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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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7 mars 2018

"Prière du corps, le Kinomichi" : Entretien de Pierre Willequet avec Maître Masamichi NORO, revue Source n° 23, 1989

Le Kinomichi, fondé à Paris en 1979 par Maître Masamichi NORO (1935-2013) est un art d'origine japonaise dans la tradition du Budô. S'adressant aux hommes et femmes de tous âges, cette pratique non compétitive offre une expérience de respect, d'ouverture et d'harmonie. Souple, fluide et dynamique à deux, elle privilégie entre autres l'équilibre en mouvement, la force interne, la souplesse, la perception de son corps, des autres et celle de son environnement.

Me Noro fut un des principaux disciples de Maître Ueshiba, fondateur de l'Aïkido. Par ce lien, le Kinomichi tire son essence de la tradition des arts martiaux. Le contact des récentes découvertes des gymnastiques douces occidentales a aussi influencé l'émergence de cet art, véritable synthèse entre Orient et Occident. Le Kinomichi est pratiqué partout en Europe. En France les Dojo de Kinomichi sont affiliés à la FFAAA (Fédération Française d’Aïkido, d’Aïkibudo et Affinitaire) (D'autres informations figurent en note 2).

Une autre interview de Maître Masamichi Noro figure sur le blog au II de Ecrits de J. Breton sur Maître Noro et le Kinomichi, puis Interview de Me Noro : "Union entre terre et ciel : le KINOMICHI" .

 

Prière du corps, le Kinomichi

Entretien de Pierre Willequet[1] avec Maître NORO

paru dans la revue Source n° 23 de 1989

 

Prière du corps, le KinomichiPrésentation :

Orient et Occident s'observent parfois sans se comprendre. L'approche du corps et de son sens constitue l'un des domaines où fort heureusement des êtres tentent de (ré)concilier ce qui, dans chacun des deux mondes, est destiné à nous faciliter le chemin. Maître Noro est de ceux-là. Formé au Japon dans la plus stricte tradition, il a également passé plus de 25 ans de sa vie en France. À cette occasion, il s'est mis à l'écoute de nos mentalités, de nos corps, de nos difficultés et a su s'y adapter sans rien perdre de sa spécificité. Il a créé sa propre méthode : le Kinomichi, et il nous propose, grâce à elle, de réveiller les mémoires endormies : celle du corps, du geste juste, de la lenteur, du silence. De découvrir que l'intégration lente des apparentes contradictions telles que fermeté et aisance, vélocité et souplesse, force et paix, constitue peut-être une des composantes de l'âme japonaise. De retrouver enfin cette douceur ferme et cette vitalité caressante qui font d'un mouvement, d'un contact, un acte de création.

 

 

ENTRETIEN :

► Maître Noro, pourriez-vous nous rappeler comment est née votre méthode, le Kinomichi ?

Me Noro : Cette méthode est née en 1979 et est issue d'une longue préparation. J'ai étudié, et continué à étudier, mais la principale source est l'apport de mon Maître, Maître Ueshiba[2], avec lequel j'ai vécu de longues années. À l'époque, beaucoup de grands Maîtres d'autres disciplines parlaient de lui comme étant un homme possédant une grande nature mais, de mon point de vue, j'ai toujours connu quelqu'un de très simple.

Un petit événement a été, me semble-t-il, à la base de la création de la méthode : je pratiquais un jour avec un ancien collègue qui actuellement fait de l'art martial et, à la fin des exercices, il m'a dit : Merci beaucoup. Je lui ai demandé pourquoi il me remerciait et il m'a répondu : Parce que je suis bien ! Je me sens ouvert et mon corps revit ! Cela a été un choc pour moi car, jusqu'à présent, je n'utilisais ces techniques que dans un but antagoniste, amenant à la peur et la méfiance. Pourtant, dans l'enseignement, il était toujours question d'amour[3], de compréhension de l'univers, etc… mais dans la pratique ce n'était pas vrai du tout. Il était sous-entendu que si on allait jusqu'au bout de cette peur, cet affrontement, on pourrait retrouver l'amour et peut-être même la joie et la paix, mais je me sentais devenir de plus en plus agressif, méfiant, apeuré… Et cet homme se trouvait là qui me disait Merci beaucoup ! Et c'était sincère, au point qu'il me proposa de nous rencontrer régulièrement pour travailler ensemble. C'était donc aussi un apport de la technique, mais plus créatif, et je comprenais alors que cette pratique pouvait être utilisée à des fins d'ouverture, de confiance, où les partenaires pourraient se dire tout simplement Merci !

