La Voie du zen par Alexis Ferrari
Beaucoup de monde a entendu parler du zen : être zen c'est être calme, serein, cool ! En fait le zen est une voie d'éveil qui repose sur la pratique de la méditation appelée « zazen » à laquelle on est initié. C'est en ce sens que le centre Assise propose des activités en deux lieux : dans un appartement du quartier Beaubourg à Paris, et dans un domaine situé à Saint-Gervais près de Magny-en-Vexin. Les propositions au niveau du zen vont de l'initiation à des sessions de 7 jours ! Voir zen. En voici deux qui se passent à Paris.
- Pour ceux qui n'ont jamais pratiqué, une initiation proposée par Christophe ou Françoise a lieu le 1er mardi du mois à 19h30 mais seulement à partir de 6 participants : il est donc nécessaire de s’inscrire (cf.initiation-a-la-meditation-zen). Françoise propose aussi cela un autre mardi : zazen-avec-preparation-corporelle.
- Une soirée hebdomadaire de zazen dit "intensif" – mais les moins aguerris peuvent ne rester qu'à la 1ère assise de 25 mn – a lieu le mercredi de 19h à 21h (cf. zazen-intensif). Cette soirée est animée par Alexis Ferrari qui suit la voie du zen sous la direction de Eizan Rôshi et de Jacques Breton depuis 20 ans. Eizan Rôshi l’a encouragé à transmettre son expérience du zen (cf. Les relations entre Eizan Rôshi du Ryutakuji et le centre Assise de 1986 à 2017) Il anime également des sesshins (retraites) à Saint-Gervais (95). Il est chirurgien, marié et père de famille (pour le joindre : zazenparis@gmail.com). Voici un article qu'il a écrit en novembre 2011 et qui est paru dans la Voix d'Assise n° 50, le bulletin interne au centre. Alexis Ferrari l'a légèrement modifié début 2018. Les notes ont été ajoutées pour publication sur le blog.
La Voie du zen
Alexis Ferrari
Pour un numéro spécial de la Voix d’Assise sur le Japon, j’ai envie de parler de ce que l’échange avec le Japon, grâce au lien direct avec un authentique Rôshi (« vieux maitre »), nous transmet : la Voie du zen.
Cette Voie est le chemin d’une vie ou l’on se laisse transformer par l’exercice continu de la méditation zazen. C’est une Voie sans point d’arrivée et dont le point de départ est un besoin vital de partir à la recherche de soi-même, au-delà de la vie et de la mort. Mais le zen n’a pas l’exclusivité de réponse à ce besoin et les chemins sont innombrables. Il importe de suivre celui qui nous appelle.
Eizan Rôshi aime dire que « le zen est la Voie du souffle et du silence », ce qui par essence lui confère un caractère universel. L’échange avec le Japon montre que cette Voie n’est pas (n’est plus ?) attachée à une religion particulière, ou à la condition monastique ou sacerdotale. Le témoignage de Jacques Breton, comme d’autres, montre qu’elle ne s’oppose pas non plus à la religion. Ce qui se révèle à chacun dans l’expérience intérieure, et l’éventuel acte intime de foi qui en découle peut aussi rester de l’ordre du jardin secret.
La voie du zen peut être artificiellement séparée en 3 piliers :
- la méditation zazen quotidienne,
- les périodes de retraite intensives dites « sesshin »,
- la vie quotidienne concrète.
La méditation zazen est l’échine de l’exercice. Trente minutes quotidiennes peuvent suffire. C’est un temps de recueillement, où l’on se retire de toute activité pour s’assoir, immobile, en silence, dans une posture bien précise. Contrairement à nos activités habituelles, ce temps d’assise n’a pas de but et ne consiste pas en un « faire ». Il n’y a rien à attendre ou à rechercher.
On se détourne résolument de notre conscience objectivante habituelle pour entrer dans une écoute perceptive de soi-même, en particulier du fondement et de l’espace de la base, et de ce qui nous entoure
En fonction des dispositions du moment, on peut simplement accueillir le souffle, sans le diriger, ou, si le mental est plus agité, commencer par compter les respirations[1].
La méditation s’approfondit d’elle-même. Il importe d’accueillir tout ce qui se présente de l’extérieur comme de l’intérieur (pensée, émotion, douleur, état d’âme….) mais sans s’y attacher et surtout sans jugement, sans se juger.
Une fois le mental calmé, on peut accompagner intérieurement chaque expir d’un son comme le « Mû » (prononcé MOU), s’appuyer littéralement sur le souffle qui descend pour s’engager de tout son être dans un mouvement ou l’on se donne jusqu’au fondement. Le sentiment de la base qui nous recueille s’élargit, s’enracine. On se sent de plus en plus densément unifié jusqu’à se vivre comme un bloc intensément vivant, animé par le souffle et vibrant au rythme des battements cardiaques.
