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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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17 août 2018

Le cheminement de Jacques Breton grâce à la thérapie initiatique. Extrait de "Itinéraire singulier d'un prêtre catholique"

Le centre Assise repose sur trois piliers, l'un d'eux étant la référence à Karlfried Graf Dürckheim. De ce fait un certain nombre de propositions d'exercices y sont faites. La référence est bien sûr ce que Jacques Breton le fondateur du centre a vécu au centre de Rûtte fondé par K G Dürckheim. Il aimait à en parler, c'est de son expérience personnelle qu'il s'agit ici.

À Rütte l'exercice intérieur sur les émotions s'accompagnait d'autres activités thérapeutiques, en particulier[1] :

  1. le dessin méditatif,
  2. le travail de l'argile,
  3. le tambour
  4. le massage (Leibthérapie),
  5. l'analyse des rêves.

Mais, attention, le mot "thérapie" n'est pas à prendre au sens qu'il a chez nous, comme le dit Dürckheim lui-même :

« En allemand le mot Heile signifie "salut" ; der Heile c'est "celui qui donne le salut". Heile c'est le salut, et die Heilekünde c'est aussi la médecine. Le mot Heile (salut) est très lié à ce que nous faisons ici. Ce n'est pas la psychologie qui compte. La psychologie de la profondeur va très loin, mais elle n'est pas tout. Il faut encore une étincelle de spirituel qui s'ajoute à la psychologie. Ce qui dirige mon travail, c'est la recherche de la transparence pour la transcendance intérieure. » (Entretien avec K. G. Dürckheim paru dans un cahier publié en 1986)

 Dans son livre, Itinéraire singulier d'un prêtre catholique (p. 57-71), Jacques Breton raconte le cheminement qu'il a pu faire grâce à ces cinq activités thérapeutiques, c'est ce qui figure en grande partie dans ce message. À partir de la page 79 il parle de la méditation assise pratiquée à Rütte dans l'esprit du zen, qui a été très importante aussi pour son cheminement, cela ne figure pas ici.

Jacques Breton, du fait de son histoire personnelle, met en valeur la "thérapie initiatique" en tant qu'elle s'occupe de “l'homme malade, et plus précisément de l'homme malade dans son âme”. En fait elle peut aussi concerner tout un chacun. Aussi en annexe figure un texte de Jean-Baptiste Lotz, (1903-1992) jésuite, dans un livre consacré à Graf Dürckheim et publié en 1990, Il montre qu'un autre aspect de cette "thérapie initiatique" relève du cheminement spirituel.

 

 

 

Le cheminement de Jacques Breton

grâce à la thérapie initiatique[2]

 

 

1979, Jacques Breton, à RütteJe suis arrivé au centre de Graf Dürckheim en septembre 1976. […] Je m'efforçais, à la demande de Dürckheim d'étudier mes difficultés psychiques et de reprendre toute ma vie depuis le départ en notant tous les instants pénibles. […]

Après deux ou trois mois de ce travail intensif, je me suis retrouvé petit enfant démuni, tout nu, avec la seule certitude que la vie était là au cœur de moi-même, comme une graine encore bien petite…. Jacques existait bien peu et il m'a paru évident que tout était à restaurer. Ce stade de purification, de nettoyage intérieur me conduisait à un véritable désert, une sorte de vide. Heureusement, des collaborateurs de Graf Dürckheim parlant français étaient plus disponibles et j'ai pu entreprendre avec eux tout un chemin de reconstruction.

 

1) Le dessin méditatif[3].

Je travaillais régulièrement le dessin méditatif avec une animatrice. Cela consistait, les yeux fermés, à laisser la main tracer des traits sur une feuille, alors que j'étais très concentré. Le dessin exprimait le mieux possible ce que je ressentais intérieurement. Pour être sincère, au départ, je ne pouvais tracer qu'une verticale. Elle m'aidait à remonter de la terre vers le ciel. Mais là, je ressentais tous les obstacles, les barrages qui s'opposaient à ce mouvement. Sur les points forts, j'essayais de creuser en dessinant des spirales pour faire apparaître la cause de ce blocage. Ce fut un exercice terriblement éprouvant.

 

L'arbre.

