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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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26 avril 2019

Jamais deux sans trois, L'Esprit comme Grand Troisième, conférence n°1 de Jean MARCHAL au centre Assise en 1991

Jean Marchal, Jamais deux sans troisJean Marchal a écrit en 1996 le livre Jamais deux sans trois qui a comme sous-titre "le Grand Troisième dans les relations humaines"[1]. « Qui ne connaît le proverbe “Jamais deux sans trois” ? Mais qui d'entre nous est véritablement conscient que ce proverbe populaire trouve une illustration exemplaire chaque fois que deux êtres humains sont en relation ? […]

[En 1996] Jean Marchal, psychothérapeute, ancien interne des hôpitaux de Paris, enseigne à l'École Française de Yoga le langage des symboles par lesquels les grandes traditions religieuses se sont efforcées d'éveiller l'être humain à sa profondeur. Ouvert à ce langage par l'influence de Lanza del Vasto et par la "psychologie des profondeurs" de Jung, il a suivi l'enseignement de Karlfried Graf Dürckheim et poursuit sa quête à la lumière de celui qui dispense et incarne Arnaud Desjardins. » (Quatrième de couverture)

Le dessin de couverture du livre est un vitrail trinitaire de F. Décorchemont à qui J. Marchal a consacré un autre livre : Les vitraux de François Décorchemont, éd P. Lethielleux, 2001.

Avant d"écrire  ces livres il est venu en février 1991 faire deux conférences au centre Assise créé par son ami Jacques Breton, prêtre. Ces deux conférences passionnantes avaient pour titre "Jamais deux sans trois". C'est une transcription de ces conférences qui figure ici sur ce blog dédié à J. Breton et au centre Assise (www.voiesdassise.eu). Quelques titres et notes ont été ajoutés, le style oral a été gardé.

Lors de ces 2 conférences, J. Marchal avait projeté de nombreuses diapos, et la plupart des références figurent dans la transcription. Seules quelques photos ont été mises sur le blog.

Voici la première conférence, la deuxième paraîtra dans le message suivant. Une biographie de Jean Marchal figurera dans le message suivant : Jamais deux sans trois, conférence n° 2.

 

Jamais deux sans trois

Jean Marchal

 

 

Première conférence :

L'Esprit comme Grand Troisième

 

Je commencerai en faisant une petite remarque. Quand Jacques Breton m'a téléphoné pour me demander d'intervenir ce soir, il m'a demandé de quoi j'allais parler. Je lui ai proposé comme titre : « Jamais deux sans trois, l'Esprit comme Grand Troisième ». Jacques avait l'air surpris et le résultat a donné dans le programme : « Jamais deux sans trois, le troisième c'est l'Esprit ». Or il s'agit du Grand Troisième dans le sens de Dürckheim !

 

Quand j'aborde ce sujet, ce n'est jamais sans un certain tremblement parce que j'apporte quelque chose d'extrêmement difficile, à savoir essayer d'expliciter ce qui est le fondement de la vie de l'univers, à savoir l'Esprit. Je vais essayer de m'expliquer là-dessus.

Je vais essentiellement vous parler ce soir de la relation, et essayer de vous montrer, à la suite de Lanza del Vasto qui a fait sa thèse de philosophie sur ce sujet, que toute relation est trinitaire et que la Trinité est le modèle de toute relation.

 

1. « Jamais deux sans trois ».

Quand on demandait à Jung de définir ou d'expliciter ce qu'était une psychothérapie ou une psychanalyse, il disait : dans un travail thérapeutique, ce n'est pas "là" que ça se passe – et montrait la tête du patient –, ce n'est pas "là" que ça se passe – et il montrait sa tête –, il disait c'est là – et avec sa main il traçait un grand cercle entre les deux.

Cela revient à dire que, dans toute relation, il y a trois termes : les deux êtres (les deux objets) qui sont là en face de l'autre, et la relation qui, inévitablement, les unit. À partir du moment où deux êtres (ou deux objets) sont en face l'un de l'autre, inévitablement une relation s'établit entre eux, de façon très concrète, plus ou moins subtile selon les niveaux d'êtres auxquels appartiennent ces deux termes, mais que l'on peut ramener, de façon très schématique, à une attraction ou à une répulsion. Dès que deux êtres sont placés côte à côte, une relation s'établit entre eux, basée sur une certaine attraction ou une certaine répulsion, et ce champ dynamique qui commence à circuler entre eux est le troisième terme de la relation. Vous avez là, de façon très simple, le sens initiatique de ce proverbe : « Jamais deux sans trois ». Au sens vulgaire, vous pourriez dire : ma voiture a crevé deux fois aujourd'hui, il va certainement y en avoir une troisième… Mais, puisque tout proverbe a un sens initiatique, « Jamais deux sans trois » signifie que, dès que deux termes sont en relation, le troisième est toujours là qui fonde et anime cette relation et la dynamise.

Dans l'évangile de Thomas, au logion 77 – remarquez le 77, deux fois 7, sept étant le nombre fondamental de la manifestation de l'Esprit – il est dit : « Soulevez la pierre, je suis là ; fendez le bois, je suis là » : "fendez le bois", le deux apparaît ; "je suis là", le troisième.

Dans l'Évangile : « Dès que deux d'entre vous se réunissent, je suis là au milieu d'eux. »

Dès qu'il y a deux, il y a trois, et il n'y a jamais deux sans trois.

Dès que les deux termes entrent en relation, le troisième terme est là qui est le champ dynamique dans lequel s'anime la relation.