Un autre fait marquant dans la création de ma méthode fut une rencontre qui eut lieu en 1971. Jusque-là mon travail était très technique et efficace, mais un jour j'étais tellement épuisé que deux de mes amies françaises, kinésithérapeutes, Mlle de Noiret et Mlle Foix, m'ont dit : Votre corps est fatigué… Allez, venez chez nous. J'ai accepté leur proposition. Mais j'étais extrêmement méfiant, comme je vous l'ai dit, et également très fermé, aussi bien physiquement que dans mon esprit. Elles ont donc commencé leurs exercices qui étaient à base d'étirements des bras, des jambes, de la nuque, etc… et ma première réaction a été le refus. Je ne pouvais l'accepter… Mais au bout de quelques temps, je me suis dit : C'est bizarre, malgré cette méfiance quelque chose en moi se transforme, intérieurement, je me sens différent. J'ai commencé à participer à ce qu'elles me proposaient et, une heure plus tard, j'étais comme transfiguré, aussi bien physiquement et mentalement. Cela a été un événement terrible pour moi et, à partir de ce moment, mon corps a refusé la pratique telle que je la faisais auparavant. Je suis sorti de là dans un état extraordinaire, et à ce moment-là aussi, j'ai pu dire Merci ! Il m'a semblé alors que ce mot pouvait être parfaitement associé au mot amour dans mon Maître nous parlait si souvent.

Bien sûr, ce sont là des éléments parmi d'autres et je ne puis vous dire exactement : Voilà ce qui m'a permis de créer le Kinomichi. Tout un ensemble de choses m'a aidé à créer cette méthode.

► Vous nous avez raconté que vous aviez eu un terrible accident de voiture dans les années 60[4], et que cet accident avait fait basculer quelque chose dans votre vie et vous avait permis de comprendre autrement votre travail…

Me Noro : Oui. J'ai appris que, du jour au lendemain, on peut passer de la toute-puissance de la maîtrise à… n'avoir plus rien. Cela a été la mort de mon orgueil peut-être. J'ai vraiment cru que j'étais un homme fini, que je ne pourrais plus jamais travailler mon art ; mon orgueil était brisé. C'est vrai que cela a été le tout premier pas vers autre chose.

Au moment où j'ai commencé à accepter cet état de perte totale, j'ai pu être vraiment créatif. J'ai beaucoup plus travaillé après l'accident qu'avant, par exemple. Il fallait que je retrouve, par le travail, le "Noro" qui était perdu puis, un jour, je me suis regardé et je me suis dit : Mais qu'est-ce que cela ? Et j'ai admis de laisser tomber beaucoup de choses. Dürckheim[5] dirait peut-être que j'ai laissé tomber mon petit moi, voilà ! À ce moment-là, j'ai touché la source de vie, et le Kinomichi est créé dans ce but.

J'ai pu vraiment m'ouvrir à toutes sortes de techniques que, jusqu'alors, je méprisais totalement. J'ai notamment travaillé avec Mme le Dr Ehrenfried qui m'a beaucoup aidé, et j'ai pu admettre d'être influencé par d'autres techniques occidentales sur le corps. Toutes ces personnes qui essayaient de trouver un lien entre le corps et l'esprit, Gerda Alexander, Feldenkrias… m'ont beaucoup intéressé et je me suis mis à travailler là-dessus.

 

Kinomichi, Voie de l'énergie► En rapport avec ce que vous venez de dire et pour les personnes qui n'ont encore jamais pratiqué votre méthode, quel est le but ultime de votre démarche, et à quoi mène-t-elle ?