Cette verticale que je dessinais avec tant d'intensité, petit à petit prenait racine et allait devenir un arbre. Ce qui m'a toujours stupéfié dans cet exercice est la relation entre les lignes tracées et mon état intérieur. Non seulement elles l'exprimaient, mais elles agissaient aussi sur lui. Cette concordance allait m'aider considérablement sur mon chemin. En même temps que l'arbre s'enracinait sur mon dessin, j'avais moi-même l'impression de prendre racine dans le réel, alors qu'auparavant j'en étais coupé. Là, je prenais conscience de mes difficultés à rejoindre la réalité. Le manque d'un père, d'une mère en étaient partiellement la cause. Si c'est par eux que nous recevons la vie, c'est par eux aussi que nous y entrons et la faisons nôtre.

arbre de vie

Aussi, cet enracinement allait-il prodigieusement m'aider à me construire sur des fondations solides. À partir de là je pouvais laisser croître l'arbre. Il n'est pas étonnant que celui-ci soit le premier archétype que Jung ait décelé. Encore fallait-il vouloir qu'il grandisse. Mais est-ce que je me permettais d'exister ?

 

Méditer le « Je suis ».

C'est à ce moment-là que Dürckheim me donna à méditer ces deux mots : « Je suis ». Comme je l'exprimais dans mon premier livre Vers la lumière, j'ai violemment réagi, refusant de me les attribuer. Seul le Christ, étant identifié à l'Être, pouvait les prononcer en vérité car il était Dieu ; moi-même je n'étais qu'un homme, une créature. Je contournais la difficulté en me disant que je n'étais que par Celui qui me faisait être. La formule était juste mais elle exprimait encore un refus d'être. Au fond, ma relation à Dieu me dispensait d'exister réellement.

Mon humilité devenait paradoxalement un rejet de la terre, alors que le mot humus en latin veut dire "terre". Or je découvrais que la véritable humilité consiste, comme l'arbre, à puiser la sève vivifiante dans la terre qui est le merveilleux symbole du divin en tant que Mère nourricière, source de vie. Me donner le droit d'exister, n'était-ce pas comme la première réponse à l'Amour divin ?

Dans les évangiles, la première action du Christ a été de mettre l'homme debout. Combien souvent revient cette parole de Jésus : « Lève-toi et marche. »

Oui, la volonté de Dieu et que je sois pleinement moi-même. D'où viennent ces résistances, ces fuites, ces justifications ? J'ai peu à peu compris que j'étais envahi par la peur de souffrir. Des souffrances bien enfouies en moi allaient se faire jour.

 

La croix.

Ainsi l'arbre grandissait pour laisser la place à un autre archétype : la croix. Alors que, jusqu'à présent, je ne travaillais que la verticale, j'ai éprouvé la nécessité de tracer une horizontale.

Le trait, partant du fond, montait et s'ouvrait au milieu vers la droite et la gauche pour représenter une croix. J'avais l'impression en dessinant cette horizontale, d'aller vers les autres à partir du centre. Par contre, revenir vers le centre à partir des extrémités devenait intolérable. Si j'acceptais d'aller aux autres, il m'apparaissait impossible que les autres viennent à moi. Je découvrais combien il m'était facile de me donner, de me rendre disponibles à ceux qui m'entouraient, mais combien difficilement j'acceptais la réciprocité ! Est-ce que jamais réellement mon entourage ? Un amour qui ne va que dans un sens est-il encore un amour ? Et au fond, est-ce que je m'aimais ?

Le Dieu d'amour tel qu'il s'est révélé en Jésus-Christ n'est pas seulement don, il nous reçoit aussi comme fils, tel le père de l'enfant prodigue.

C'est alors que, dans mon dessin, est apparue la coupe, un grand demi-cercle, en bas de ma feuille de papier. D'une certaine manière, il représentait le bassin et il était relié à la terre. Je pouvais m'y abandonner et, par suite, me recevoir.

Mon côté yin (féminin) commençait à se manifester.

De cette coupe, l'arbre de la Croix prenait plus d'intensité et, entre autres, l'embranchement de l'horizontale avec la verticale devenait un véritable centre, centre qui allait prendre de l'ampleur grâce à la spirale. Elle partait du centre pour s'ouvrir de plus en plus et ainsi occuper presque toute la feuille de papier. Je commençais à me centrer et à m'unifier.

