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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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8 avril 2018

Introduction du cahier "L'éveil, naissance de l'homme", articles de J. Breton et H. Hartung : "Ouverture à d'autres traditions"

Voici des extraits du cahier de 112 pages intitulé "L'éveil, naissance de l'homme" réalisé par Max Dravet[1] en lien avec un week-end de Pentecôte où de nombreux textes avaient été exposés sur des panneaux. L'ensemble n'est pas daté, mais par recoupement, il semble avoir été fait en 1987, donc avant que Jacques Breton fonde le centre Assise et achète le domaine de Saint-Gervais en 1988 et avant les décès de Graf Dürckheim et Henri Hartung en 1988. Dans la première partie du recueil figurent des points de vue sur la possibilité ou non de s'ouvrir à d'autres traditions religieuses.

Après un extrait de la présentation de Max Dravet, figurent les points de vue de Jacques Breton (à qui le présent blog est dédié) et de Henri Hartung. Chacun renvoie à l'autre : H. Hartung cite J. Breton, et J. Breton mentionne le centre de Fleurier fondé par H. Hartung comme ayant été important dans son itinéraire. Une présentation de H. Hartung figure à la fin pour dire qui étaient Henri Hartung et le centre de Fleurier, occasion de rendre hommage. Pour J. Breton vous trouverez de nombreuses choses sur le présent blog.

 

 

Naître de nouveau

Début de l'introduction écrite par Marx Dravet

 

« En vérité, en vérité, je te le dis, si quelqu'un de nouveau ne naît pas, il ne peut voir le royaume de Dieu. »[2]

Au moment d'écrire ces lignes, me reviennent les propos de Jacques Breton l'an dernier à la même époque. Il est animateur des groupes de méditation selon l'esprit de Dürckheim dont il est l'assistant. Les chrétiens, disait-il – je cite de mémoire – célèbrent à Noël la naissance historique de Jésus le Christ ; il ne faut pas pour autant oublier un autre aspect essentiel, c'est-à-dire que l'enfant divin qui est un être, c'est nous-mêmes et que, de cet enfantement, nous sommes nos propres parents.

Depuis notre première naissance en ce monde, grâce à nos parents géniteurs nous n'avons pas vraiment vécu, nous n'avons pas vraiment existé au niveau qui nous constitue fondamentalement. Par cette "nouvelle" naissance, nous avons à naître à notre vraie nature et personnalité, à notre être essentiel ou divin.

On trouve l'écho de cela dans toutes les traditions religieuses de l'humanité pour exprimer l'éveil à un autre niveau de conscience : les Orientaux disent "illumination", "satori" ou "conscience de Bouddha" ; les chrétiens disent après Paul de Tarse : « Ce n'est plus moi qui vit, c'est Christ qui vit en moi » (Ga 2, 20).

 

Peut-on être chrétien et s'ouvrir à d'autres traditions ?

 

I – Point de vue de Jacques Breton

 

ouverture, PiemIntroduction

Prêtre, appelé à vivre un ministère traditionnel dans l'Église catholique, des événements importants – mai 1968, la rencontre avec Karlfried Graf Dürckheim, la vie dans un monastère bouddhiste zen[3], et plus récemment la découverte du centre de Fleurier – sont venus bousculer l'ordre bien établi de ma vie sacerdotale.

Ils m'ont ouvert aux autres traditions religieuses. Je découvrais étonné, bouleversé, qu'elles étaient porteuses de toute une lumière divine, de toute une vie divine. Elles venaient remettre en question une foi encore trop proche de la croyance. Au début, je suis passé par des moments très difficiles ne sachant plus où se trouvait la vérité. Mais petit à petit au contraire, cette rencontre avec les autres traditions m'a aidé à purifier ma foi et à l'approfondir. Actuellement je crois vivre plus en Christ, en esprit et en vérité, et je suis très heureux de cette ouverture à une autre dimension de la vie spirituelle, plus universelle. C'est à la suite de cette expérience que je vous livre les réflexions qui suivent.