Me Noro : Oh ! Il est très difficile de répondre à cette question parce qu'ici, en Occident, depuis des dizaines de siècles, il existe un fondement aux recherches de force et d'efficacité (qui existe d'ailleurs également dans les enseignements spirituels), qui est le dualisme, l'opposition, le bien et le mal, le blanc et le noir, bien séparés. Et cette base aboutit actuellement à des résultats très contraires à ceux recherchés par le Kinomichi. Par exemple, les sportifs mesurent naïvement leur force en rapport avec leur capacité à se contracter ! Je dis, moi, que la force naît de la totale ouverture et de la décontraction.

J'ai beaucoup observé les élèves, vous savez – cela fait 27 ans que je suis en France – et dans un premier temps, lorsqu'ils veulent faire un mouvement, leur corps est fermé comme s'ils avaient une carapace de tortue sur le dos ; l'esprit, lui aussi, est totalement crispé et soi-disant "concentré" ! Ils croient donc que la concentration est un état de fermeture. Ensuite, agressivement, toute cette force explose vers l'extérieur. Moi, je dis non ! Le départ de l'action est en totale décontraction. Ouverture totale, confiance.

Si vous regardez d'un peu plus près l'état de fermeture, vous remarquerez que lorsque nous sommes angoissés, notre cœur est opprimé, tout est bloqué. Suite à cette fermeture, et comme un barrage qui cède, il nous est possible de libérer, dans une crise ou un hurlement, une énergie terrible et très impressionnante. C'est la destruction totale de la personne.

Du point de vue respiratoire également, il se passe la même chose : Allez, inspirez à fond ! Allez-y ! Puis vient cette déflagration de l'expiration, comme une explosion d'énergie, elle aussi.

En médecine, c'est la même chose. Je ne suis pas médecin, c'est entendu, donc je ne puis pas en juger, mais il y a de nouveau ce point de vue dualiste vis-à-vis de la maladie et de son traitement : il y a là une maladie, un microbe, et au lieu de penser d'abord à l'équilibre global et unifié de la personne, on se dit qu'il faut tuer ce microbe, avec tel ou tel médicament ; ou se débarrasser de la partie malade. Peut-être peut-on imaginer que la réalité est un peu différente… Il est envisageable de penser que si notre corps est en équilibre, il libère une force de vie extraordinaire, puisant à la source vitale dont je vous parlais tout à l'heure. Peut-être, à ce moment-là, la maladie disparaît d'elle-même ? C'est une question, je ne puis l'affirmer, mais c'est aussi une intuition. Nous avons en nous la capacité de développer une force de purification. L'homme est en même temps très puissant et extrêmement fragile, et nous devons tenir compte de cette fragilité. Donc, face à la maladie, ne pas avoir, comme réaction immédiate, de vouloir tuer, mais beaucoup plus de se purifier. La base du Kinomichi est peut-être cela.

Si nous continuons comme maintenant encore quelques dizaines d'années, nous allons vers l'autodestruction de l'homme. Nous le savons très bien d'ailleurs. J'ai, moi aussi, longtemps vécu et travaillé dans la voie du dualisme et de l'affrontement mais, ayant touché à la source de vie qui est amour et paix, je ne puis revenir en arrière. Beaucoup de gens me traitent d'utopiste ! Et actuellement, je suis encore en recherche, je n'arrêterai pas. Cette perfection est infinie, je ne l'atteindrai donc jamais, mais j'avancerai vers cet infini[6].

 

Le KI est création

 

► À propos du concept de Ki, pourriez-vous nous dire ce que vous entendez par là, et ce que cela peut être concrètement pour nous, Occidentaux ?