ο–ο–ο

2. Absolu et relatif.

Il y a un modèle symbolique qui exprime cela parfaitement, c'est la balance dans laquelle il y a deux plateaux et un fléau. Dès que vous mettez un poids dans un plateau, il va pencher, et comme les deux termes sont en interrelation étroite, aucun mouvement de l'un n'est sans retentissement sur l'autre. Cette interrelation n'est possible que parce que le troisième terme est là sous la forme du fléau.

Vous avez là un premier aperçu de quelque chose qui est tout à fait fondamental dans toute relation : toute relation a trois termes, dont deux sont relatifs l'un à l'autre, la relation étant le relatif. Autrement dit, ils sont continuellement en interdépendance l'un par rapport à l'autre, tout mouvement de l'un entraîne un mouvement de l'autre et le troisième terme est immobile. Ce troisième terme immobile sera ce qui anime toute relation, et c'est une projection de l'Absolu dans le relatif. Toute relation est une manifestation de l'Absolu, d'où :

le relatif, c'est l'Absolu, et l'Absolu c'est le relatif ;

ou : « le vide c'est la forme, la forme c'est le vide[2]. »

Il y a une interrelation étroite entre la relation elle-même – la relativité de la relation – et l'Absolu. Toute relation n'est possible que parce que l'Absolu est présent au sein de la relation.

 

Qu'est-ce que l'Absolu ?

Quand on essaie de méditer sur l'Absolu, on médite sur l'immuable, l'indestructible, l'inaffecté:

  • immuable= aucun mouvement
  • indestructible = sans naissance, sans fin
  • inaffecté = aucun des mouvements des deux termes dans lesquels cette projection de l'Absolu intervient n'affecte l'Absolu qui reste immobile, inchangé.

A l'inverse, le relatif est :

  • ce qui est continuellement mouvant : naissance – mort.
  • le destructible : ça naît, ça meurt. Tout terme d'une relation naît et meurt. Dans le relatif, tout ce qui a un commencement a une fin.
  • Tout mouvement d'un des deux termes affecte l'autre sous la forme d'un mouvement réactionnel.

Les Hindous appellent :

  • l'Absolu : Atman (le Soi)
  • le relatif : Maya (l'illusion).

 

L'univers est un tissu de relations qui ne tient que par l'Absolu et qui, à chaque seconde, manifeste l'action, la présence de l'Absolu.

Cela veut dire que nous, qui sommes dans le relatif, nous ne pouvons appréhender (ou nous approcher ou réaliser) l'Absolu qu'à partir du relatif et à partir d'une relation totalement vécue et totalement acceptée, moyennant quoi nous pouvons toucher ce qui anime cette relation et qui est l'Absolu.

Cette projection de l'Absolu dans le relatif, c'est très exactement ce que Dürckheim appelait le Grand Troisième, manifestation du Divin (de l'Éternel) dans le relatif. Le Grand Troisième est partout présent et d'abord au sein de nous-même, c'est notre réalité ultime, celle que nous cherchons dans la méditation.

On ne peut pas opposer Absolu et relatif. L'Absolu est le fondement de la relation, le complément.

 

Lanza del Vasto, La Trinité spirituelleTout ce que je vous dis là vient de Lanza del Vasto, (cf. La Trinité spirituelle, Ed. Denoël).

Cela est le modèle d'une relation relative, dans laquelle chacun des deux termes de la relation est relatif à l'autre et animé par lui. Mais il y a une Relation fondamentale qui anime toute relation dans l'univers, et cette Relation est la Relation absolue.

Y a-t-il une relation qui ne soit pas relative et qui soit une relation absolue ?

Tant que l'Absolu ne se manifeste pas, Dieu en soi, on ne peut rien en dire, on ne peut rien concevoir, c'est le totalement inapprochable, le totalement transcendant dont on ne peut absolument rien dire. Mais l'univers n'existe que parce que l'Absolu se manifeste à travers le tissu de relation qu'est l'univers.

Dans un de ses livres, Claude Durix raconte qu'un astrophysicien américain à qui l'on posait la question : « Pourriez-vous décrire les 30 premières secondes de l'univers », répondit : « Les trente premières secondes, oui, mais les 30 secondes d'avant, c'est beaucoup plus difficile ! »

Autrement dit, avant la manifestation il n'y a que l'Absolu et c'est le totalement impénétrable. On ne peut commencer à essayer de méditer sur l'absolu qu'à partir du moment où on s'appuie sur le relatif puisque ce n'est que dans le relatif que nous pouvons trouver l'Absolu. Quand l'Absolu se manifeste dans le relatif, autrement dit, en langage réaliste, quand Dieu crée le monde, à ce moment-là, l'Absolu dont on pourrait dire qu'il est "un" ou "non-deux", l'Absolu devient trois.

ο–ο–ο

3. La Trinité.

Le génie du christianisme est d'avoir poussé à l'extrême la méditation sur le sens ultime de la Trinité et d'avoir présenté la Trinité comme créatrice. Quand Dieu se manifeste, quand il crée le monde, la Trinité apparaît.

Dieu se manifeste comme Trinité, dit le christianisme :

  • Le Père conçoit tous les possibles qui vont s'exprimer dans le monde,
  • Le Fils, Verbe créateur crée et coordonne l'univers,
  • l'Esprit, troisième, est celui dont nous allons parler abondamment ce soir (le Trois est le nombre fondamental de la manifestation de l'Esprit).

Cette relation trinitaire se différencie de la relation relative en ce qu'elle est une relation absolue, et Thomas d'Aquin exprime cela parfaitement[3] :

   Deus est relatio              Dieu est relation
   Non autem relativa        non pas relation relative,
   Quia non mutabilis        c'est-à-dire relation absolue.

En latin c'est 3 fois 3 mots : trois à la puissance trois, la puissance absolue de l'Esprit. Avant même d'entrer dans le sens de ce que disent ces trois lignes, la simple considération numérique sonore vous fait déjà entrer dans la relation absolue de la Trinité.