 

Certains déplorent notre époque, cause pour eux de tant de maux. Il est vrai qu'elle développe une forme de matérialisme qui atteint le religieux. Mais à l'inverse on peut y voir une sorte de purification si nécessaire pour redonner à la religion sa véritable place dans un cheminement spirituel. Et aussi, devant l'ennemi commun, une alliance sacrée est en train de se réaliser entre les différentes traditions pour sauver le spirituel – et d'une façon générale l'homme –, telle la rencontre organisée par le Vatican à Assise[4]. Ceci permet de dépasser les préjugés, d'établir de vrais dialogues, et de reconnaître les richesses vécues dans les différentes traditions. Mais la question se pose : jusqu'où peut aller cet échange sans compromettre notre foi ? est-il nécessaire pour notre cheminement spirituel, ou en reste-t-il à une reconnaissance mutuelle ?

Il est vrai que, puisque toute tradition est le fruit d'une longue expérience qui s'est nourrie au cours des siècles, elle possède en elle-même tout ce qui est nécessaire pour conduire l'homme à la pleine réalisation de lui-même.

Par exemple, pour un chrétien, croire au Christ, c'est avoir la certitude qu'en lui nous trouvons le salut c'est-à-dire la libération de tout ce qui entrave notre cheminement, mais aussi ce que nous recherchons, la Vie divine. « Je suis le chemin, la vérité et la vie » a dit le Christ Pour un catholique, croire au Christ c'est aussi croire en l'Église qui est fondée sur ses apôtres. Elle transmet la vérité du Christ et, à travers les sacrements et l'éthique sous-jacente, permet de réaliser ce passage de la mort à la vie tel qu'il a été vécu dans le Christ.

Ainsi chaque tradition possède sa doctrine, sa morale, ses rites, ses communautés spécifiques. Cependant n'y a-t-il pas une prétention dangereuse à se considérer comme l'unique voie ? À l'inverse, si un chrétien ou un bouddhiste n'était pas convaincu que la voie qu'il prend est la vraie, n'y aurait-il pas ou bien un danger de syncrétisme ou bien le danger de passer continuellement d'une tradition à une autre selon l'humeur du moment ? Comment sortir de ce dilemme ?

 

1995-01- J Breton et Eizan RôshiPendant plusieurs siècles, il est vrai, l'Église catholique s'est prétendue l'unique détentrice de la vérité : en dehors d'elle il n'y avait pas de salut possible. Elle considérait les autres traditions comme des impasses, des religions naturalistes, c'est-à-dire qui ne menaient pas au vrai Dieu, et même, à la limite, des œuvres sataniques !

 Certes le concile de Vatican II (1962-65) a ouvert les portes lorsqu'il a proclamé dans la Déclaration sur les relations de l'Église avec les religions non-chrétiennes, § 2 :

« L'Église catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions (bouddhisme, hindouisme…). Elle considère avec un respect sincère ces manières d'agir et de vivre, ces règles et doctrines qui, quoiqu'elles diffèrent en beaucoup de points de ce qu'elle-même tient et propose, cependant apportent souvent un rayon de vérité qui illumine tous les hommes…
Elle exhorte donc ses fils pour que, avec prudence et amour, par le dialogue et la collaboration avec ceux qui suivent d'autres religions, ils reconnaissent, préservent et fassent progresser les valeurs spirituelles, morales, socioculturelles qui se trouvent en eux. »

Et pourtant, il faut aller plus loin, et affirmer qu'aucune "tradition" ne "possède" la vérité : vérité sur Dieu, vérité sur l'homme, vérité sur l'homme dans sa relation avec Dieu. Certes, nous croyons que Dieu est la vérité. Et si nous croyons au Christ, nous affirmons que, par ce qu'il est, il nous révèle qui est Dieu et qui est l'homme. Cependant  cette révélation nous a été transmise non par le Christ directement, mais par ceux qui en ont fait l'expérience, les apôtres du Christ, les évangélistes, dans un langage propre – en l'occurrence le grec – et selon le tempérament de chacun. Et si nous avons la garantie qu'ils nous ont livré l'essentiel de l'enseignement du Christ et que cet enseignement est authentique, il n'en est pas moins vrai que malgré des siècles qui nous séparent des apôtres, nous n'avons pas fini d'explorer le Christ, de l'approfondir. C'est ce qui fait dire à saint Jean : « C'est l'Esprit qui nous conduira à la vérité tout entière. »