Pourtant cet exercice était loin d'être terminé. La coupe a fini par remonter au centre, tournée vers le ciel. Alors je me suis senti pousser à dessiner à partir de ce centre une autre coupe tournée vers la terre dans un très grand déchirement. C'est comme si mon cœur s'ouvrait dans une brisure pour recueillir ce qui venait de mon fond.

Pourquoi donc cette ouverture m'a-t-elle causé une telle souffrance ? Par la suite je l'ai compris. Je refusais cette profondeur car elle m'était trop douloureuse. J'avais enfoui dans mon inconscient tout ce que j'avais du mal à supporter et, entre autres, toutes les ruptures que j'avais vécues à la mort de mes proches. Il était temps maintenant de les affronter.

 

2) L'argile.

J'ai pratiqué aussi le travail avec l'argile qui repose essentiellement sur deux principes : le centre vital et le "laisser-faire".

  • Par le centre vital, je peux me rendre présent dans toutes les parties du corps et, en l'occurrence, dans les mains.
  • Par le laisser-faire, en prenant appui sur ce centre, je laisse les énergies intérieures agir. Ainsi, en laissant les mains faire, j'exprime ce qui se passe en mon intérieur.

Le thérapeute est là pour veiller à ce que le participant reste très concentré, les yeux fermés et très présent à son geste. Il l'aide à interpréter ce qu'il en est ressorti.

Et la terre exprime ce qu'il y a de plus archaïque dans notre nature inconsciente, tant sur le plan de l'ombre – tout ce que j'ai refoulé– que sur celui de la lumière – tous les archétypes et symboles de notre nature.

Cela m'a permis d'atteindre des régions très profondes de mon être. Que n'ai-je sorti de cette argile ! Quelle richesse nous habite ! Je me sentais de plus en plus relié à cette réalité qu'est la terre.

Quel étonnement quand, dans une espèce de mandala, le lion, la lionne allaient se transformer en êtres humains, et qu'au milieu allait naître un "petit prince" encore bien fragile. Puis allaient apparaître des archétypes spirituels comme la barque, la grotte, l'eau, le feu, etc..

homme-arbreL'expérience la plus forte, je l'ai vécue lorsque ma thérapeute m'a demandé, après avoir donné une certaine forme à mon travail, de le détruire. Proche de la révolte, je ne pouvais y consentir. Détruire l'œuvre ne serait-ce pas me détruire moi-même ? J'ai fini par lui faire confiance, la sachant bien inspirée et compétente. Alors, petit à petit, morceau par morceau, j'ai déchiqueté ce que j'avais fait. Plus je déchiquetais, plus j'avais l'impression de me quitter moi-même. Tout disparaissait peu à peu, pensées, sensations. Pourtant, je restais très conscient de ce qui se passait. J'entrais dans un autre niveau de conscience beaucoup plus intérieure, j'éprouvais la sensation de descendre plus au cœur de moi-même. Aurais-je vécu là un véritable lâcher prise de l'ego, une entrée dans le vide ? Je trouvais là un grand silence, une grande paix, loin de toute inquiétude, de toute pensée, de toute image.

Cette sensation, j'allais la retrouver bien des fois au cours de ce cheminement. Là, j'ai appris en quoi consiste la transformation de ma vie.

 

3) Le tambour.

Une autre thérapie très intéressante était pratiquée dans ce centre, celle du tambour. Une grosse caisse était placée devant nous, face au thérapeute. Il s'agissait de taper dessus avec un maillet. Alors il nous était demandé de jouer pour notre ami, notre ennemi.

 

Reconnaître  ses ennemis.

Je n'aurais jamais pensé combien la résonance de ce tambour allait agir sur mes sentiments et libérer mes difficultés relationnelles. Jouer pour un ami ne représentait aucune difficulté. Par contre, en jouant pour un ennemi j'aurais presque défoncé la peau du tambour ! Moi qui étais persuadé de ne pas avoir d'ennemis, voici qu'en pensant à une personne pour qui je n'avais aucune sympathie, je me défoulais de toutes mes rancunes bien contenues.

