Demeurer à l'écoute du maître intérieur
Pour Karlfried Graf Dürckheim le 3e élément essentiel de ce qu’il appelle la "psychothérapie initiatique" est "Rester à l'écoute du maître intérieur". Être à l'écoute du Maitre Intérieur pour le thérapeute, c’est être à l’écoute de l’être essentiel de l’autre, de l’enfant divin qui a envie de naître et de favoriser cette naissance par son rayonnement, sa parole et quelquefois par des attitudes étranges….
Ce message est la suite de Prendre en considération des moments privilégiés de l'existence qui concernait le 1er élément essentiel de la psychothérapie initiatique, et de Rétablir le lien entre "moi ordinaire" et "Être essentiel" qui concernait le 2e élément essentiel, le tout étant un texte de Jean-Yves Leloup présenté au début.
Demeurer à l'écoute du maître intérieur
Jean-Yves Leloup
L’exercice initiatique n’a pas pour but le simple perfectionnement du corps que l’on a, mais la transparence à ce qui est au-delà de l’espace et du temps. Le lâcher-prise est une attitude profonde de confiance et d’abandon en la force qui nous habite : présence du Tout Autre en chacun de nous. Ce Tout Autre, Graf Dürckheim l’appelle encore : le maître intérieur.
Dans les traditions bibliques, on insiste particulièrement sur l’importance de l’écoute. Le premier commandement, avant « Aime Dieu et ton prochain », c’est : « Écoute ! »
Aimer sans écouter l’autre, c’est toujours dangereux. Cela n’a sans doute plus rien à faire avec l’amour, puisque le sens de l’altérité qui est inclus dans l’écoute n’est pas respecté.
Un collègue de l’hôpital me disait qu’il considérait un malade comme guéri le jour où il se montrait capable de l’écouter, c’est-à-dire de ne pas interpréter immédiatement ses paroles selon les critères et la logique de son propre délire.
Si cette capacité d’écouter est le signe même de la santé mentale, la qualité essentielle d’un thérapeute sera donc de savoir écouter ; plus que sujet « supposé savoir », le thérapeute est « supposé écouter ».
Une certaine qualité d’écoute et d’attention permet d’entendre non seulement le récit des troubles et des souffrances liés aux mémoires traumatisantes de la petite enfance, mais aussi d’entendre la grande détresse de l’Être essentiel qui n’a jamais eu l’occasion de se manifester.
Par la qualité de cette écoute, le thérapeute éveillera le patient à ce niveau de profondeur refoulée qui est à la racine de son trouble et de son malaise. Il ouvre alors au patient la porte sur son propre mystère ; il joue, pour ainsi dire, un rôle initiatique... (…)
A ce sujet, Graf Dürckheim écrit :
“Le médecin qui est ou voudrait être homme tout entier et désire, par suite, traiter le patient tout entier doit apprendre à créer chez celui-ci également les conditions permettant à l’homme de guérir à partir de son être essentiel et d’en témoigner dans le monde. Certes, cette tâche sollicite dans le thérapeute non le médecin, mais le maître, le gourou. Cela ne doit pas effrayer les thérapeutes d’aujourd’hui. La thérapeutique initiatique implique que l’on guide l’homme sur la voie intérieure, dans le sens où les maîtres de la vie véritable l'ont fait au cours des millénaires. Et à notre époque, le thérapeute qui veut être en mesure de répondre aux souffrances les plus fondamentales n’a pas d’autre choix que de se préparer à cette tâche”. (Exercices initiatiques dans la psychothérapie, cf. Le travail du thérapeute selon Graf Dürckheim)
Le thérapeute, entré lui-même sur le chemin initiatique, ne console pas, ne donne pas de pilules, ni de calmants... A la limite, on pourrait dire qu’il ne guérit pas, mais il accompagne sur le chemin.
Cela peut quelquefois sembler cruel, mais c’est important. Il ne s’agit pas par exemple de “priver” quelqu'un de sa dépression et de lui donner tout de suite des tranquillisants parce que c’est peut-être pour cette personne la chance de revenir à l’essentiel, de changer de vie.
(…)
Le thérapeute sur la voie recherche la guérison de l’être ; aussi il ne vient pas combler les manques immédiats, il ne vient pas combler le désir, il le creuse au contraire jusqu’à cet infini (de détresse parfois) que l’infini seul peut combler.
Cette attitude est difficile et même dangereuse. Le thérapeute doit savoir où il conduit, et il ne peut pas conduire plus loin que là où on est ; et si on n’a pas touché cet au-delà de la mort, il peut tuer l’autre ou le déséquilibrer davantage... Et cela n’a rien d’initiatique !
Le thérapeute et le patient doivent rester tous les deux à l’écoute du maître intérieur. Être à l'écoute du Maitre Intérieur pour le thérapeute, c’est être à l’écoute de l’être essentiel de l’autre, de l’enfant divin (cf. Jung) qui a envie de naître et de favoriser cette naissance par son rayonnement, sa parole et quelquefois par des attitudes étranges, déroutantes pour le “petit moi.” (…)
Ce qui demeure décisif pour le thérapeute et pour le patient, c’est l’adhésion à la loi fondamentale du processus initiatique, cette loi qui peut être considérée comme l’action même du maître intérieur dans nos vies.
C’est le grand « Meurs et deviens ! ».
« Il n’y a pas d’éclosion sans anéantissement préalable, pas de renaissance sans destruction, pas de vie nouvelle sans le mourir. Et ce mourir est toujours celui du devenir, adversaire du non-advenu... Chaque fois qu’une situation acquise satisfaisante rassure l’homme, son devenir par l’être essentiel est en péril. La vie amène sans cesse inévitablement chacun de nous à la limite de sa résistance, au point où il n’en peut plus, où il n’est plus capable de supporter une obligation trop lourde, une souffrance, un chagrin. C’est par le dépassement de cette limite, qui comprend l’anéantissement de ses propres exigences, que s’ouvre à lui la porte du mystère. »
C’est la loi ontogénétique fondamentale : « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt, il ne s’élèvera pas au jour, il ne portera pas de fruit. »
La psychothérapie initiatique est aussi « un art de mourir et de ressusciter » ! (…)
La perception d’un au-delà du moi ne minimise pas le rôle et la fonction du moi. Il le situe simplement à sa place et lui demande de ne pas entraver l’éclosion de l’homme ailé : celui qui a les plus profondes racines... Et qui témoigne, à travers une vie souvent jugée paradoxale, de la présence de l’Être dans le monde. « Transcendance immanente » à laquelle Graf Dürckheim a voué un grand amour et une longue fidélité.