  • Dieu est relation : trois personnes ;
  • mais relation non relative, c'est-à-dire que, contrairement à la relation de type balance où les deux premiers termes sont constamment mobiles, chacune des personnes de la Trinité est immuable, comme l'Absolu est immuable, indestructible, inaffecté.

Ce n'est que par commodité rationnelle que l'on parle de "trois personnes", puisque chacun sait que ces trois personnes ne font qu'un.

Il y a une phrase extraordinaire de saint Grégoire de Naziance qui définit parfaitement la chose : « La Triade se stabilise dans sa propre plénitude, c'est comme trois soleils l'un dans l'autre et une seule lumière » – la lumière étant le symbole fondamental de la manifestation du Divin. Chaque personne de la Trinité est une expression de l'Absolu, et la relation de cette Trinité, c'est l'Esprit, le troisième.

Le christianisme pousse cette relation trinitaire à son plus haut degré de perfection, mais vous la trouvez dans toutes les traditions : dès que Dieu se manifeste, dans quelques traditions que ce soit, il est Trinité.

En Inde, il y a une conception très proche de la Trinité chrétienne qui est le sat-chit-ananda (être, conscience, béatitude). Les Indiens l'écrivent en un seul mot, Satchitananda[4], pour bien dire que ces trois n'en font qu'un.

En Chine, le Tao, l'Absolu engendre un, « un engendre deux, deux engendre trois, et trois crée les dix mille êtres »[5], c'est-à-dire tout l'univers.

En Inde il y a un autre aspect de la Trinité créatrice, c'est Brahma, Vishnou, Shiva :

  • Shiva est très lié à l'Esprit transformateur qui détruit sans cesse pour faire renaître ;
  • Vishnou, au contraire, maintient l'univers dans une certaine stabilité ;
  • Brahma est le Verbe créateur, créant sans cesse.

 

 

Trinite de RoublevLa Trinité s'exprime dans l'iconographie[6].

Dans le christianisme, elle est symbolisée par les trois anges qui apparaissent à Abraham et à qui Abraham offre le pain et le vin, c'est-à-dire le repas.

Dans l'icône de la Trinité de Roublev, cette figure trinitaire, les trois anges, s'inscrit dans un cercle, dont la coupe sur la table est à peu près le centre. Cela nous ramène à ce que Dürckheim appelle "la conscience-coupe" qui est l'attitude de conscience sans laquelle il nous est impossible d'approcher le Divin ; conscience totalement réceptive, abandon de "la conscience-flèche" qui sans cesse vise un but et qui est notre conscience habituelle sans cesse projetée vers un objectif et vers un but. La conscience-coupe accueille et elle est l'instrument, pour chaque être humain, d'une possibilité d'approche de la Trinité qui est la première manifestation de l'Absolu[7].

– Dans de nombreuses icônes du Baptême du Christ il y a trois rayons dans lesquels s'inscrit la colombe de l'Esprit, qui vient sur la tête du Christ au moment du Baptême. Ce triple rayon est image de la toute-puissance de l'Esprit se manifestant dans le Trois.

Dans les icônes, on trouve souvent la manifestation de l'Absolu sous forme d'un triple rayon.

– Dans une icône du XIVe le Père englobe le Fils qui englobe l'Esprit ; ces trois personnes n'en font qu'une. L'Esprit est sous la forme à la fois du cercle et de la colombe, entre deux séraphins.

– Dans l'un des vitraux de l'église de Vendôme (vitrail central du chœur), fin XIVe, il y a le Père tenant la croix, le Fils crucifié, et la colombe.

église de Menneval, 1 Trinite et Vierge, Decorchemont– François Décorchemon est le plus grand verrier du XXe siècle, le seul qui ait retrouvé les couleurs du XIIe et du XIIIe siècles grâce à une technique qu'il a inventée. Sur un vitrail moderne de l'église de Menneval, non loin de Bernon en Normandie,on voit une image de la Trinité où se trouvent Père, Fils et Esprit, et où il a introduit la Vierge Marie. La colombe irradie une lumière rouge extraordinaire qui englobe les trois personnes.

Dans ce vitrail, la colombe de l'Esprit irradie la lumière.

Dans 15 jours, lors de la deuxième conférence, nous commenterons les deux grandes prières catholiques à l'Esprit que sont le Veni Sancte Spiritus et le Veni Creator. Dans ces prières, l'Esprit est invoqué comme lumen, la lumière visible n'étant que la manifestation à travers un miroir de la lumière invisible incréée qui est la lumière de l'Esprit. La lumière est la première manifestation de l'Esprit. Dans la Genèse, la lumière est la première des créatures, et elle est créée avant les sources de lumière que sont le soleil, la lune et les étoiles.

– Sur l'icône de la Nativité de Ouspensky : au-dessus du Christ dans la grotte entre le bœuf et l'âne - le deux -, apparaît le triple rayon - le trois.

– Lors de la Transfiguration Jésus emmène avec lui trois disciples, Pierre, Jacques et Jean sur le mont Thabor, et il se transfigure dans la lumière. Son corps devient lumière et sur l'icône, il envoie un triple rayon qui vient frapper chacun des trois disciples qui, non préparés à une pareille révélation, se précipitent la face contre terre et se cachent la figure pour ne pas voir cette splendeur de manifestation de l'Absolu qui leur est insupportable.

Pentecôte

– La Pentecôte est la fête chrétienne de la descente de l'Esprit, de la manifestation de l'Esprit, une flamme descend sur la tête de chaque apôtre ; et sur l'icône on représente souvent ce triple rayon central qui est la source de toute lumière, de toute flamme, de toute manifestation de l'Esprit. Toujours le Trois.

