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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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1 novembre 2025

Méditation de Bernard Feillet sur nos défunts

Méditation de Bernard Feillet sur nos défunts

Le 2 novembre on commémore les défunts, c'est l'occasion particulière de penser à ceux qui nous ont quittés. Mais qu'en est-il de “la Présence de tous ces êtres du temps, qui ne sont plus aujourd’hui sous notre regard et qui pourtant nous habitent” ? C'est entre autres sur cette question que Bernard Feillet médite au début de son livre L'errance. En voici des extraits.

B. Feillet décédé en 2019 était prêtre. C'est en 1969 que lui fut confiée la chapelle de la nouvelle gare Montparnasse. Jusqu'en 1976 il y exprima sa mystique et y attira tous ceux, croyants, mal croyants, incroyants, qui avaient besoin de respirer dans une communauté accordée aux questions du temps. Après 1976 il vécut dans des paroisses de Seine-et-Marne. Ses livres entretiennent l’espérance : Christ es-tu un homme ? et Paix d’incertitude (1971), Les fils dépossédés (1975), La nuit et le fou (1983), L’errance (1997), L’arbre dans la mer (2002), L’étincelle du divin (2005), sans compter de nombreux petits fascicules, et les livres d’entretien, L’instant d’éternité avec Jean Sulivan (1978), Patience et passion d’un croyant avec Marcel Légaut (1976). L'errance a été réédité plusieurs fois, on peut aussi le trouver sur https://www.ebooksgratuits.com/details.php?book=1666

 

 

Méditation de Bernard Feillet

 

Extraits de L'errance

 

 

Avant d’être une affirmation de la foi, la Résurrection est une expérience spirituelle, et comme toute expérience décisive, elle est longue, difficile, progressive. Que serait d’ailleurs une affirmation qui ne serait fondée sur aucune expérience, et que serait une expérience qui ne serait pas la nôtre ? Il s’agit pour nous dans le déroulement de notre propre vie de découvrir ce que Jésus a découvert dans la sienne. La trace qu’il nous a laissée peut nous aider, mais elle ne peut nous suffire. Et comme aujourd’hui nous ne sommes pas entrés dans la mort, nous nous tenons avant le seuil de révélation, nous sommes en cours de découverte et ce n’est pas d’abord la proclamation de la Résurrection du Christ qui nous éclaire, mais plutôt ce que nous pouvons saisir de l’approche quotidienne qu’il en a fait : parce que cette approche est aussi la nôtre.

(…)

La Résurrection est ainsi une expérience en cours, comment nous étonner qu’elle ne soit pas lumineuse ? Elle est une manière de saisir notre être inachevé, en cours d’accomplissement. Nous ne pouvons pas en faire un usage qui nous permettrait de porter un regard suffisant sur le monde ou sur la vie des autres : comme si nous savions et que nous étions les seuls à savoir. C’est une tension de l’être qui soutient notre attente et peut donner aux événements quotidiens une vibration qui les fait échapper à leurs contours. Ce que la Résurrection opère en nous, c’est que tout peut prendre place dans une vision plus vaste, que les limites demeurent, mais qu’elles ne nous enferment pas. Elle est l’entreprise même de l’existence, elle nous permet de lire notre vie comme une parabole évangélique que nous serions en train d’écrire. Tout contribue à lui donner corps et elle ne relève pas seulement de nos convictions, comme si la foi était une conviction qui puisse avoir prise sur l’inconnaissable, elle s’inscrit dans le désir et dans l’intuition que notre vie nous dépasse, comme si elle avançait en avant de nous.

 

Nous avons trop vécu en pensant que nous devions, au nom de Dieu, défendre des convictions et les enseigner aux autres, alors qu’il s’agissait d’abord d’un itinéraire, d’un parcours à accomplir, d’une œuvre à achever.

(…)

Ceux qui ont fait partie de notre vie ont auprès de nous une présence plus charnelle et moins symbolique : ils ont été pour nous plus décisifs. Je ne sais pas comment nous pourrions vivre si nous n’étions pas précédés dans la mort par des êtres très proches dont le passage à travers nos jours est encore ouvert. Sans eux nous serions inexpérimentés, angoissés d’être livrés à notre seul parcours. Dans le souvenir de ce qu’ils furent se tient la dimension pacifiante de la mort. Pourrions-nous affronter la mort si nous n’avions pas connu leur amour, éprouvé avec eux la passion de la vie, si nous n’avions pu ensemble partager ce bonheur ?

 

Présence de tous ces êtres du temps, qui ne sont plus aujourd’hui sous notre regard et qui pourtant nous habitent, ils sont devenus notre seul lien avec l’éternité. De l’éternité nous n’avons pas d’autre connaissance que celle d’un souvenir qui se déploie au-delà du temps présent. Les morts nous mettent en disposition d’éternité.

 

À d’autres moments, nous nous demandons vraiment ce qu’ils sont devenus. Nous n’avons plus d’image et les souvenirs s’estompent. Aussi l’éternité n’est-elle pas un souvenir, c’est un secret. Il ne s’agit pas tant de percer le secret que de savoir où il se tient. Céder à la tentation de la foi, c’est prétendre dévoiler le secret, désirer le mettre en pleine lumière ; l’expérience spirituelle est de tenter d’en habiter la résidence.

Les souvenirs s’effacent et ne peuvent résister à l’usure du temps, sauf lorsque nous y tenons tellement que nous les réinventons. Le secret se tient derrière la mémoire et ne peut être détruit, il est le secret de l’être, il est l’être lui-même. Le secret est ce que nous devenons sans que nous le sachions, il est cette communion indicible entre notre être et le mystère de Dieu. Il est aussi en nous présence de la vie des morts, simple présence de plus en plus silencieuse quand le temps nous éloigne de l’instant où ils nous ont quittés, présence que ne dispersent plus les paroles.

