Enseignement de J. Breton en 1991 à partir du livre L'absurde et la grâce de J-Y Leloup
Lors du sesshin de trois jours de septembre 1991, Jacques Breton (1925-2017) a donné chaque jour un enseignement. Pour le 1er jour il s'est appuyé sur un passage du livre de Jean-Yves Leloup dont il était ami. Ce passage cite l'enseignement d'un moine du mont Athos sur la prière et a trait au souffle. J. Breton cite d'abord le passage en entier puis le reprend pas à pas.
Prier dans le souffle
Je vais d'abord vous lire un extrait de L'absurde et la grâce, un livre de Jean Yves Leloup. Ce sera une très bonne introduction à un sesshin et ensuite je le commenterai.
Quand il était au Mont Athos J-Y Leloup a interviewé le père Séraphin, un moine de là-bas. C'était un de ces fous de Dieu qui, lorsqu'on allait le trouver, se mettait à aboyer comme un chien, par humilité, pour dire qu'il n'était pas capable de nous aider en quoi que ce soit ; mais quand on acceptait cela, on rencontrait un sage. J-Y Leloup a interviewé ce moine sur la prière, et celui-ci lui avait déjà fait faire plusieurs exercices de méditation.
Ce que je vais lire se situe au moment où le père Séraphin parle de la respiration. Voici le texte (p. 144-145) :
- Le père accordait également beaucoup d'importance à l'écoute (plus qu'à la maîtrise) de la respiration. Il ne présentait pas cela comme une pratique psychosomatique propre à délivrer du stress et à calmer le mental, mais comme un authentique exercice spirituel.
– Prier, c'est respirer, me disait-il.
Je découvrirai plus tard, en traduisant l'Évangile de Jean, que Jésus demande à la Samaritaine de prier "en pneumati", qu'on traduit souvent par "en esprit", alors qu'il serait plus exact de dire : "dans le souffle", le pneuma grec étant la traduction de l'hébreu rouah, le vent, l'haleine de vie, le Souffle.
« Prier, c'est être attentif à ce qui respire dans la profondeur de notre souffle. Beaucoup de gens ont des très hautes idées sur Dieu, ils ne savent pas comment ils respirent. S'ils savaient, Dieu leur apparaîtrait beaucoup moins lointain ! Dieu est là dans tout ce qui vit et respire, il n'en demeure pas moins inconnu, mais c'est un inconnu tout proche dont on respire l'haleine dans le moindre de nos souffles.
La conscience de ta respiration te fera sortir de tes rêves. Tu reviens au présent, tu reviens à la réalité, à ce qui te fait être en cet instant.
Ta vie physique ne tient qu'à un souffle, ta vie spirituelle ne tient qu'à la conscience de ce souffle. »
Je me demandais intérieurement s'il n'y avait pas un peu de panthéisme dans ces paroles. Il continua :
« Ne fais pas de Dieu une chose même subtile que tu pourrais tenir entre tes poumons. Dieu n'est pas plus énergie que matière, mais c'est par lui que tout cela existe. La respiration consciente est une façon concrète de te tenir en Sa présence mais non de le posséder.
Respirer avec quelqu'un, unir ton souffle au sien, ce n'est pas le consommer, c'est de nouveau t'"accorder" avec lui, entrer en résonance avec lui. La sensation profonde d'unité ne détruit pas pour autant vos différences puisque c'est à partir de vos différences que vous cherchez à communier. Ainsi en est-il entre ton souffle créé et le Souffle incréé du Père inengendré qui t'engendre sans cesse dans ce souffle comme Son fils.
Le Fils procède du Père et de l'Esprit », ajoutait-il avec un sourire… mais sans vouloir entrer dans un débat théologique : pour lui respirer était une question de vie et de mort, non une question de théologie.
« À l'expir, pense à ton dernier souffle, là où tu iras après la mort ; tu y es déjà à la fin de ton expir. À l'inspir, pense à ton premier souffle, là où tu étais avant ta naissance ; tu y es encore à la source de ton inspir. »
Mais tout cela n'était que prolégomènes à une aventure plus profonde : l'éveil du cœur, avoir en soi « les mêmes sentiments que ce qui était dans le Christ Jésus »...