 

Pour nous, occidentaux, les nombres n'ont qu'une signification quantitative. Mais en Chine, en Inde, au Japon, pendant le Moyen Âge chrétien, les nombres ont d'abord une signification qualitative avant d'avoir une signification quantitative. Autrement dit, ce Trois trinitaire, ce n'est pas comme trois pommes ou trois pierres, c'est d'abord une qualité trinitaire. Ceci ouvre parfois des perspectives très inattendues. Par exemple le Trois peut se manifester dans des œuvres d'art modernes et dans certains films.

ο–ο–ο

4. L'action de l'Esprit sur l'univers.

L'univers n'est en fait que de relations, et on peut dire que l'Esprit qui anime toute relation anime tout l'univers, soutient tout l'univers. C'est par l'Esprit que l'univers, seconde après seconde, se maintient, relativement. Quand on y réfléchit, c'est assez extraordinaire.

La science la plus avancée, la physique quantique, la physique des particules, nous apprend finalement, qu'en dernière analyse, aussi loin que nous puissions voir, la matière est faite de particules qui sont immatérielles, qui sont autant de l'énergie que de la matière, et qui disparaissent aussitôt qu'elles sont nées. Autrement dit, cette matière à laquelle nous sommes tant attachés, nous matérialistes, est une pure illusion ; en tout cas elle est insaisissable dans sa réalité ultime, en perpétuelle transformation à une rapidité que nous ne pouvons pas imaginer.

Cette table nous apparaît être une table, et demain elle sera en encore une table, elle ne sera pas détruite… Pourquoi ? Parce que cette table est un tissu de relations entre toutes ses particules, et l'Esprit, qui est au sein de toutes ces relations est le garant de la stabilité. Si l'Esprit disparaît, toute relation disparaît et le monde disparaît.

Bien que la matière ne soit faite que de particules perpétuellement instables, cette matière nous paraît stable ; non seulement elle nous paraît stable, mais la marche de l'univers nous apparaît obéir à des lois stables. Le mouvement de la terre et des planètes autour du soleil, la rotation de la terre sur son axe obéissent à des lois stables, qui n'ont pas changé depuis probablement des millions d'années. Cette stabilité dans la marche de l'univers est la marque même de l'Esprit, sa signature : stabilité dans l'instabilité, durée dans le perpétuel changement. Nous-mêmes nous changeons à chaque seconde, nous sommes continuellement renouvelés ; des millions de cellules meurent, des millions de cellules naissent. La matière qui constitue notre corps physique est entièrement renouvelée en sept ans environ. Nous sommes comme une rivière qui est toujours la même rivière, mais où ce n'est jamais la même eau qui coule ; et cependant, notre forme se maintient relativement de la naissance à la mort. De la naissance à la mort, il y a une certaine forme qui se maintient et qui fait qu'on peut reconnaître un enfant de cinq ans d'un vieillard. Cette individualité de la forme de la personne, c'est encore l'Esprit et c'est la signature de l'Esprit dans chaque personne.

Cette action suprême de l'Esprit dans chaque relation se manifeste à tous les niveaux.

 

La science moderne distingue quatre manifestations de l'énergie au niveau atomique.

1. Dans l'atome se manifeste la première forme d'énergie universelle : les attractions fortes créent la cohésion du noyau de l'atome ; les neutrons et les protons sont animés par une forme de cohésion considérable qui permet que ça tienne.

2. Deuxième forme : les forces d'interaction faibles président à la marche des électrons autour des noyaux instables. Ces forces faibles permettent à des électrons de s'échapper, il y a des échanges d'électrons entre différents atomes qui permettent une transformation de la matière et la radioactivité.

3. Troisième forme d'énergie : le champ électromagnétique maintient les mouvements des électrons autour du noyau, c'est un champ dans lequel nous baignons à longueur de journée.

4. Quatrième forme : c'est celle qu'a découverte Newton, c'est la gravitation, l'énergie gravitationnelle.

Ces quatre formes – interaction forte, interaction faible, champ électromagnétique et gravitation –, c'est toute l'énergie qui anime le monde et qui nous anime au plus intime de nos cellules. Ce sont des manifestations de l'Esprit, mais la science ne pourra jamais le découvrir.

 

La méditation est le seul moyen que nous ayons pour commencer à sentir cette énergie de l'Esprit vivre en nous. Ce n'est pas pour rien que pendant la méditation l'on nous demande de rester strictement immobile, même le regard immobile, fixé sur un point, et finalement l'esprit immobile – laisser les pensées s'apaiser petit à petit – pour arriver à un moment où il n'y a plus aucune pensée, aucune émotion, où l'esprit est vide, c'est-à-dire immobile (non mutabilis).

Quand nous cherchons à établir une relation avec la Réalité ultime qui est l'Absolu, le Divin – que nous le considérions comme extérieur, au ciel, ou bien comme intérieur au-devant de nous – en parlant schématiquement, on peut dire que :

  • il y a moi,
  • il y a le Divin avec lequel j'essaie d'établir une relation – le divin immutabilis
  • il y a l'Esprit qui est la relation, immutabilis.

La seule façon d'entrer dans cette relation est donc de devenir moi-même immutabilis, d'où la nécessité d'une totale immobilité pour arriver à la contemplation de l'Esprit.

Ce n'est pas fortuit si, dans les techniques zen, on vous demande une extrême vigilance sur l'immobilité de la posture, du regard et de la pensée. Quand on arrive à cette immobilité, non mutabilis, à ce moment-là, l'immobilité de la personne rejoint l'immobilité trinitaire par l'immobilité de l'esprit. Nous rejoignons la Relation absolue qui est une relation non mutabilis. Voilà un des sens profonds de la méditation.