Oui, c'est le rôle, le travail des exégètes, des théologiens, mais aussi de tous les chrétiens, de creuser cette parole, et surtout de l'actualiser, c'est-à-dire de la rendre présente à notre vie. Car même si nous ne croyons pas au progrès, nous ne pouvons nier que s'accomplit toute une évolution humaine qui modifie notre connaissance du monde, des sociétés, de l'homme lui-même, et par là-même notre manière de juger, de penser, et qui modifie aussi nos relations au monde, nos relations sociales, et finalement notre relation à Dieu.

 

● Les ambiguïtés dues au langage.

La théologie que nous avons aujourd'hui est en grande partie celle de saint Thomas d'Aquin, le grand théologien de l'Église catholique. Or il ne faut pas oublier qu'il a puisé dans la sagesse grecque mais aussi dans la philosophie arabe (et donc musulmane) la science pour construire sa célèbre Somme théologique. Et pourquoi pas ?

Mais de plus, tout langage, du fait qu'il est le fruit d'une culture – et donc d'une histoire – est toujours limitatif. Chaque mot que nous employons ne véhicule qu'un aspect de la réalité qu'il essaie de définir. Même certains sont porteurs de beaucoup d'ambiguïtés.

Quand nous parlons du "corps", est-ce le corps physique ou le corps que l'on est ? Quand nous parlons du "monde", s'agit-il de l'univers ou du "mondain" ? Et que dire des mots "charité", "liberté"… ?

Une autre culture emploiera d'autres mots qui justement feront apparaître d'autres aspects de cette réalité. Dürckheim dit souvent que, dans ses conférences, il n'exprime pas la même chose quand il parle en français et en allemand. Il est du reste significatif et paradoxal que deux de ses interviews en français ont été traduites en allemand et ont eu un grand succès par ce qu'elles révélaient de nouveau.

Aussi, si je lis les Upanishad ou l'œuvre d'un soufi, je découvrirai une autre approche du divin par suite du langage même qui y est employé. Du reste, il est important de renouveler notre langage, les mots s'usent vite et ne nous parlent plus, et facilement nous tombons dans le ronron quotidien.

 

● L'apport des expériences vécues dans les différentes traditions religieuses.

Il faut aller encore plus loin. J'écrivais plus haut que notre foi chrétienne s'appuie sur l'expérience d'autres qui nous ont précédés. Mais toute expérience est unique. Même si elle est authentique, c'est-à-dire si elle est une véritable expérience de Dieu, l'homme qui la vit est unique, puisqu'aucun homme ne ressemble à un autre. Elle va donc traduire une forme, une manière originale de vivre la relation au divin. Celui qui la transmettra, quelle que soit sa tradition religieuse, me communiquera une autre manière de sentir, de vivre le divin, une meilleure connaissance du cœur de l'homme… Il sera donc toujours un éveilleur. Car, à travers sa propre expérience je retrouverai toujours une part de ce que je suis, sans pour autant pouvoir l'imiter en tout.

Quelle différence entre l'expérience d'un Ramana Maharshi et d'un saint François d'Assise ou d'un saint Jean de la Croix ! Et pourtant, c'est le même Être qu'ils révèlent, et chacun me fait découvrir une autre approche de Dieu aussi vivante, aussi riche, aussi vraie. À moi d'en saisir ce qui peut être lumière aujourd'hui pour ma vie. L'expérience mystique n'a pas de frontière et ne peut être en contradiction avec ma foi pour autant que je crois en un seul Dieu.

 

● L'influence des conceptions sociales sur la vie chrétienne...

Et puis il est important de comprendre qu'une religion, quelle que soit la vérité de son essence, est tributaire de la civilisation, de l'histoire, de la société qui la vit. Comme le mot l'indique, la "religion" est ce qui relie l'homme à Dieu. Si Dieu ne change pas, l'homme change et peut passer par des périodes d'obscurantisme, de rationalisme, de sentimentalisme, etc. Et cela va influencer la vie religieuse elle-même.