Ce texte est une bonne introduction au temps que nous allons vivre ensemble, mais il nous faut savoir d'abord ce que l'on entend par "prier". Bien souvent, on a une définition infantile de la prière… Prier peut consister à réciter des "Pater" et des "Avé" – et je ne veux pas dire que ce ne soit pas cela… mais c'est aussi autre chose.
Pour moi, prier c'est d'abord s'émerveiller. Par exemple, aujourd'hui, si vous êtes sortis dans le parc, vous avez pu voir la nature, en automne, avec toutes ces tonalités, cette richesse de toute sorte, cette vie qui est là… on est plein d'émerveillement.
S'émerveiller, c'est la même chose que rendre grâce pour cette beauté qui exprime la beauté infinie, la beauté éternelle, la beauté au-delà de toutes choses dont la nature n'est qu'une expression. Quand je commence à m'émerveiller devant cette nature si belle, que malheureusement l'homme gâche souvent, je peux aussi m'émerveiller devant quelqu'un qui commence à s'éveiller à cette vie, qui commence à se transformer, que ce soit un petit enfant ou même une personne d'âge mûr. Je m'émerveille aussi devant une personne dont la vie commence à se convertir, chez qui je vois se produire des changements. Je m'émerveille aussi de ce qui se fait en moi ; il est important de ne pas voir simplement notre péché, il faut voir aussi cette transformation, ces changements qui s'opèrent en nous, cette détente, cette ouverture, tout ce qui peut être vécu depuis un certain temps. Cela aussi est une forme de prière ; c'est l'action de grâces qui est au cœur même de la prière, qui n'est pas toute la prière.
La prière peut être aussi une prière de demande. La prière de demande est une prise de conscience de nos limites en tout : prendre conscience que j'ai une tâche à accomplir, une parole à dire, un geste à faire, un texte à écrire, et que je me sens dépassé par ce qui m'est demandé. Demander, c'est faire appel, parce que je sais que, sans cette aide de l'Esprit en moi, sans cette aide du divin en moi, je ne pourrai pas atteindre ce que je cherche. C'est ça la prière de demande, aussi bien pour m'éclairer dans mes choix que pour prendre une décision, car j'ignore l'avenir, beaucoup de choses m'échappent ; la prière de demande, c'est prendre conscience de nos limites, faire appel et accepter et désirer, et finalement collaborer intimement avec le souffle en moi ; petit à petit ce souffle va me permettre, avec moi, de réaliser ce que j'ai à faire. Si je vis cela pour moi, je le vivrai bien sûr pour les autres ; quand je me sens impuissant devant une personne en difficulté, ma prière de demande c'est vouloir que quelque chose se réalise en elle, pour qu'elle puisse elle aussi bénéficier de cette aide. La prière, c'est l'humilité profonde de l'homme qui sait qu'il n'est rien, mais qui sait aussi qu'il peut tout grâce à ce souffle.
La prière est aussi écoute ; qui dit écoute, dit aussi accueil, besoin de connaître, de savoir. Cette écoute va m'éclairer sur la vérité profonde de qui je suis, de qui est.
L'approfondissement de la parole, à travers des textes sacrés, et aussi à travers une personne ou des événements, c'est une écoute à avoir. Oui, quoi, qu'est-ce ? Cela fait aussi partie de ma prière.
Un autre côté de ma prière, c'est l'abandon ; c'est se donner, pouvoir communiquer aux autres, les faire profiter de tout ce que je porte en moi.
La prière ne peut pas se réduire à une seule forme. Prier, c'est m'unir intimement, profondément, ne faire plus qu'un avec le divin, avec l'Être profond qui est en moi, c'est être tellement uni que tout devient naturel, que je rende grâce ou que je demande.