 

Je vous parlais des quatre formes d'énergie qui animent tout l'univers, ceci au niveau atomique. Au niveau moléculaire, les atomes s'associent en molécules. Il y a une qualité des atomes qui s'appelle la "valence" qui est une manifestation de l'énergie. C'est ce qui leur permet de se conjoindre à d'autres atomes pour former des molécules. Les valences qui unissent les molécules, c'est toujours le Grand Troisième immobile.

Pour ce qui est du monde visible, qu'est-ce qui fait qu'une pierre est une pierre, qu'elle le sera encore demain et peut-être dans cent ans ? Qu'est-ce qui fait qu'un végétal est un végétal ? Qu'est-ce qui fait qu'un arbre, depuis la germination de la graine jusqu'à l'épanouissement de la ramure, reste un arbre ? Qu'est-ce qui fait qu'un animal est un animal, une personne humaine est une personne humaine ? Qu'est-ce qui permet cette cohésion, cette identification relative à une certaine forme ? C'est toujours la manifestation de l'Esprit, le Grand Troisième.

Dès que des relations s'établissent entre ces différentes personnes, minérales, végétales, animales ou humaines, c'est encore l'Esprit qui crée et qui anime ces relations. Au niveau végétal, quand nous regardons le spectacle de la nature, nous voyons des arbres, par exemple, qui ont l'air d'entités séparées et apparemment sans aucune relation entre elles.

Il y a une expérience qui a été faite il y a quelques années par un Américain sur un certain type d'acacias dans un lieu où vivent des troupeaux d'antilopes qui se nourrissent des feuilles de ces acacias. On a eu, un jour, la surprise de constater que les antilopes mouraient par dizaines. On a cherché à comprendre pourquoi. On a analysé les feuilles des acacias dont ces antilopes se nourrissaient, et on s'est aperçu qu'elles étaient devenues toxiques, qu'elles contenaient des quantités énormes de tanin, je crois que le taux était multiplié par 200 par rapport à la norme habituelle. Afin d'essayer de comprendre, on a fait l'expérience suivante : des étudiants ont été priés de s'armer de bâtons et de frapper les troncs de certaines arbres, et on s'est aperçu que les arbres qui avaient été frappés multipliaient par 100 ou 200 la teneur en tanin de leurs feuilles en l'espace de quelques heures, autrement dit, ils répondaient à l'agression par une réaction de défense qui rendait leurs feuilles toxiques. On a alors compris que les antilopes étaient devenues trop nombreuses et que cela devenait une agression risquant d'être mortelle pour les arbres, et ceux-ci s'étaient défendus de cette façon-là. Mais le plus étonnant c'est que, non seulement les arbres battus augmentaient la teneur en tanin de leurs feuilles, mais les arbres qu'on avait préservés augmentaient également la teneur en tanin de leurs feuilles, autrement dit, dans cette immense forêt, chaque arbre était en relation avec tous les autres. Voilà un exemple simple et scientifique de quelque chose qui n'est pas du tout scientifique et qui est l'action de l'Esprit dans les interrelations individuelles.

C'est valable pour le monde animal : qu'est-ce qui fait que les animaux s'organisent en termitières si ce sont des termites, en fourmilières si ce sont des fourmis ? Quand on contemple ça, on sent que ces mouvements qui nous paraissent désordonnés sont, en fait, animés par un esprit unificateur. Il en est de même pour les animaux en troupeau ou en hardes.

ο–ο–ο

 

Jamais deux sans trois, le couple5. L'action de l'Esprit au niveau des relations humaines.

C'est l'Esprit qui fait l'essentiel des relations humaines.

Parmi les relations humaines, il y en a une qui est fondamentale, c'est le couple, la relation d'un homme et d'une femme. Quel est le sens ultime de la relation de couple ? C'est la découverte de l'Esprit.

Je voudrais, à ce propos, vous lire un bref passage d'un livre de Bourbon Busset, académicien français, qui a vécu une relation de couple tout à fait extraordinaire, qui a vécu l'Esprit dans le couple à un degré rare. Il a perdu sa femme il y a quelques années, et à la suite de cette mort, il a écrit un livre intitulé Lettre à Laurence. Dans ce livre, il se remémore ce qu'a été leur relation. Voici un passage de ce livre.

 « Nous ne nous éclairions pas l'un l'autre. C'était la même lumière qui nous éclairait. Elle ne venait pas de nous, elle venait d'ailleurs, mais nous avons su l'accueillir, lui ménager, entre nous deux, un lieu, lui faire un espace. Notre chance était de vivre dans cet espace de lumière. […] À certains instants, j'ai eu le sentiment très net d'une densité plus forte, d'une lumière plus vive. Tout se passait comme si venait de se joindre à nous un troisième interlocuteur qui parlait par nos bouches et donnait à l'entretien plus de poids et de clarté. Et cet inconnu bienfaisant n'était que le reflet, le modeste interprète d'un autre invisible et lointain. »  

Il y a là une projection de l'Absolu dans le relatif qui renvoie à l'Absolu ; le Grand Troisième qui renvoie à l'Absolu. Il poursuit un peu plus loin :

« Ce compagnon extrêmement présent et discret, nous ne le nommions guère. Les mots ne lui convenaient pas. Il s'évadait de leur cage. […] Il se retrouvait dans notre alliance, et nous la retrouvions en lui. »

Voilà ce qu'idéalement devrait être le couple humain.

Dans cette Lettre à Laurence, Bourbon Busset a des pages extraordinaires sur le sens ultime de l'union sexuelle, qui est la manifestation du Grand Troisième à travers la rencontre sexuelle et qui est le sens ultime de toute sexualité humaine, sans laquelle il n'y a pas de sexualité humaine mais seulement une sexualité animale qui s'étale partout – mais plus elle s'étale, plus la sexualité humaine disparaît… d'où le sida, mais cela est un autre problème.