 

Là où réside le secret, l’annonce du mystère de Dieu ne se distingue plus de ce que devient l’humanité dans l’être de chacun. Ne pas tenter de percer le secret, mais se laisser habiter par lui, car à travers nos vies la révélation n’est pas achevée, elle s’accomplit dans le temps. Celui qui est habité par le secret n’est plus impatient, il ne regrette plus sa jeunesse et son bonheur est d’accepter de vieillir doucement. Comment s’étonner que nous ne puissions plus rien dire sur l’infini qui s’annonce au-delà du temps et qu’aucune parole de foi ne puisse rendre compte du mystère de Dieu ? Dire que l’on croit en Dieu, c’est encore chercher Dieu hors de nous-mêmes. Nous sommes de Dieu et rien de lui n’est dicible si ce n’est pour traduire ce que nous éprouvons dans cet étonnement d’exister qui se confond avec l’étonnement d’être de Dieu.

 

La mort de la mère est un nouvel enfantement. La parole de l’Apocalypse : « Je ferai toute chose nouvelle » est une parole de mère à ses enfants. Et plus encore cette parole de Dieu et cette parole de mère : « J’essuierai toute larme de leurs yeux. » Certes, dit Dieu, je ne les empêcherai pas de pleurer, je ne les dispenserai pas de la souffrance, la blessure demeurera la blessure, mais j’essuierai leurs larmes. La souffrance inconsolable des mères est d’essuyer les larmes sans supprimer la peine. Quand ces paroles de Dieu arrivent jusqu’à nous, nous leur donnons d’être vraies, car la parole de Dieu n’est pas une parole de vérité si elle ne naît pas dans nos cœurs. Mais quand elle est reçue dans un cœur d’homme, elle cesse d’être retenue dans un livre clos. Elle redevient vivante comme au temps du prophète qui l’a prononcée pour la première fois.

(…)

Comme il est dur de se quitter sans s’être tout dit. Dans les premiers temps on éprouve cette douleur : j’aurais aimé lui dire et je n’ai pas pu le dire. Comment pourrions-nous éviter cette douleur, puisqu’elle est la douleur de la mort, dans ce dialogue inachevé qui ne pouvait pas être conduit au terme. La mort c’est que le dernier mot n’est jamais prononcé.

 

Avec le temps, le dialogue reprend doucement, parfois sans paroles, et pourtant nous entendons qu’en nous-mêmes l’entretien se poursuit, qu’il ouvre un chemin. Après tout ce n’est pas si grave de n’avoir pu l’achever quand il nous semblait que c’était encore temps, puisque entre vivants nous en étions incapables et que le don que nous accorde la mort est de le poursuivre.

 

Heureusement qu’il y a la mort, elle nous permet d’atteindre ce qui était hors de notre portée : celui qui entre dans la mort ne casse pas la relation que nous entretenions avec lui, il la transforme. Nous nous découvrons différents – et nous le savons – parce que notre lien à la vie a changé. D’une part nous lâchons prise et de l’autre nous vivons plus intensément. La vie nous paraît plus importante, plus fragile aussi : elle impose sa nécessité comme le seul espace qui nous est donné pour devenir nous-mêmes.

La mort de celui qui a habité notre vie nous interdit toute fuite dans l’éternité. Elle nous rappelle que l’éternité n’est pas notre affaire, car ce n’est pas nous qui y avons accès. Cependant l’éternité n’est pas absente, nous y pensons, mais c’est au cœur de la vie. Celle-ci s’annonce plus vaste, d’autant plus vaste que sa limite est plus affirmée. La mort de l’autre accomplit en nous son œuvre de dépouillement. Et l’on se surprend à penser : heureusement qu’il y a la mort, pour que nous puissions être vivants. C’est l’insondable mystère de l’enfantement : nous sommes à nouveau mis au monde. La mort de l’autre, par la rupture de ce lien qui nous unissait à lui, nous fait naître à notre propre vie.

 

Si nous reconnaissons que nous sommes ainsi transformés, parce que nous éprouvons que la rupture n’est pas une séparation, nous sommes entrés dans l’univers de la présence. Une fois que nous avons accompli ce que nous avons à faire – notre petite tâche quotidienne –, nous apprécions différemment nos entreprises et nous nous demandons : de quelle présence ai-je été le créateur ?

 

Seule importe, en définitive, la naissance de tout être à l’immensité. Pour nous comprendre et découvrir celui que nous sommes en train de devenir, pour dévoiler la permanence de notre être à travers les étapes de notre évolution, pour que s’apaise notre inquiétude sous les regards des autres, nous nous souvenons de ceux qui nous ont précédés. Avec nous, ils ont partagé le pain et le temps, ils ne s’assoiront plus à notre table puisque notre dernière fête a été de les déposer en terre : ils sont devenus nos êtres d’éternité. Leur présence, que l’absence révèle, est la source à laquelle s’abreuve notre soif d’éternel. Ils sont pour nous les hommes du lien essentiel.

 

Parce qu’ils ont été proches de nous, l’éternité qui est leur univers et qui n’est pas encore le nôtre ne nous est pas tout à fait étrangère. Qui peut dire dans quel lien charnel s’enracine notre espérance ? C’est un secret que chacun porte en lui et qui ne peut pas être dévoilé. Il est le fondement de l’espérance intime et il n’appartient qu’à ceux qui l’ont partagé.

 

L’homme est le seul vivant sur terre qui s’interroge sur l’infini. Parfois il le nomme Dieu, mais aussi selon sa culture, tout au long des âges, il le désigne autrement ou s’abstient de lui attribuer un nom. Il peut se contenter de se laisser traverser par une interrogation dont il ignore la réponse.

 

 

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