Il est certain que l'Église catholique a vécu des périodes difficiles : l'inquisition, les croisades, une certaine forme de racisme, et surtout la dualité en donnant plus d'importance au dogme qu'à l'expérience spirituelle, en séparant le spirituel du temporel, mais surtout le corps de l'âme, etc.

Cela m'a toujours profondément étonné que le chrétien pour qui le symbole du corps est premier – Dieu vient à nous par le corps du Christ – ait pu tomber dans le mépris du corps. C'est vraiment un mystère. Je me demande si justement l'Esprit ne nous a pas laissé errer pour que nous nous tournions vers les sagesses orientales et que donc nous nous ouvrions à ces autres traditions.

 

● L'ouverture possible aux richesses des autres traditions.

Il est vrai que c'est par le bouddhisme zen que j'ai retrouvé l'unité à laquelle j'aspirais. Au fond, ma rencontre avec le bouddhisme a été pour moi un révélateur. J'ai retrouvé ma dimension verticale, cette présence vivante à tout ce qui est, et surtout la non-dualité, ce divin présent au cœur de tout homme qui s'unit à moi pour que je puisse exister en plénitude, cette réconciliation avec mon corps et d'une façon générale avec le cosmos.

Enfin, il est significatif que le Christ ne nous ait pas légué des manières propres de prier. Lorsque les apôtres l'interrogent : « Seigneur, apprends-nous à prier », il leur dit : « Quand vous priez, dites : "Père…" » (Luc 11, 1-2), mais il ne dit pas comment. De lui, il est dit seulement qu'il se retirait seul dans la montagne pour prier. C'est comme s'il laissait aux chrétiens la liberté de choisir leur mode de prière. S'il existe dans l'Église des traditions, surtout sur le plan liturgique, elles varient selon les époques et les lieux, comme la "prière de Jésus" ou le chapelet… Aussi la porte reste ouverte à d'autres formes de prière. Là, au moins sur ce plan, nous avons beaucoup plus de liberté que dans d'autres traditions religieuses qui ont elles-mêmes des formes plus rigoureuses. C'est une vraie richesse de s'ouvrir à d'autres techniques qui peuvent mieux s'adapter à notre tempérament, que ce soit le za-zen, la méditation yogi, la prière musulmane.

Oui, nous vivons une période extraordinaire. Quel enrichissement de pouvoir s'ouvrir aux richesses des autres traditions religieuses. Tout en stimulant notre ferveur, elles nous ouvrent à une meilleure connaissance du divin et à une meilleure connaissance de l'homme. Elles dégagent des perspectives nouvelles.

La fermeture, la routine étant les grands maux de la vie spirituelle, les autres traditions nous aident à approfondir notre foi qui risque trop souvent d'en rester au plan de la croyance ou des dogmes. Elles ouvrent notre cœur à une dimension plus universelle, plus humaine et plus divine en dépassant nos propres cultures, nos manières de penser, de prier, d'agir.

Apprendre à aimer comme Dieu aime tous les hommes.

 

II – Point de vue de Henri Hartung

 

Brève présentation d'Henri Hartung.

En 1938 Henri Hartung (1921- 26 juillet 1988) découvre l'œuvre de René Guénon avec qui il entretient une correspondance régulière jusqu'à la mort de celui-ci, et en 1947, en Inde, il rencontre Ramana Maharshi auprès de qui il fait l'expérience de la Présence. En 1963, il se lie d'amitié avec Karlfried Graf Dürckheim, cela dure jusqu'à leur mort la même année[5]. En 1977 Henri et Sylvie Hartung créent le centre de Fleurier en Suisse, un "Centre de Rencontres spirituelles et de Méditation".

Comme J. Breton le dit lui-même, le centre de Fleurier a été important dans son cheminement. Il ira régulièrement y animer des sessions zen, et inversement des participants de Fleurier comme André Scheibler viendront au centre Assise créé par J. Breton en 1988. Et Sylvie Hartung participe à la première Assemblée générale du centre Assise en 1989 en tant que membre d'honneur[6].