 

Pour en conclure sur l'action du Grand Troisième dans tout l'univers, je voudrais citer le dernier vers de La Divine Comédie de Dante, le dernier vers du "Paradis", donc de toute l'œuvre : « l'amour qui meut le soleil et les autres étoiles »… l'amour c'est-à-dire l'Esprit, car l'Esprit se manifeste dans l'amour qui est le moteur de la relation au niveau humain.

Tout ce que je vous dis là, est redécouvert et étudié par une science qui se nomme l'écologie et qui étudie les écosystèmes. Les écosystèmes sont un ensemble qui associe tous les modes de la manifestation universelle : minéraux, végétaux, animaux, hommes – la vraie vocation de l'être humain devrait être d'épanouir l'écosystème –. Les interrelations qui unissent tous les éléments de ces écosystèmes sont d'une infinie subtilité ; mais ils sont finalement animés par une intelligence qui échappe à la science, et qui fait qu'un écosystème se maintient dans une certaine harmonie à condition que l'homme n'aille pas fourrer son nez pour le modifier à sa convenance… auquel cas le bas se démaille et ça devient dangereux ! Un écosystème est un petit monde harmonieux où tout est en interrelation avec tout, et où l'Esprit se manifeste dans ces interrelations.

« L'univers est un grand cristal qui se renvoie la lumière de facette à facette » (Lanza del Vasto), c'est-à-dire que chaque élément est en rapport avec tous les autres par la lumière, c'est-à-dire l'Esprit.

ο–ο–ο

6. Images et symboles par lesquels l'Esprit se manifeste.

Il y a d'abord deux grands symboles :

  • Le Trois – c'est la puissance de l'Esprit qui pénètre toute relation.
  • Le Sept – par le Sept, l'Esprit se manifeste dans le temps et dans l'espace.

 

 

Chandelier à sept branches, Menoraha) Le Sept.

Par exemple la lumière qui se diffuse dans l'espace nous apparaît quelquefois sous la forme d'un arc-en-ciel où l'on distingue 7 couleurs ; il y a les 7 notes de la gamme. Gurdjieff a montré que, d'un certain point de vue, l'univers est organisé en octaves mais l'Esprit se manifeste dans l'horizontalité de l'univers par le Sept.

Il est très curieux de constater que la couvaison des œufs, donc la naissance de la vie par une espèce aviaire donnée, est toujours un multiple de sept : trois semaines pour les œufs de poule, trois semaines immutabilis, le seul mouvement étant le mouvement des paupières : une poule qui couve est un sujet de contemplation extraordinaire, je vous en parle en connaissance de cause. La couvaison des œufs de canard dure quatre semaines, pour les oies c'est cinq semaines, pour les autruches sept semaines. La vie biologique s'exprime beaucoup par le Sept.

On a coutume de dire que la vie humaine se déploie par période de sept ans :

  • 7 ans l'âge de raison ;
  • 14 ans : la puberté ;
  • 21 ans : c'était autrefois la majorité etc.

 

Nous avons vu la formule : Deus est relatio / Non autem relativa / Quia non mutabilis

    De-us est re-la-ti-o         7
    Non au-tem re-la-ti-va   7
    Qui-a non mu-ta-bi-lis   7

Autrement dit, dans cette formule extraordinaire, vous avez l'interrelation du Trois et du Sept qui crée, en dernière analyse, l'univers.

Vous trouverez aussi cela dans une prière dont nous parlerons la prochaine fois et qui, pour moi, est une véritable Upanishad chrétienne : le Veni Sancte Spiritus pris en latin.

Trois et Sept ne sont pas des quantités mais des qualités créatrices qui manifestent l'Esprit et la créativité de l'Esprit.

 

b) Un aspect du Trois : le AUM et ses équivalents.

Ave Maria, église saint LaurenceSur un vitrail moderne[8] on trouve le sigle particulier qui représente l'Ave Maria, A M.

Ce sigle entrelace le A et le M et dessine de ce fait le V (U en latin), associant les trois lettres latines correspondant aux trois éléments constitutifs du monogramme AUM qui, pour les Hindous, est la vibration fondamentale qui crée le monde, autrement dit, la manifestation de l'Esprit créant le monde. Remarquez que toutes les coïncidences significatives - ce que Jung appelle les "phénomènes de synchronicité"[9] - sont une manifestation évidente de l'Esprit.

Je voudrais signaler ici l'extrême importance du M dans la science vibratoire : le M est une lettre qui vibre comme un gong – le son du gong s'éteint sans rupture en se fondant dans le silence –. Vous retrouvez le M dans tous les mantras hindous.

Pensez à l'ancienne formule de la communion qui est riche de cinq AM : « Corpus Domini nostri Iesu Christi custodiat animam tuam in vitam aeternam. Amen » (Que le Corps de notre Seigneur Jésus-Christ garde votre âme pour la vie éternelle). Voilà un mantra chrétien que l'on a complètement perdu et qui est un mantra vibratoire, à condition que l'on accepte d'y entrer.

 

c) Un aspect du Sept[ : sept voûtes de l'abside.

Dans une église l'abside est ce qui clôt le chœur et qui est orienté vers l'est. Or les absides de la plupart des églises gothiques sont marquées par le Sept : le un c'est la clé de voûte à partir de laquelle il y a sept voûtes symbolisant la manifestation de l'Esprit. Le Sept irradie à partir du Un et finalement englobe tout le chœur de l'église. Vous avez cela par exemple dans l'église de Saint-Martin des bois dans l'Oise.

 

d) Le Trois dans l'art de l'ikébana[11].