Me Noro : Nous ne savons pas à quelle époque est né le mot Ki. Il a une origine chinoise, et vous savez que depuis des millénaires, les chinois ont effectué nombre de recherches sur la longévité de la vie et l'immortalité. Bien avant Jésus Christ, dans l'alchimie de ce pays, et chez les taoïstes, on retrouve cette quête de l'immortalité. Le saké par exemple est à l'origine un élixir de longue vie. Et donc, l'origine du mot Ki est intimement liée à cette recherche. Il y a 3000 ans à peu près, les anciens de la Chine avaient bien compris que deux choses existaient dans notre vie, l'esprit et la matière, autrement dit le ciel et la terre, le père et la mère. Et ils ont perçu aussi que le corps et l'esprit devaient être bien harmonisés, que c'était là l'essence de la paix. Au moment où un déséquilibre s'installe entre corps et esprit, la maladie arrive. Au moment où le corps et l'esprit sont séparés, c'est la mort. Entre les deux, il existe donc une troisième force qui est primordiale. C'est elle qu'il faut chercher, et voilà l'origine de ce mot Ki.

Le mot riz également a une origine spirituelle : pour créer le riz, il faut de l'eau, beaucoup d'eau et il faut aussi la force de la lumière et de la chaleur, du soleil, donc du feu. Et ces deux éléments joints créent le riz. Le riz signifie donc union de la force du feu et de l'eau. Donc ciel et terre.

► Mais le mot Kami, qui signifie Dieu, comporte également ces deux éléments, non ?

Me Noro : Oui ! Ka c'est le feu et Mi c'est l'eau. Et le mot Ki signifie originellement la manifestation du riz, ou, pour moi, la manifestation de Dieu. Ici, quand on parle de Dieu, il y a tout de suite une image donnée, mais pour nous Japonais, il n'existe pas ce genre d'images. Ki, c'est réunir le corps et l'esprit, c'est l'union des opposés, l'unité.

► Peut-on arriver à sentir le Ki nous traverser, d'une manière tout à fait concrète et réelle ?

maître NoroMe Noro : Certainement… Mais avant tout, nous devons comprendre que nos cellules, notre esprit, notre corps, tout notre être tend vers cette unification de manière spontanée, sans besoin de le ressentir ou de le penser. À chaque instant, l'univers, notre être, se dirigent et tendent vers l'unité. Alors, on peut me répondre que de l'autre côté, il existe aussi la destruction ! Mais dès ce moment, nous entrons dans le dualisme. Dans l'exercice, j'utilise toute ma force et toute ma détermination vers le côté de l'unification, de l'harmonisation. Il y a là un lien très fort avec ce que nous pouvons vivre dans la respiration. Lorsque vous êtes gai, heureux, vous expirez et lâchez votre souffle, et par ce souffle, vous créez une dimension, un espace de plus en plus grand autour et en vous. Et là, vous pouvez développer cette conscience de l'expiration. Mais l'inspiration doit être passive. Grâce à une expiration bien vécue, elle viendra d'elle-même, librement et justement. Pour vivre, je dois développer cette conscience de l'expiration et à partir de là, créer un espace. Ce à quoi je pense, ce vers quoi je tends, c'est la création ; elle, je la rends consciente, et je n'ai pas besoin de penser à l'autre côté, car il vient de lui-même, librement, dans la mesure où j'ai pu vivre pleinement mon élan créatif, expansif. Pour moi le Ki est création. Découvrir et habiter le plus grand espace possible par la conscience de son expiration, c'est cela le travail du Ki.

Mais actuellement, à cause de la peur, du stress, les forces de fermeture sont de plus en plus développées : quand vous avez peur, ou que vous êtes brutalement saisis, que se passe-t-il ? Vous inspirez subitement en montant intérieurement. C'est la même chose lorsque nous sommes tristes, déprimés. L'inspiration prend une importance énorme. C'est une erreur considérable que de travailler sur l'inspiration comme étant une possibilité du développement humain. Vous voyez tous ces gens qui vont à la campagne ou devant la mer et qui disent à leurs enfants : Allez ! Inspirez ! Prenez du bon air ! Non ! C'est une monstrueuse erreur ! C'est une vieille méprise qui comprend notre corps comme une machine qui a besoin de tel et tel élément pour fonctionner. C'est faux ! Mais il y a peu de gens prêts à l'accepter. C'est tellement lié à l'éducation…

Je ne suis pas du tout en train de dire que l'expiration est bonne et l'inspiration mauvaise ; ce que je veux faire comprendre, c'est que dans la mesure où on peut vivre et créer vraiment une expiration juste, totale et créative, l'inspiration qui suit est elle aussi radicalement différente, et créatrice elle aussi. Notre vie est souffle. Inconsciemment, l'inspiration monte en nous, c'est la loi de la nature. Mais si je me concentre sur l'inspiration c'est la destruction, car je rends ce qui par nature est passif, actif. Je vais donc à l'encontre des lois de la nature.