Le moine dit : « Prier c'est respirer »… là on est au cœur de la prière. Toute prière ne sera vraie que si elle s'enracine dans l'Esprit. Saint Paul dit exactement la même chose quand il affirme : vous ne pouvez véritablement dire "Père" si vous n'êtes pas poussés par le souffle de l'Esprit (« Parce que vous êtes fils, Dieu a envoyé dans nos cœurs l'Esprit de son Fils, lequel crie: Abba! Père!» Galates 4, 6). Cela signifie que vous ne pouvez pas espérer communier à l'Être, s'il n'est pas là, déjà, en vous. Ce n'est pas possible par vous-même, c'est quelque chose qui vous dépasse infiniment.
"Prier c'est respirer". Le Mont Athos n'a, je pense, aucun lien avec le zen, mais on voit combien on peut être proches les uns des autres dans une expérience, et dans la mesure où l'on va au fond du fond des choses.
« Jésus demande à la Samaritaine de prier "en pneumati", qu'on traduit souvent par "en esprit", alors qu'il serait plus exact de dire : "dans le souffle"… » Dans l'évangile de Jean, lorsque la Samaritaine demande où il faut adorer Dieu, à Jérusalem ou ailleurs, le Christ répond : « Femme, crois-moi, l'heure vient où ce ne sera ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père… l'heure vient, et elle est déjà venue, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité… car Dieu est esprit. » (Jn 4, 21-24). En grec le mot pneuma signifie esprit, vent, souffle, et de même le mot hébreu rouah.
Le plus grand symbole qui manifeste le divin, c'est le souffle ; il est souffle, il est esprit. On pourrait aussi dire qu'il est feu. Ce qui nous met le plus en communion avec la réalité divine, c'est le souffle.
Au début de la Genèse, on voit le souffle planer sur les eaux, présidant à toute la création. Le souffle est l'expression la plus forte de l'Être en tant qu'il vient à nous, en tant qu'il agit avec nous, en tant qu'il communie avec nous.
Prier en esprit c'est, au fond, prier dans ce souffle que l'on peut interpréter comme le Souffle Spirituel (Esprit-Saint), mais aussi comme mon souffle, c'est le même mot. Dans la Bible, le mot hébreu rouah peut signifier l'esprit (éventuellement divin), le souffle, le vent. Je pense que cette ambiguïté est voulue et qu'elle est nécessaire à cause du lien tellement fort qui existe entre l'Être et le souffle. Le souffle dans la Genèse, c'est aussi le grand symbole de l'homme qui est tiré de la terre et à qui Dieu donne le souffle (Gn 2, 7).
Quand le divin s'exprime d'une manière extérieure, c'est le feu qui en est le symbole, mais dès qu'il se met en communion intime avec nous, c'est le souffle qui est le plus grand symbole, porteur de la vie divine.
« Prier, c'est être attentif à ce qui respire dans la profondeur de notre souffle », pas simplement à la superficie.
Qu'est-ce qui pourrait nous faire entrer véritablement en dialogue avec les autres religions ? C'est quelque chose d'impossible au niveau des idées puisqu'on a des idées différentes mais, on peut le faire dans l'expérience, grâce aux symboles. Tout le monde a des idées sur Dieu, mais quand je parle de Dieu en tant qu'il est souffle, je peux me faire comprendre aussi bien par un hindou, un bouddhiste ou un musulman, parce que c'est la même réalité que je vis à travers ce souffle. Donc, prendre conscience de ce souffle, c'est dépasser l'idée que je peux avoir de Dieu – et Dieu sait si je peux en avoir des idées sur Dieu !