L'ikebana, art japonais de l'arrangement des fleurs est un art entièrement bâti sur le Trois : le principe de base est d'exprimer la trinité universelle que sont le ciel, l'homme et la terre ; l'homme comme relation entre le ciel et la terre, comme troisième. Dans le bouquet il y a trois éléments principaux dont les longueurs sont souvent dans le rapport de 1/3 et 2/3. Il n'y a pas de meilleure préparation à la contemplation.

 

e) Les grands symboles de l'Esprit que sont le souffle (le vent) et le feu.

Le souffle (le vent) est un des grands symboles de l'Esprit.

Un poème de Lanza del Vasto[12] qui est presque un haïku occidental, dit :

« J'ai ma maison dans le vent sans mémoire    (ici et maintenant)
   J'ai mon savoir dans les livres du vent,             (la science de l'Esprit)
   Comme la mer, j'ai dans le vent ma gloire,
   Comme le vent, j'ai ma fin dans le vent     (l'Esprit n'a pas d'autre fin).

 

Le feu : c'est, des quatre éléments, celui qui symbolise le plus parfaitement l'Absolu. Pourquoi ? Par sa nature même. On peut dire que l'Absolu est la totalité, et pour être la totalité universelle, il n'y a rien à ajouter ni à retrancher. L'Esprit, c'est l'Absolu auquel vous ne pouvez rien ajouter ni retrancher ; vous ne pouvez rien ajouter ni retrancher à une flamme ; d'autre part, le feu est partout, même s'il n'est pas manifesté.

Comme l'Esprit, le feu est le grand transformateur, il transforme tout ce qu'il touche en le faisant passer d'un état grossier à un état subtil qui est la fumée. L'industrie humaine est la science de transformation des éléments. Or la transformation humaine la plus extraordinaire que réalise l'industrie humaine est la transformation du verre. Le verre est le symbole même d'une matière transmutée par l'Esprit, par le feu : au départ, pour faire du verre, il faut de la silice et de la potasse qui, fondus à 1200° vont donner une pâte opaque transparente en refroidissant ; on a mis des éléments opaques à l'intérieur du fonds et l'on obtient, par l'action du feu, une matière transparente. Et si vous ajoutez la matière la plus opaque qui soit, le plomb – il est opaque aux rayons X – vous obtenez un verre encore plus transparent qui est le cristal.

Ceci est le symbole même de toute voie spirituelle, de toute ascèse qui vise à transformer notre matière brute de départ en une transparence à l'Esprit – « une transparence à la transcendance » comme le disait Dürckheim ; c'est le but de l'être humain, et cela passe par l'action du feu intérieur.

Un des symboles fondamentaux de l'Inde est Shiva, le dieu destructeur, transformateur, qui danse dans le feu : il tient un tambourin dans une main et dans l'autre une flamme.

Dans le christianisme, il y a l'équivalent de l'image de Shiva dansant, c'est le Christ dansant. En Angleterre, dans la cathédrale de Salisbury, se trouve une sculpture représentant le Christ tenant le soleil (le feu) dans la main droite, la lune dans la main gauche, et dont la danse crée l'univers, comme la danse de Shiva crée l'univers.

 

f) Le Trois dans le théâtre de Shakespeare.

Un certain nombre d'auteurs dramatiques qui étaient des initiés, ont bâti leurs pièces entièrement sur le Trois.

Par exemple Shakespeare a entièrement construit "Le marchand de Venise" sur le Trois : c'est l'histoire d'un riche marchand qui a neuf bateaux sur la mer (3 × 3), et dans lesquels il a mis toute sa fortune ; un de ses amis vient le supplier de lui prêter de l'argent, mais il ne peut pas car tous ses bateaux sont sur la mer ; il va emprunter à un usurier 3000 ducats pour trois mois qu'il ne peut pas rembourser car ses bateaux ont sombré ; il y a alors un procès. Pendant toute cette histoire, en parallèle, on voit une femme, Portia qui doit trouver un mari ; pour cela son père lui a légué trois coffrets : un d'or, un d'argent et un de plomb ; chaque prétendant doit choisir un coffret et dedans il y a l'acceptation ou le refus. On voit trois prétendants : d'abord le roi du Maroc qui choisit d'ouvrir le coffret d'or ; le duc d'Aragon qui choisit d'ouvrir le coffret d'argent, mais aucun des deux n'obtient la bonne réponse ; enfin, le héros de la pièce, celui qui s'est fait emprunter les ducats, choisit le plomb qui est le plus humble, et c'est le oui au mariage. Le simple fait du Trois partout crée une atmosphère, crée une transcendance. Quand le roi du Maroc choisit le coffret d'or (gold), il y a toute une tirade où il médite sur l'or, et chaque ver de la tirade se termine par old : old, bold, gold  old, cold…. Dans une autre pièce, "Comme il vous plaira", on retrouve le même procédé avec le mot Rosalinde, l'héroïne de la pièce.

