Esprit neuf de débutant
« Nous devons avoir l’esprit neuf d’un débutant, affranchi de toute possession, un esprit qui sait que tout est en changement continuel. Rien n’existe si ce n’est momentanément dans sa forme et sa couleur actuelles. Une chose coule en une autre sans pouvoir être saisie. Avant la fin de la pluie, nous entendons un chant d’oiseau. Même sous la neige épaisse, nous voyons poindre des perce-neige et des pousses nouvelles. » (Shunryu Suzuki)
Shunryu Suzuki (1904-1971), de la lignée du Zen Soto est un descendant spirituel direct du grand Dogen. En 1958, il s’installe à San Francisco. Nait ainsi le groupe de méditation Zen Center qui a essaimé en sept centres.
Voilà le prologue de son livre Esprit zen, esprit neuf, collection Points Sagesses (numéro 8), traduit de l’américain par Sylvie Carteron, réédité plusieurs fois.
Esprit neuf de débutant
Shunryu Suzuki
Un esprit du débutant contient beaucoup de possibilités, mais celui de l’expert en contient peu.
On dit que pratiquer le Zen est difficile, mais il y a malentendu sur la raison. Ce n’est pas parce qu’il est dur de s’asseoir en tailleur ou d’atteindre l’illumination que c’est difficile. C’est difficile parce qu’il est dur de garder l’esprit pur et la pratique pure dans le sens fondamental.
L’école zen s’est développée de plusieurs manières après son établissement en Chine, mais en même temps elle est devenue de plus en plus impure. Mais je ne veux pas parler du Zen chinois ou de l’histoire du Zen. Ce qui m’intéresse, c’est de vous aider à ne pas laisser votre pratique devenir impure.
Au Japon, nous avons l’expression shoshin, qui signifie « esprit de débutant ». Le but de la pratique est de garder toujours notre esprit de débutant. Supposez que vous ne récitiez la Prajna Paramita [Hannyah Shyngyô] qu’une seule fois. Ce pourrait être une très bonne récitation. Mais que se passerait-il si vous la récitiez deux fois, trois fois, quatre fois, ou plus ? Vous pourriez facilement perdre votre attitude originelle envers la Prajna Paramita. Ce sera pareil dans vos autres pratiques zen. Pendant un certain temps, vous garderez votre esprit de débutant ; or, si vous continuez à pratiquer un, deux, trois ans ou plus, vous pourrez peut-être faire des progrès, mais vous risquez de perdre la signification illimitée de l’esprit originel.
Pour les disciples zen, le plus important est de ne pas être dualiste. Notre « esprit originel » embrasse tout en lui-même. Il est toujours riche et se suffit à lui-même. Vous ne devriez pas perdre votre état d’esprit qui se suffit à lui-même. Ce qui ne veut pas dire un esprit fermé, mais en fait un esprit vide et un esprit prêt. Si votre esprit est vide, il est toujours prêt pour quoi que ce soit, il est ouvert à tout. L’esprit du débutant contient beaucoup de possibilités, l’esprit de l’expert en contient peu.
Si vous faites trop de distinctions, vous vous limitez. Si vous êtes trop exigeant ou trop avide, votre esprit n’est pas riche et ne se suffit pas à lui-même. Si nous perdons notre esprit originel qui se suffit à lui-même, nous perdrons tous les préceptes. Quand votre esprit devient exigeant, quand vous désirez fortement quelque chose, vous finissez par violer vos propres préceptes : ne pas mentir, ne pas voler, ne pas tuer, ne pas être immoral, etc. Si vous gardez votre esprit originel, les préceptes se garderont eux-mêmes.
Dans l’esprit du débutant n’existe pas la pensée ; « J’ai atteint quelque chose. » Toutes les pensées égocentriques limitent notre vaste esprit. Lorsque nous n’avons pas l’idée de réalisation, pas l’idée de soi, nous sommes de vrais débutants. Alors nous pouvons réellement apprendre quelque chose.
L’esprit de débutant est l’esprit de compassion. Lorsque notre esprit est compatissant, il est illimité.
Dogen-zenji, le fondateur de notre école, insistait beaucoup sur l’importance de retrouver notre esprit originel illimité. Nous sommes alors toujours sincères envers nous-mêmes, en harmonie avec tous les êtres, et nous pouvons vraiment pratiquer.
Le plus difficile est donc de garder toujours votre esprit de débutant. Il n’est pas nécessaire d’avoir une profonde compréhension du Zen. Même si vous lisez beaucoup de livres sur le Zen, vous devez lire chaque phrase avec un esprit neuf. Vous ne devriez pas dire : « Je sais ce qu’est le Zen », ou « j’ai atteint l’illumination ». C’est aussi le vrai secret des arts : soyez toujours un débutant. Faites très, très attention à ce point. Si vous commencez à pratiquer zazen, vous commencerez à apprécier votre esprit de débutant. C’est le secret de la pratique zen.