 

KIAI, l'harmonie du Ki, revue Source n°23, 1989« Je cherche le mouvement qui unifie »

► Dans vos cours, vous nous répétez d'être concentrés… tout en n'étant pas concentrés ! Qu'entendez-vous par là ?

Me Noro : Ce mot "concentration" est un piège. Le visage est le miroir de notre état intérieur. Si quelqu'un est soi-disant concentré, on remarque qu'en fait il a souvent un visage presque grimaçant, complètement figé. C'est très, très bizarre. Bouddha a toujours un demi-sourire dans son attitude de méditation. C'est un état d'équilibre, d'unité qui s'exprime là. Dans l'exercice de l'assise en silence également, beaucoup de personnes semblent entrer dans une cage, dans ce piège du mot méditation ou concentration. En Occident, peut-être est-ce très lié à la culture. On associe très souvent le fait d'être concentré à un état de grande fermeture ; regardez le Penseur de Rodin, et l'attitude physique qu'il manifeste ! Peut-être est-ce que cette manière d'être amène au développement de l'humain ? Peut-être… Mais mon chemin est différent. L'importance primordiale donnée à la pensée, ici, accentue cet état de fait. Et cette vision des choses a un impact énorme chez les Occidentaux.

C'est pourquoi je dis souvent aux élèves : Ne vous concentrez pas ! Pour moi, la vraie concentration est l'unification du corps et de l'esprit, mais beaucoup de personnes utilisent ce mot à l'envers, dans le sens de repli sur soi. Je remarque aussi que très souvent les personnes qui étudient les exercices spirituels de l'Orient font la grimace, caricaturent les gestes et attitudes qu'ils croient être celles des grands sages d'Extrêmes-Orient. Un de ceux-ci n'a-t-il pas dit un jour : Une rivière peu profonde et très agitée en surface, alors que le fleuve profond reste calme et tranquille… Mais ici, ces gens se sentent obligés de se laisser pousser de grandes barbes et d'adopter des gestes et des manières totalement empruntés, c'est ridicule. C'est de cette image-là de la concentration que je veux me débarrasser, ainsi que dans mes cours.

Quand les gens du Centre arrivent avec cette tête-là, je leur tire l'oreille ! Pour moi, le sourire, sourire ensemble, c'est une prière. J'essaie de transmettre cette importance de l'ouverture et du sourire[7], mais beaucoup refusent ; et ce que beaucoup refusent aussi, dans les exercices, c'est un réel contact de peau à peau, à cause d'une grande méfiance.

 

Maître Noro, ciel terreLe Kinomichi, prière du corps

► Vous dites parfois qu'on peut voir effectivement le Kinomichi comme une prière…

Me Noro : La prière, c'est l'unification de l'homme avec l'univers. C'est cet état-là. Pourquoi avons-nous reçu ce corps si ce n'est pour l'utiliser à faire des mouvements ? Et le mouvement, à quoi peut-il être utilisé ? À l'unification, l'harmonisation entre l'homme, la terre, le ciel… l'univers. Même quand nous dormons, notre corps bouge, énormément ! Mais pour quoi faire ? Pour nous unifier. Inconsciemment même, notre corps cherche cette unification. Malheureusement le geste et le mouvement, comme la respiration d'ailleurs, peuvent être utilisés à des fins de destruction. Moi je cherche le mouvement qui unifie ciel, terre, homme, et c'est cela la prière. Ici, dans la prière, on pense avant tout au fait de demander quelque chose : Donnez-moi ceci, donnez-moi cela… Mais si je regarde les grands sages et les vrais Maîtres, ils ne demandent jamais rien ! Jamais ! Au contraire, leur force est le don. Mais avant de parler de cela, il faut pratiquer, et encore pratiquer… Malheureusement, beaucoup de personnes pensent qu'au bout d'une heure elles peuvent sentir où cela mène ! C'est ridicule. Parce que tout en nous se transforme, et cela prend beaucoup, beaucoup de temps... Quand les personnes s'inscrivent chez moi, souvent je leur dis : Dans 30 ans, vous verrez ! Dans 50 ans, vous verrez ! Mais c'est l'unique voie : le temps. Il n'y a rien à faire, c'est comme ça.