Que d'hypocrisie derrière une certaine morale vécue en façade ! La phrase « aimer ses ennemis » devrait nous donner à penser que nous avons des ennemis. Les aimer ne demande pas de les nier mais d'avoir un comportement juste. Combien il serait faux de ne pas reconnaître les antipathies, les réactions de révolte, de rejet, de dégoût ! Refuser ces sentiments ne conduit-il pas à les refouler, ce qui est toujours désastreux ? C'est ce que je faisais jusque-là. Par la suite, j'allais apprendre à les accueillir comme ils étaient, sans jugement, à les laisser, peut, se calmer et se transformer de l'intérieur.

 

Dépasser ses peurs pour communier avec l'autre.

Ce type de travail allait me faire vivre une expérience plus fondamentale encore. Mon thérapeute, à un moment, m'a demandé de jouer sur le tambour un certain rythme. J'en étais incapable. Alors il me dit : « Prenez le maillet et de toutes vos forces, dirigez-le vers moi comme si vous vouliez me frapper. L'ayant fait, chose étonnante, j'ai pu reproduire le morceau.

En fait, il m'avait aidé à dépasser mes peurs, mon refoulement pour atteindre l'autre et communier avec lui. Je découvrais combien l'émotionnel mal vécu devient obstacle à nos relations avec l'autre.

 

4) Une expérience de Leibthérapie[4] vécue en complément du dessin méditatif.

 

 

1979, Jacques Breton, RütteDécouverte de l'existence d'un barrage grâce au dessin méditatif.

Le corps est une mémoire prodigieuse. Tous les traumatismes, toutes les peurs s'y inscrivent et forment une espèce de kyste qui bloque les énergies, le mouvement de la vie. Ainsi, la difficulté que j'éprouvais à descendre au cœur de mon être provenait d'une sorte de barrage infranchissable que je sentais physiquement. La thérapeute qui m'avait pris en charge pensait qu'à cette profondeur, cela ne pouvait provenir que d'une vie antérieure. Comme je ne croyais pas à la réincarnation, toujours par le dessin qui est une véritable radiothérapie, j'ai essayé de localiser en moi l'endroit et d'y creuser avec la spirale. Quelle douleur !

 

L'aspect de la Leibthérapie qui s'occupe d'agir sur ce barrage[5].

Je dois ajouter qu'à côté du dessin méditatif, je travaille avec une autre thérapeute pour pratiquer la Leibthérapie : la thérapie du corps qu'on est, mise au point au centre de Rütte.

Le principe en est très simple. Dans la mesure où nous sommes très centrés, nous pouvons être présents tout entiers dans toutes les parties du corps. Ce n'est pas la main qui, par exemple, rencontre une épaule, mais c'est toute la personne à travers la main qui rencontre une autre personne à travers l'épaule. Ainsi, dans cette rencontre, tout un courant de vie peut s'établir. Mais là où il y a tension, obstacle, la vie ne passe plus. Tout l'art du thérapeute est de rétablir le courant pour faire apparaître les tensions et en découvrir la cause.

 

Revivre et transformer le traumatisme qui bloque tout.

Grâce à ce travail, j'ai pu revivre la plupart de mes traumatismes. Mais demeurait un barrage si fort qu'il arrêtait tout progrès vers la profondeur. Avec le dessin, j'ai pu le localiser et j'ai demandé à ma thérapeute d'appuyer sur un point très précis qui se situait un peu au-dessus du nombril. Là est venue peu à peu une très grande souffrance. Elle a senti qu'il était juste d'insister. Je me suis retrouvé le petit enfant de onze ans qui venaient de perdre son petit frère. Personne alors ne s'était rendu compte du lien qui m'unissait à lui et de la peine que j'éprouvais. En effet, toute l'affection que je n'avais pu recevoir de mes parents, je l'avais reporté sur ce frère qui avait trois ans de moins que moi. Je m'étais comporté envers lui comme un père et une mère. Je le faisais participer à mes jeux, j'étais très fier de le conduire au collège etc. Au fond, je l'aimais tendrement. Mais en deux mois il fut emporté par une méningite tuberculeuse alors que moi-même j'étais aussi gravement malade. Combien j'ai prié pour sa guérison ! Quand il est parti, je ne me suis pas révolté et pourtant c'était la plus grande part de moi-même qui mourait avec lui. N'ayant personne à qui me confier j'ai tout gardé au fond de moi sans même pouvoir pleurer. « Un garçon ne pleure pas » m'avait-il été dit, et j'ai tout refoulé.