« Beaucoup de gens ont des très hautes idées sur Dieu, ils ne savent pas comment ils respirent. S'ils savaient, Dieu leur apparaîtrait beaucoup moins lointain », si les théologiens faisaient ça, ils n'auraient plus un dieu conceptuel, et on n'aurait plus les définitions qu'on avait au catéchisme de notre enfance. La présence divine se manifeste d'abord dans ce qu'il y a de plus vivant en nous ; or, ce qu'il y a de plus vivant en nous, c'est justement la respiration, le souffle. Un homme peut se passer momentanément de manger ou de boire, mais ce qui le fait vivre, c'est la respiration. C'est ce qui est le plus proche de la vie. Il est vrai que la vie peut se manifester d'une autre manière : on peut, par exemple, sentir son cœur qui bat (c'est un peu dangereux de se focaliser là car on risque de tomber dans l'émotionnel) ; je peux aussi sentir la vie à travers ma main… mais ce qui est le plus simple et le plus vrai, c'est la respiration.
« C'est un inconnu tout proche dont on respire l'haleine dans le moindre de nos souffles. » C'est très beau ! Quand j'inspire et quand j'expire, je peux vivre à un certain niveau : je sens cet air qui circule, qui est porteur d'énergie etc. mais plus profondément je peux aussi sentir que cet inspir je le reçois comme le souffle du divin en moi. L'homme peut prendre conscience, à l'inspir, qu'il inspire le souffle divin, c'est ce qui le différencie de l'animal.
« La conscience de ta respiration te fera sortir de tes rêves», et Dieu sait si on peut rêver sur la vie, l'existence, l'avenir…! Prendre conscience de la respiration, c'est revenir à cette réalité intérieure qui est là. La vie que nous recherchons dans l'avoir, dans les livres et dans tout ce qui vit autour de nous, nous la trouvons encore beaucoup plus profondément en nous-mêmes, dans ce souffle intérieur communiqué par le Souffle divin.
« Tu reviens au présent, tu reviens à la réalité, à ce qui te fait être en cet instant. »Donc sortir des rêves, des concepts, des idées, etc. pour entrer dans cette réalité profonde à l'instant même où nous sommes.
« Ta vie physique ne tient qu'à un souffle, pense que ta vie spirituelle ne tient qu'à la conscience de ce souffle. » C'est donc la conscience que tu as de ce souffle en toi qui te permet d'accueillir la vie spirituelle qui est la tienne.
« La respiration consciente est une façon concrète de te tenir en sa présence mais non de le posséder. » Ça respire en moi : cette prise de conscience me montre que je reçois, que je ne peux pas posséder le souffle qui passe en moi. De même, je ne peux pas posséder Dieu que je reçois comme le souffle, ni le vent quand il passe. Dans tout chemin spirituel, le danger est de garder, de posséder, d'avoir… car nous avons tellement besoin de sécurité ! Le souffle passe, tu ne sais ni d'où il vient, ni où il va, et pourtant, lui seul peut te permettre d'être un homme en esprit (cf. Jean 3, 8).
« Respirer avec quelqu'un, unir son souffle au sien… c'est entrer en résonance avec lui. La sensation profonde d'unité ne détruit pas pour autant vos différences… » La méditation n'est pas seulement la prise de conscience de ce souffle en nous qui communie avec l'Être divin car dans la méditation, nous respirons avec les autres.
En assise zen, je ne suis pas tout seul, je suis en communion, je suis en rapport avec les autres. Respirer avec quelqu'un, c'est unir mon souffle au sien : quand je suis à côté de quelqu'un, nous participons au même souffle. Unir son souffle à l'autre, ce n'est pas le consommer, ni l'avoir ou le posséder, c'est s'accorder avec lui. En assise, je m'accorde avec mon voisin, on est en résonance (sauf s'il respire un peu fort, ce qui est gênant). La sensation profonde d'unité ne détruit pas nos différences puisque c'est à partir de nos différences que nous cherchons à communier. En assise zen chacun doit vivre selon ce qu'il est : trouver son mode propre, son rythme de respiration, sa manière de se tenir. Le souffle s'exprime d'une manière très différente d'une personne à l'autre car nous sommes différents, pourtant nous pouvons être en harmonie profonde… une communion très intime se crée : à certains moments, on sent même paix, la même joie, une force, un silence que l'on partage, un amour qui passe entre nous : on se sent unifiés en profondeur malgré nos différences à un autre niveau. Si nous pouvions tous vivre dans le même souffle, dans cette force intérieure, nous acceptant les uns les autres, chacun pouvant apporter sa note, ce serait extraordinaire ! Nous sommes très différents sur le plan extérieur (visage…), et nous sommes peut-être encore plus différents dans la manière dont la vie passe à travers chacun de nous pour s'exprimer, témoigner, rayonner, et chacun doit participer à sa manière à la création de ce monde. On acceptera d'autant mieux nos différences que l'on communiera plus profondément les uns aux autres. Dans la vie courante la communion peut se faire au niveau affectif ou intellectuel, mais si elle se fait dans la profondeur, c'est différent, car, c'est à partir de nos différences que nous communions entre nous.
