art obéit à la nécessité, pour l'artiste ou l'artisan, de se situer en son juste milieu. J'ai pu constater, dans la pratique de l'Aïkido, du tir à l'arc et de la cérémonie du thé, l'importance de la centration dans le Hara pour progresser dans la technique ainsi que l'importance de la technique pour progresser dans l'ouverture au Hara.

Mais le progrès technique n'est pas le plus important. Hara est cette manière d'être serein, tranquille, qui peut être l'assise de toutes nos actions.

 

Si Hara est le centre vital de notre être de nature, quand et pourquoi avons-nous perdu la centration dans ce puits de force, de calme, de tranquillité, de confiance ? Lorsque l'être humain (différent de l'animal) vit sa seconde naissance : la naissance du "moi", il va y chercher ses points d'appui. C'est alors que, pour son malheur, centré sur son moi soucieux de sécurité, son moi avide de considération et inquiet de l'impermanence, l'être humain situe son centre là où il pointe l'index pour se désigner : au milieu de la poitrine, ou, pire encore, au niveau de la tête.

Une roue décentrée ne tourne pas rond ! L'homme décentré ne tourne plus rond !

Se libérer de la domination du moi et reprendre contact avec notre être de nature est le but de l'exercice du Hara.

 

Le zazen est parfois présenté comme étant la culture du Hara !

Za signifie : être assis. Pratiquer le zazen, c'est apprendre à s'asseoir en son juste milieu.

Seulement, lorsque je suis dans le Hara, il m'est possible de me libérer des tensions dans le haut du corps. « La moindre tension dans les épaules est l'expression du manque de confiance de la personne entière » disait Graf Dürckheim. Hara est une manière d'être libéré de l'inquiétude latente dans laquelle vivent bon nombre de nos contemporains.

 

Hara ne se découvre pas en décortiquant nos pensées en tous sens afin de comprendre de quoi il s'agit. Si la science assure son avancée en se soumettant à la compréhension objective, alors la connaissance du Hara invite à une marche arrière ! Parce que Hara, c'est se saisir soi-même dans ce qu'on est à l'origine, dans l'élémentaire, le fondamental : notre être de nature.

Notre être de nature est avant la pensée, avant les concepts, avant le raisonnement ; il s'explore subjectivement dans une pratique existentielle concrète : l'exercice.

 

Le but de tous les exercices proposés dans le monde du zen est de préparer les conditions permettant de laisser être la nature profonde qui nous habite, notre nature essentielle. Ce niveau d'être qui est la source du silence intérieur, du calme intérieur.

Lorsqu'il arrive à se centrer en son juste milieu, l'homme d'action témoigne, aussi bien dans un combat que dans un acte de création, d'une tranquillité imperturbable. Ni la crainte d'un éventuel échec, ni la volonté impérieuse de réussir ne peuvent entraver son action. Cette femme, cet homme, mérite alors le plus beau des compliments : « Il, elle, et dans le… Hara ! »

 

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