Dans cet exercice, j'ai pu revivre cette mort, cette souffrance comme si le temps écoulé n'avait rien effacé. Ma thérapeute, comprenant ce qui se passait, m'a pris dans ses bras comme une mère. J'ai pu enfin exprimer tout mon chagrin, c'était la première fois que je pleurais. C'était comme si un abcès s'était crevé et laissait écouler tout son pus. J'ai pu aussi accueillir ma souffrance, la laisser vivre et peu à peu l'apaiser. Je me délestais d'un pesant fardeau, une libération se réalisait. Je n'avais pas encore fait le deuil et maintenant j'acceptais que ce petit frère ne soit plus à moi, qu'il soit retourné à Dieu. Je n'ai pu réellement me réconcilier avec lui que beaucoup plus tard. Je n'en avais pas conscience auparavant, mais maintenant j'acceptais de vivre sans lui. Pourtant, à un tout autre niveau, une relation avec lui demeurait. Il était comme un allié qui, lui, avait fait le passage et pouvait m'aider à le franchir.

 

5) L'analyse des rêves.

éveil à soiJ'en arrive maintenant à un événement qui allait profondément marquer mon cheminement, il s'agit d'un rêve très particulier. Tout rêve, certes, exprime ce que veut nous dire notre inconscient, mais souvent il ne touche qu'à des zones superficielles de celui-ci. Mais certains, par suite de tout le travail effectué sur le psychisme, vont révéler les zones les plus obscures et les plus importantes de l'inconscient. Ils traduisent par l'ampleur de la scène et le bouleversement qu'ils causent dans le psychisme.

De quoi s'agit-il ici ? Une nuit je rêvais que je me trouvais dans un immense tribunal ou plus de dix mille personnes étaient présentes et entouraient le lieu du jugement. Au milieu se trouvaient le juge et le condamné. Or, c'était le juge et le condamné n'était autre qu'Hitler. Oui, dans ce rêve, d'une manière très solennelle, je condamnais Hitler.

Très fier, je racontais ce rêve à l'une de mes thérapeutes, persuadé qu'elle m'approuverait. Sa réponse m'a complètement déconcerté : « Vous allez jouer Hitler », me dit-elle. Je me vois lui répondre : « C'est impossible puisque justement je le condamne. » Sans sourciller, elle me refait la même demande avec plus de force encore. « On ne rêve que de soi », me dit-elle.

Alors j'ai essayé de m'imaginer Hitler. Qui étaient-ils ? Un tyran ? Un Néron ? Brutalement m'est venu ce qu'il représentait réellement pour moi, la volonté de puissance, et j'ai ainsi tout compris. Cette volonté de puissance au fond m'habitait, mais toute ma formation, la morale que l'on m'avait inculquée, l'entourage féminin dans lequel s'était déroulée toute une partie de ma vie m'avait poussé à la refouler, la rejeter, la condamner. L'amour que je devais à autrui ne pouvait être que gentil ! Mais alors, quel bouleversement, quelle consternation ! Reconnaître un Hitler en moi, comment l'accepter, l'accueillir ?

 

Cette brèche creusée dans ma forteresse intérieure laissait la porte ouverte à toute une violence contenue, réprimée depuis très longtemps. Heureusement, le travail avec l'argile, le dessin, le tambour me permettait de l'exprimer. L'aïkido[6] que je pratiquais était aussi l'occasion de sortir cette force intérieure. Mais cette prise de conscience me révélait un refoulement plus profond. Ayant perdu mon père très jeune, j'avais vécu dans un milieu féminin où tout comportement un peu brutal était malvenu. Plutôt que d'affronter mes camarades, je m'étais efforcé de me les concilier par la gentillesse, le service et souvent la soumission, la fuite. Je leur apparaissais comme quelqu'un manquant de virilité. Pourtant, à certains moments, des mouvements de colère éclataient, mais si peu, et très vite je les réprimais. Heureusement j'avais le jeu où je pouvais me donner à fond et, d'une certaine façon, battre pour vaincre l'autre. […]