Henri Hartung a écrit des livres : Unité de l'homme (La Colombe, 1963) ; Spiritualité et autogestion (L'âge d'homme, 1978) ; Présence de Ramana Maharshi, (Cerf, 1979) ; L'Iris et le Lotus, longue marche sur la voie initiatique (Tredaniel, 1986)…

Certains chrétiens l'ont attaqué à propos de ce qui se vivait au centre de Fleurier d'où le ton de son article.

 

Il me faut ici, dès le début de cet article, aborder un aspect central de la recherche spirituelle chrétienne telle que certaines personnes la poursuivent à Fleurier, placée, bien sûr, sous la bénédiction et la référence du Christ, mais aussi sous le regard du Maharshi et dans le respect total de l'ensemble des points de vue traditionnels. Sauf à me faire un procès d'intention sur ce qui serait du syncrétisme dans cette approche réellement œcuménique de Dieu, comment et pourquoi condamner un tel travail sur soi-même ? Et si cela n'a pas beaucoup d'importance de me critiquer, il faudrait alors aussi rejeter ceux auxquels je me réfère, des saints Jean et Thomas au père Lassalle, de maître Eckhart à sainte Thérèse, du père Henri le Saux au père Bede Griffiths[7], sans oublier tous ceux et toutes celles dont les témoignages figurent dans ce numéro. Cela devient un peu plus difficile !

La question posée, en définitive, est simple. Les différents messages sacrés de notre histoire relèvent-ils d'une hiérarchisation ? Répondre par l'affirmative c'est assumer une double responsabilité, temporelle et spatiale :

– Dans le temps, d'abord, c'est pour un bouddhiste, déclarer qu'avant l'illumination du Bouddha, personne n'avait été en mesure de réaliser son état…. Pourtant décrit avec précision par des textes hindous bien antérieurs au VIe siècle avant notre ère. C'est, de même, pour un chrétien, constater qu'avant le Christ les hommes vivaient, sinon dans l'obscurantisme, du moins sans possibilité concrète de se fondre en Dieu.

– Dans l'espace, ensuite, c'est affirmer l'étonnant privilège du petit bébé né de famille chrétienne par rapport à ceux qui voient le jour au sud de l'Algérie, à Haïfa, au Tibet ou au Japon. Il en serait ainsi de même, pour notre vie intérieure, que pour notre existence extérieure : il y a des riches et des pauvres, les habitants des pays industrialisés – il n'y a pas si longtemps on disait civilisés – et le tiers-monde. Mais la différence entre les deux univers n'est peut-être pas celle que les Occidentaux imaginent comme le dit Bede Griffiths : « Je compris autrement les paroles de l'Évangile “Heureux les pauvres, heureux les affligés, heureux les affamés.” Les pauvres de l'Inde souffrent de la faim, de la soif et des maladies, mais ils vivent d'une grâce que l'Occident ignore. »[8]

S'il est acceptable, de la part d'un croyant, de privilégier sa propre voie et même, dans certains cas, d'ignorer les autres traditions, il est tout à fait différent, les connaissant mais sans en avoir vécu la réalité, de les considérer comme inférieures. C'est tout simplement du racisme spirituel !

Comme me le dit souvent le Père Breton : « Il n'y a qu'un Être, il n'y en a pas deux, cela serait impensable, je suis intimement persuadé que les bouddhistes font l'expérience de l'Être comme saint Jean de la Croix peut faire l'expérience de l'Être. » C'est plutôt de ce point de vue que nous devons sous-tendre notre réflexion spirituelle, en y ajoutant les conséquences négatives de cette hiérarchie des traditions.

Comme le dit Bede Griffiths : « Seul un mouvement œcuménique entre les religions, chacune apprenant à apprécier la vérité et la sainteté existant chez les autres, pourra répondre au besoin contemporain de religion[9]. »

 

Je constate que cette acceptation de l'unité traditionnelle, d'un "mouvement œcuménique", est difficile pour beaucoup de chrétiens. C'est, paradoxalement, au sein de la religion de l'amour, de celle qui privilégie l'assomption, magnifique expression qui signifie "prendre avec soi", que se rencontre tant et tant de réserves sur la validité d'un cheminement spirituel différent du sien dans la forme.