[1] Comme Jacques Breton à qui est dédié le blog "Voies d'Assise : vers l'Unité", P. Willequet fut un proche de Karlfried Graf Dürckheim et était déjà élève de Maître Masamichi Noro lorsque le Kinomichi fut créé en 1979.  Il est aujourd’hui responsable de l'enseignement du Kinomichi en Suisse et dirige le Dojo de Genève.

[2] Maître Morihei Ueshiba (1883-1969) est le fondateur de l'Aïkido. En 1961 Tadashi Abe rentre au Japon après avoir passé 10 ans en Europe, et suggère à Maître Ueshiba d’envoyer un délégué en France. Kishomaru (fils de Me Ueshiba) propose alors à son père de donner cette mission à Masamichi Noro qui quitte le Japon pour Marseille en tant que Délégué officiel de l’Aïkido en Europe et en Afrique (il est cinquième dan). En 1975 Maître NORO obtient par équivalence pour lui-même et 29 de ses instructeurs le Brevet d'Etat de Professeur de "Judo et méthodes de combat assimilées" avec l'option Aïkido. En septembre 1979, il rompt avec l'Aïkido et crée le Kinomichi.

En 2001 est créée La KIIA (Kinomichi Instructors International Association) qui regroupe tous les instructeurs (Shidoin). En 2021 est née l’IKA (International Kishinryū Association) : https://kinomichi-international.org/, c'est une association multidisciplinaire d’arts martiaux et non martiaux. On y trouve des documents et vidéos : https://kinomichi-international.org/category/kinomichi/ En France, également en 2001, le Kinomichi est affilié à la FFAAA (Fédération Française d’Aïkido, d’Aïkibudo et Affinitaire) en tant que discipline affinitaire, et en décembre 2004 cette Fédération est agréée par un arrêté paru au Journal Officiel : le Kinomichi est reconnu par le ministère de la jeunesse et des sports. Marque déposée par Maître Noro en 1983, le "kinomichi" est tombé dans le domaine public en 2017. Plus d'informations sur La transmission du kinomichi : Documents disponibles, principes de la nomenclature…

[3] Morihei UESHIBA disait : « Mon Aïkido est amour» 合氣は愛なり.

[4] En 1966, maître Noro frôle la mort dans un accident de voiture. Il a de nombreuses fractures et surtout un poumon perforé dont il gardera des séquelles.

[5] Il s'agit de Karlfried Graf Dürckheim (1896-1988). Maître Noro le rencontre en 1969 après la mort de Maître Ueshiba, et K. G. Dürckheim devient son deuxième père spirituel. Il parle de lui dans l'interview mise au II de Ecrits de J. Breton sur Maître Noro et le Kinomichi, puis Interview de Me Noro : "Union entre terre et ciel : le KINOMICHI" .

[6] A une question que lui posait Arnaud DESJARDINS sur son art, Maître Masamichi NORO répondit : « Si je pouvais expliquer mon art, je n’aurais plus besoin de l’étudier. »

[7] « Souriez… montrez les dents… soyez sexy… » étaient des injonctions très fréquentes de Maître Noro. « Le sourire est le signe du remerciement, de l'accueil et d'une énergie de construction. Avec le sourire, on se présente devant le maître et le partenaire. Avec le sourire, on rencontre l'autre.» (Maître Noro dans son Dojo en 2007)

 

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