Cette volonté de puissance que je découvrais avait une telle force, jamais auparavant je n'aurais pu la vivre sans grand danger. J'aurais pu devenir un Hitler par exemple. Je pense que tous les interdits, les refoulements m'ont protégé. Il me fallait être bien enraciné, et enraciné dans le fond, pour m'ouvrir à cet "ouragan" qui aurait pu tout submerger s'il n'avait pas été contrôlé par le souffle divin. Les chemins du seigneur sont bien déconcertants et c'est beaucoup plus tard que nous en trouvons le sens.

[… Jacques Breton évoque ensuite un deuxième rêve qui lui fait franchir une autre étape… ]

 

En guise de conclusion : le mandala récapitulatif.

Après ce temps fort, j'ai poursuivi normalement mon cheminement. Le dessin méditatif me révéla une donnée très intéressante. De nombreux archétypes s'étaient manifestée comme la croix, la spirale, le cercle, le triangle, mais aussi l'eau, le feu, la puissance sous forme de cornes, l'amour sous forme de cœur. Or tous ces éléments allaient petit à petit s'agencer autour d'un centre pour devenir un véritable mandala. En même temps que je le réalisais, j'avais l'impression que tout s'organisait en moi. Il me fallait une heure environ pour que tout se mette en place. À la fin, je me sentais en parfaite harmonie avec moi-même. Quelle richesse nous habite ! Mais comme il est difficile d'y croire tant que nous ne l'avons pas exprimée ! Le plus étonnant est de découvrir combien notre intérieur est structuré. À chaque séance, je ressortais avec le même mandala qui, à quelques nuances près, m'était propre. En le faisant, c'est tout mon être intérieur qui se disait. Tant que je n'avais pas terminé, je me sentais mal à l'aise. À la fin, une grande paix m'envahissait. En fait, cette activité était une véritable prière, j'étais en communion avec le souffle de l'Esprit.

 

itinéraire singulier, Jacques Breton

 

 

ANNEXE :

La thérapie initiatique au sens large

Jean-Baptiste Lotz

« Quand on désigne la voie développée par Graf Dürckheim  sous le nom de "thérapie initiatique", il faut d'abord préciser les deux termes en présence. Il s'agit en premier lieu d'une thérapie, c'est-à-dire d'une méthode de guérison de l'homme malade, et plus précisément de l'homme malade dans son âme. En second lieu, cette thérapie est dite "initiatique" en ce sens qu'elle repose sur une plongée dans le mystère.

Petit à petit, cette thérapie fut élargie, car elle n'intéresse pas seulement des malades caractérisés, mais peut être étendue à tous ceux qu'il s'agit de conduire des couches superficielles de leur être aux couches profondes ; ou de l'existentiel à l'essentiel. Cet accompagnement ne se restreint pas à un enseignement théorique, mais il est initiation au sens d'une expérimentation et d'une mise à l'épreuve de choses qui ne sont pas accessibles d'emblée parce qu'elles relèvent de ce mystère que l'homme porte au plus profond de lui-même comme une source originelle qui féconde toute sa vie, sans laquelle il s'étiole et s'égare. Un processus de maturation est ainsi amorcé par lequel notre moi tourné vers le monde extérieur, qui domine notre vie, devient perméable à notre être véritable. Notre moi se rapporte à ce monde auquel nous appartenons, et il ne peut donc être mis hors circuit. C'est lui que notre être véritable doit arriver à "percer", de sorte que cette part de notre vie qui se situe par-delà le monde puisse entrer dans le monde. Ainsi nous atteignons ce qui en nous est essentiel, en d'autres termes la manière dont l'Être absolu se communique à chacun de nous. L'homme devient lui-même et arrive de ce fait à maturité dans la mesure où sa vie jaillit des profondeurs de son être. Pour cette raison il est essentiel pour lui de parvenir à une expérience de l'Être, ou du moins à sentir son être.