 

 

Pretty womang) Le Trois au cinéma

Il y a un film[13], "Pretty woman" (Une jolie femme), où tout est basé sur le Trois. Sous les dehors d'un conte léger, c'est un film initiatique. Il s'agit de la transformation d'un homme par une femme, et d'une femme par un homme à travers le Trois. Le metteur en scène se nomme Garry Marshall. C'est l'histoire d'une pute qui fait le trottoir et qui prend 300 dollars pour une nuit. Elle accroche un client, milliardaire, qui a besoin d'une "escort girl" pendant six jours pour des repas d'affaires. Elle lui demande 3000 dollars pour 6 jours. Quand ils se confient l'un à l'autre, elle lui raconte qu'elle a connu trois minables après quoi elle est tombée dans le ruisseau. Lui, dont le métier est de racheter des entreprises, de les démembrer et de les revendre avec beaucoup de bénéfices, s'était brouillé avec son père. Or, la troisième entreprise qu'il a rachetée est celle de son père. À un moment ils sont sur le balcon de l'hôtel et on aperçoit trois colonnes ; à plusieurs reprises la caméra fixe en gros plan un cheval chinois de l'époque Tang, or ce cheval a une patte levée, donc l'énergie du cheval repose sur trois pattes ; à deux reprises, on les voit arrêtés devant une porte dont le numéro est 333…. À la fin de la pièce, il est un peu le prince charmant qui vient réveiller la Belle au bois dormant : il va la chercher dans sa chambre pour l'emmener, et le numéro de sa chambre est 302… jamais deux sans trois ! Or j'ai appris que le réalisateur est bouddhiste depuis 16 ans, qu'il est le plus fidèle supporter du dalaï-lama aux USA. C'est un conte de fées moderne structuré sur le Trois comme le sont la plupart des comptes de fée. Cela, personne ne le voit mais peu importe, car ça a une action subliminale, c'est-à-dire que la présence même du Trois, implicite ou explicite – explicite quand c'est 333 ou 302, implicite quand ce sont des images articulées sur le Trois – la présence du Trois crée un rythme qui donne une qualité extraordinaire à ce film.

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La prochaine fois, à partir de ce que nous avons essayé de voir aujourd'hui – le sens du Trois, la présence du Grand Troisième dans tout l'univers –, nous essaierons de voir le sens extraordinaire des deux Upanishads chrétiennes, deux hymnes que l'on récite le jour de la Pentecôte : le Veni Sancte Spiritus – nous le prendrons en version originale parce qu'il y a le sens numérique et la vibration latine –, puis le Veni Creator. Dans la tradition chrétienne, il y a des trésors que nous avons complètement oubliés, négligés et massacrés.

 

Ce que je vois, Christian Bobin

 



[1] Jamais deux sans trois qui a comme sous-titre "le Grand Troisième dans les relations humaines", ALTESS Eds, 1996. Sur le site où on peut acheter la "Revue Française de Yoga" on trouve plusieurs extraits des articles de Jean Marchal qui sont parus dans cette revue, (cf. https://lemondeduyoga.org/fiche-personne/?fiche_id=25221). Il a écrit deux autres livres : Contempler, réfléchir, aimer (les trois voies d'accès à la connaissance) aux éd. ALTESS, 2008, et L'Apocalypse de Jean préfacé par Arnaud Desjardins, Question de n° 68 en 1987, réédité plusieurs fois aux éd Le Relié, dernière parution juin 2018.

[2] « La forme est le vide, le vide est la forme » se trouve dans le Hannyah Shingyô, soutra que l'on récite en zen (cf.  Hannya Shingyô (sûtra du cœur de la Sagesse transcendante) en japonais et en français)

[3] Phrase citée de mémoire par Lanza del Vasto, sans correspondant exact dans l’œuvre de Thomas d’Aquin. (Cf. https://www.lanzadelvasto.com/fr/actualites/eclairages/deus-est-relatio-lanza-del-vasto-et-saint-thomas-daquin/) 

[4] Par exemple, l'ashram créé en Inde par les Pères Henri le Saux et Jules Monchanin est dédié au Satchitananda. La triade  Sat-chit-ananda « traduit sur le plan abstrait en termes parfaitement corrects la définition des personnes divines et leurs relations. Dieu, dit cette formule est Sat, c'est-à-dire Vérité et Être ; Chit, c'est-à-dire Connaissance ou mieux Sagesse ; Ananda, c'est-à-dire Béatitude. Or, le Père est bien la Vérité de l'Être (“Je suis celui qui suit” : Sum qui sum). La Sagesse est le Verbe, le Logos de la tradition sapientiale. La Béatitude est le fait du Saint Esprit qui est Fruition, Amour éternel et parfait du Père et du Fils, selon les théologiens. Pour bien marquer que Sat, Chit et Ananda ne font qu'UN en Dieu, les brahmanes le lient en un seul mot : Satchitananda. » (Lanza del Vasto, Le pèlerinage aux sources, p. 26)

[5] D'après le Tao Te-King.

[6] Jean Marchal illustrait tout cela à l'aide de diapos. Ses formulations ont été modifiées puisqu'on ne voit pas les diapos sur ce fichier.

[8] Jean Marchal citait l'église de Vire. La photo mise ici vient d'internet et ne signale pas le lieu correspondant.

[9] Les "phénomènes de synchronicité". « Il s'agit de la coïncidence entre un événement extérieur imprévu faisant irruption dans notre existence en même temps qu'un événement intérieur (rêve, prémonition, vision) de même nature, ou porteur du même sens, sans aucune relation de cause à effet entre les deux. […] Dire que ces phénomènes manifestent avec une puissance et une évidence étonnante l'intervention du Grand Troisième dans la conduite de nos vies, me semble plus éclairant quant à leur genèse que d'affirmer avec Jung qu' “ils semblent être en relation avec des processus archétypiques inconscients”. » (Jean Marchal, Jamais deux sans trois, p. 170-171)

[10]Sur les innombrables représentations du Sept dans les différentes traditions, voir Le Dictionnaire des symboles de J. Chevallier, à l'article "Sept".

[11] Un message sur l'ikébana, la Voie des fleurs, paraîtra ultérieurement sur le blog des Voies d'Assise.

[12] Quatrain intitulé « La maison de vent » paru dans Le Chiffre des choses, Ed. Denoël, 1942. Cf. https://www.lanzadelvasto.com/fr/oeuvres/bibliographie/poesie/le-chiffre-des-choses/

[13] Il est passé en 2018 à la TV.

 

 

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