Ce qui demandait encore un effort au Moi existentiel se fait maintenant de soi-même et c’est l’énergie même du zazen qui nous emmène en bas, vers le centre. Celui-ci est vécu comme l’éclosion soudaine d’une présence claire et vaste, tranquille, empreinte de silence. On peut avoir le sentiment d’être rentré chez soi, ou que la couche de nuages s’est dissipée. Cela peut être aussi perçu comme un redressement et une ouverture, venus de l’intérieur et qu’alors tout devient simple. Ce qu’il y a de remarquable dans cet état est une « porosité » de notre « être au monde » qui non seulement n’est plus limité mais ou ce qui nous entoure est perçu dans une proximité intime. La dualité entre l’extérieur et l’intérieur s’est dissoute, il n’y a plus de vulnérabilité et un sentiment de parfaite sécurité. On a atteint à ce moment le « camp de base » du zazen, par analogie à l’alpinisme. En langage du zen, c’est l’entrée dans le Samadhi et le début du vrai zazen.
La sesshin (littéralement « rassembler le cœur-esprit ») est une période de retraite intensive, dans un environnement et un emploi du temps « monastique », en groupe, guidé par une personne ayant une grande maturité.
C’est une période d’ascèse qui met à très rude épreuve le physique et le mental. Le doute, les douleurs, les pensées et émotions, l’ennui, le manque de sommeil sont des difficultés parfois cauchemardesques, à chaque fois retraversées pour s’ouvrir à nouveau au sens. Relever ce défi permet de réaliser un chemin qu’il ne serait pas possible de faire autrement et d’ouvrir sur des expériences spirituelles profondes.
Dans les monastères zen, les moines font une dizaine de sesshin par an. Ceci est évidement incompatible avec une vie active « laïque » mais déjà pouvoir faire une sesshin annuelle d’une semaine est précieux.
Lorsque le guide est un maître zen de l’école Rinzaï[2],, il utilise des kôans[3] pour faire progresser et tester son disciple. Le kôan est une sorte d’énigme sur laquelle achoppe la réflexion rationnelle et dont la réponse surgit de la profondeur de la méditation et doit être exprimée au maître avec toute sa corporalité.
Les expériences. Il y a une phénoménologie de l’expérience intérieure (des vécus) lors de la pratique intensive du zazen. Celle-ci est reproductible aussi bien d’une personne à l’autre que chez la même personne.
Les expériences ne durent pas et elles ne sont pas une fin en soi. Ce qui importe vraiment est la transformation très progressive de la personne. Il y a aussi de nombreuses expériences dites hallucinatoires – makyo en japonais- et donc un grand risque de se fourvoyer en pensant avoir fait une expérience décisive, ou d’errer d’expérience en expérience, sans entrer vraiment dans la profondeur. L’authenticité de ce qui est vécu doit impérativement être confirmée par un Rôshi.
La tradition zen répugne à parler du zen en général et de ses vécus en particulier. Eizan Roshi dit « le monde du zen commence ou s’arrête le monde des mots ». Pourtant tous les maitres insistent sur l’importance:
Car entré en Samadhi et en concentrant de plus en plus l’énergie spirituelle qui en découle, le méditant poursuit son chemin de dépouillement de soi, s’enfonçant de plus en plus dans le monde du silence. Il peut s’ouvrir à des vécus d’une grande profondeur spirituelle tantôt dans l’espace de l’intériorité (« boire à la Source », comme disait Jacques Breton) tantôt dans l’ouverture à l’au-delà de soi dans une qualité Affective (vécu du cœur sans limite) qui peut parfois prendre une dimension « cosmique ».
Le kenshô (« expérience de l’éveil », « vision de sa vraie Nature » ou « expérience du Bouddha »), peut survenir soudainement, souvent provoqué par un évènement extérieur inattendu (son, vue, choc…) ou une douleur ou spontanément, alors que la personne est en état de Samadhi. Tenter de décrire ce vécu n’aurait pas de sens, tout au plus peut-on suggérer sa dimension d’éternité. Bien que rare, le kenshô n’est pas exceptionnel et il n’est pas un point d’arrivée mais plutôt un point de départ : l’entrée sur la « grande Voie ». Bien que le disciple n’en n’ait au début pas conscience, il s’est opéré une véritable révolution de son monde intérieur. Il a acquis un savoir, totalement non conceptuel et non exprimable, qui le libère des grandes questions et peurs sur la mort, Dieu et le sens de la vie, et l’installe dans la valeur de l’instant présent. Il y a par la suite un lent travail, de plusieurs années, pour le « digérer », s’en détacher et l’intégrer.