On arrive à cela par la méditation qui résonne en l'homme chaque fois que par sa conduite il atteint le plan de l'essentiel, mais qui peut aussi être pratiquée explicitement et comme telle. Il est décisif de bien faire la différence entre méditer sur un objet précis et méditer sans objet, ce qui est méditer à proprement parler. La plupart du temps on médite sur un objet, en se tournant vers un contenu défini de la pensée, y compris le Christ, voire Dieu. Au contraire, la méditation au sens strict est sans objet, sans contenu déterminé, car l'Être se situe au-delà de tout autre thème : le fondement de toutes choses ne peut devenir lui-même chose parmi d'autres. »

Jean-Baptiste Lotz, "Le Christ intérieur" dans Regards inédits sur Graf Dürckheim , éd Béthanie 1990 p. 124-125



[1] Ces activités thérapeutiques sont enseignées au centre Assise (cf . Le programme du centre Assise en 2017-2018), et des messages expliquent ce qui s'y passe (cf. tag thérapie initiatique).

[2] Pages 57-71. Livre publié éd L'Harmattan, 2011. Version papier : 13, 78 € ; version numérique ou version liseuse 10, 99 € sur : http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=34778 Lien vers un fichier pdf contenant les 25 première pages : L'itinéraire singulier d'un prêtre catholique

[3] Le dessin méditatif  se dit en allemand : "das Geführte Zeichnen", le dessin dirigé (de l'intérieur de soi). Il a été développé par Maria Hippius épouse de K. G. Dürckheim en tant que l'une des méthodes de la thérapeutique initiatique. Maria Hippius était psychologue et graphologue et a soutenu sa thèse sur le thème "expression graphique des sensations". (D'après Thérapie initiatique et dessin méditatif, Marie-Aleth Lagente)

[4] La technique du massage, est appelée chez Dürckheim "Leibthérapie", littéralement "thérapie par le corps", qui est une "thérapie corporelle personnelle et trans-personnelle". Ce travail corporel a été développé par Graf Dürckheim qui distingue l'être humain qui "a un corps" de celui qui prend conscience du "corps qu'il est". En allemand, il y a deux mots pour dire le corps : . Dans son livre Jacques breton ne  donne qu'un aperçu de la Leibthérapie. Voir par exemple Toucher l'âme par le corps (pdf), une conférence (mal traduite en français) de Wolfram Helke qui anime des sessions au centre Assise (Voir le site http://www.helke-info.de/25.0.html). Deux animateurs du centre Assise, Alexis Ferrari et Claire Graf ont été formés par lui.

[5] Jacques Breton ne donne qu'un aspect de la Leibthérapie qu'il décrit ailleurs de la façon suivante : « Les séances de Leibthérapie sont une rencontre de deux personnes par le toucher. Quand une personne est totalement présente à l'autre, en massant un point de tension douloureux, elle permet à cet endroit de naître et d'exister. » Dans un article de la Voix d'Assise, Wolfram Helke parlait d'un autre aspect, celui où la personne redécouvre son espace corporel intérieur: « La thérapie commence le plus souvent par "l'enracinement". Différents touchers résolvent les blocages limitant les sensations corporelles. Parallèlement, des domaines de sensations, jusque-là non reconnus, sont progressivement réintégrés. Ainsi la personne redécouvre son espace corporel intérieur. Au cours de ce processus de prise de conscience peut s'ouvrir l'accès à des dimensions de l'âme jusque-là inconnues, que l'accompagnement donne le moyen d'intégrer. Et, plus la liaison entre les forces de lumière et d'ombre s'accomplit dans le noyau de conscience, plus l'individu est sur le chemin de l'incarnation. Finalement nait un "homme nouveau" vivant de façon à la fois personnelle et trans-personnelle dans le monde dans lequel il est à la fois créateur et à l'écoute de son ÊTRE. » Voir aussi ce qu'en dit Jacques breton au début de Présentation du livre de G. Dürckheim "L'homme et sa double origine" par Jacques Breton en 1978, revue Le Supplément du Cerf,.

[6] À l'époque maître Noro enseignait l'aïkido, plus tard, à la suite de tout un cheminement,  son art est devenu le kinomichi (cf. kinomichi)

 

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