Confronté, par la position même du centre de Fleurier, à ce débat qui n'est pas toujours constructif, je partage la certitude intérieure d'une unité des traditions avec de nombreux amis hindous, bouddhistes, chrétiens et musulmans. Comme eux, je récuse la double conclusion que les adversaires de ce point de vue unitaire en tirent afin de mieux le rejeter. D'une part, le fait que l'ensemble des Orientaux serait sur une voie initiatique face à la médiocrité généralisée des chrétiens ; d'autre part, celui que l'ensemble des Occidentaux touchés par le message de l'Orient adopterait des comportements non seulement inadaptés à la vie moderne, et parfois même discutables sinon même scandaleux. Sans doute, les habitants de l'Orient – et plus particulièrement les hindous – sont-ils plus sensibilisés à la vie spirituelle que la majorité actuelle des Européens et est-il possible aujourd'hui encore de rencontrer aux Indes des sages, mais l'ambiance matérialiste moderne n'est pas l'apanage de l'Ouest ! Quant aux messagers de la tradition hindoue et aux transmetteurs du zen, si certains d'entre eux apportent le scandale en même temps que la lumière, c'est la Bible elle-même qui nous indique ce qui leur arrivera… et il convient de se méfier de toute généralisation. Prendre certaines défaillances comme une négation de la Vérité, c'est ignorer la nature de celle-ci et se laisser arrêter en chemin par le constat de la faiblesse humaine. Mais découvrir cette Lumière, c'est vivre concrètement la vertu d'espérance.

 

L'iris et le lotus, Henri Hartung



[1] Max Dravet, professeur de T'a¨-Ji Quan d'après ce qu'il écrit, animait un groupe intitulé "éveil / méditation" en publiant un bulletin mensuel. Le présent cahier faisait suite à une présentation de panneaux et de dessins lors d'une rencontre à la Pentecôte. Il reprend des articles ou des citations de Claude Metra, Alphonse Goettmann, Marie-Madeleine Davy, Bede Griffiths, Henri Hartung, Jacques Brosse, Taïkan Jyoji, Henri le Saux, Satprem, Deshimaru, Jeanne Guesné…

[2] Note de Max Dravet : la plupart des Bibles actuelles, dont celle dite de Jérusalem, traduisent ce verset de Jean 3, 3 : « à moins de naître d'en haut » alors que la Synopse les quatre évangiles (avec parallèles des apocryphes) des frères Benoît et Boismard, professeurs à l'École biblique de Jérusalem, traduit comme ci-dessus "si quelqu'un de nouveau ne naît pas…".

[4] Le 27 octobre 1986à Assise a eu lieu une "Journée mondiale de prière pour la paix avec des représentants des Eglises et Communautés ecclésiales et des Religions mondiales à l'invitation du Pape Jean-Paul II". Le centre Assise doit en partie son nom à cette rencontre (Cf. Historique du centre Assise et de Jacques Breton).

[5] Henri Hartung meurt le 26 juillet 1988, et Graf Dürckheim le 28 décembre 1988.

[7] Le père Enomiya Lassalle (1898-1990) est un jésuite allemand missionnaire au Japon qui y est devenu un maître zen dans l'école Sanbō Kyōdan de Yamada, tout en continuant à rester ouvertement chrétien, il a entre autres publié Méditation zen et prière chrétienne, Paris, Cerf, 1973 et La Méditation comme voie vers l’expérience de Dieu, Paris, Cerf, 1982 ; maître Eckhart (1260-1328) est un mystique rhénans dont la pensée est souvent rapprochée du zen ; Henri le Saux (1910-1973), bénédictin, a fondé avec Jules Monchanin l'ashram du Shantivanam en Inde, ami de Raimon Panikkar il a publié des livres dont Sagesse hindoue, mystique chrétienne, ( Centurion, 1966) qui a beaucoup marqué Jacques Breton ; Bede Griffiths (1906-1993), bénédictin a vécu à l'ashram du Shantivanam, il a écrit Expérience chrétienne, mystique hindoue,  éd du Cerf 1985, dont Henri Hartung cite ici deux passages.

[8] Bede Griffiths, Expérience chrétienne, mystique hindoue,  éd du Cerf 1985, p. 25.

[9] B. Griffiths, op. cité p. 28.

 

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