Pendant la sesshin la succession des temps d’assise méditative et des temps d’activités (repas en commun, jardinage, nettoyage du monastère…) rend sensible l’articulation entre intériorité et activité extérieure et communautaire.
Le quotidien est in fine là ou se réalise le vrai sens de l’exercice.
Pour celui dont la vocation n’est pas de devenir moine ou prêtre, il s’agit de s’engager pleinement dans le monde et la société, en y reversant ce que lui apporte la vie méditative. Les effets, d’abord expérimentés de façon transitoire, s’approfondissent et se consolident très progressivement, sur des années, comme le montre le témoignage de nos « ainés » sur la Voie.
L’exercice du zen développe l’attention à la réalité telle qu’elle est, et aide à vivre le moment présent. Relié à son for intérieur et au souffle, cela procure un heureux sentiment de liberté, tant vis-à-vis des évènements extérieurs que par rapport à soi-même. Il se développe aussi une vitalité joyeuse et positive. L’ancrage dans le « Hara », source de sécurité intérieure et de calme, permet d’être soi-même, de façon authentique et ouverte, et de pouvoir accueillir l’autre tel qu’il est. L’expérience renouvelée de cet « espace essentiel» qui nous relie fait naitre un profond sentiment de solidarité avec les autres avec le monde. La vie prend sens, quelle que soit l’apparente banalité du quotidien.
Est-ce que la Voie du zen, sortie de son contexte culturel et religieux, se suffit à elle-même ? Le témoignage de Jacques Breton dans son dernier livre « La traversée de l’obscur »[6], et l’expérience de mon propre chemin me font penser que non. La méditation zen est une pratique « solitaire », qui bien sûr nous ouvre sur notre être essentiel, mais qui n’est pas forcement suffisante pour épanouir l’expression de notre affectivité dans la relation à l’autre, mûrir l’art de «l’être ensemble » tendre et confirmant, source du bonheur humain. Le zen n’est probablement pas toujours suffisant non plus pour nous libérer de nos blocages, fruits de notre histoire et de celle de notre famille, qui nous empêchent de nous déployer pleinement.
« Regardez autour de vous : la vie ne va pas sans la souffrance. Le bébé, quand il naît, souffre. Forcement on perd des personnes que l’on aime, on tombe malade alors qu’on voudrait être en bonne santé. Et tous on va mourir. Et la douleur d’une mère qui perd son enfant ? Alors quand vous faites zazen, est-ce que vous pensez à vos souffrances passées ? Non ! Zazen lave le corps et l’esprit. Zazen permet d’être vraiment humain, de garder l’esprit juste, d’aider les autres. C’est pour ça que vous faites zazen. Zazen c’est des vitamines pour votre cœur-esprit (âme)[7] » (Eizan Rôshi).
[1] Dans ce cas on compte souvent de 1 à 10 puis on recommence.
[2] Dans le zen il y a deux principales écoles, l'école Sôtô et l'école rinzaï. Le posture est la même mais il y a des différences. Par exemple les deux écoles se réfèrent aux kôans, mais l'école Rinzai est caractérisée par son usage des kôans. En particulier c'est maître Hakuin qui a revu la manière d'utiliser les kôans. Or le centre Assise près de Mishima, ce monastère ayant été fondé par Hakuin. Cf. Les relations entre Eizan Rôshi du Ryutakuji et le centre Assise de 1986 à 2017.
[3] Dans d'autres messages du blog, seront mis un certain nombre de kôans que Eizan Rôshi a mis en scène dans ses enseignements. La plupart des kōan ont été compilés aux XIe et XIIe siècles.
[4] Le samadhi est un état profond de concentration : « Quand on rentre dans le samadhi, c'est inconscient. S'il y a quelque part cette pensée : "Je rentre en samadhi", ce n'est pas bon. Si vous dites "ça y est, j'y suis", ce n'est pas cela, car on rentre dans le samadhi sans savoir que c'est le samadhi.» (Eizan Rôshi). On parle de samadhi en zazen, mais aussi de samadhi dans d'autres activités.
[5] Le kenshō survient quand on est en samadhi. Le mot kenshō (見性) signifie « voir la nature » en japonais.
[6] Le titre complet est Itinéraire singulier d'un prêtre catholique (la traversée de l'obscur) Cf. Le livre de J. Breton "Itinéraire singulier d'un prêtre catholique" : présentation, préface, introduction, index.
[7] En japonais Eizan Rôshi utilise le mot shin (心) qui se traduit par "cœur" (le kanji lui-même vient d'un dessin du cœur-organe) ou par "esprit" ; par ailleurs en français e mot "esprit" dont il est question avec le mot shin pourrait aussi être traduit par "âme".