« Ainsi en est-il entre ton souffle créé et le souffle incréé du Père inengendré… » Chacun a sa propre respiration, son propre rythme respiratoire, et le Souffle incréé vient s'unir à nous, sans détruire notre petit souffle, mais en lui donnant toute sa dimension, toute sa force, tout son dynamisme. Ce Souffle incréé vient s'unir à notre petit souffle pour donner toute sa dimension à notre vie.
« …qui t'engendre sans cesse dans ce souffle » car le souffle étant la vie, si tu acceptes de t'ouvrir à cette "haleine" qui est en toi et qui vient s'unir à ton souffle, à ce moment-là tu es engendré à nouveau par ce souffle, ce souffle qui a créé le monde. Si j'accepte de l'accueillir, c'est pour être engendré à nouveau.
Cela rejoint ce que dit maître Eckhart dans le sermon 6: « Le Père engendre son Fils dans l’âme selon le même mode selon lequel il l’engendre dans l’éternité, et pas autrement…. Le Père engendre son Fils sans relâche, et je dis plus : Il m’engendre comme son Fils et le même Fils. »[1]
« À l'expir, pense à ton dernier souffle, là où tu iras après la mort, tu y es déjà à la fin de ton expir. » À l'expir, tu vis ta mort, tu meurs à ce qui est ancien en toi (passé…), tu es engendré à nouveau avec l'univers. Donc à l'expir, pense à ton dernier souffle et si tu vas jusqu'au bout de ton expir, tu vivras cette mort.
« À l'inspir pense à ton premier souffle, là où tu étais avant ta naissance – dans le zen il y a un kôan là-dessus : "Quel était ton visage avant la naissance de tes parents ?[2]" –; tu y es encore à la source de ton inspir. » La respiration va nous aider à descendre à la source même de notre inspir, la source même de la vie. C'est à cette source que je peux rencontrer le divin, c'est là où il s'unit à moi profondément et intimement. À la source, il ne fait plus qu'un avec moi. L'eau et le souffle sont liés comme on le voit par exemple dans l'évangile de la Samaritaine où Jésus lui dit : « Celui qui boira de l'eau que je lui donnerai n'aura jamais soif, et l'eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d'eau qui jaillira jusque dans la vie éternelle », et ensuite le Christ parle du souffle (pneuma). C'est le vent qui amène l'eau, on sait trop bien que s'il y a plus de vent, il n'y a plus d'eau. Ce qui amène la vie, c'est le souffle. Et dans la mesure où je descends jusqu'à la source profonde de mon être, je suis présent à cette source qui devient jaillissante en moi, et c'est à ce moment-là qu'elle pourra se communiquer aux autres.
Dans la méditation, tout le travail est d'aller à la source, de descendre profondément là où jaillit le vent, et en même temps là où jaillit l'eau, car les deux sont liés du moment que l'on est à la source. C'est tout le travail.
L'assise dans l'esprit du zen est la prière par excellence dans la mesure où elle me permet d'aller jusqu'au cœur, jusqu'à la source, donc de découvrir et de m'unir profondément au Souffle incréé, de communier avec le Souffle incréé qui est source jaillissante pour moi et pour les autres. C'est extraordinaire qu'un moine du Mont Athos ait aussi bien traduit ce qu'est cette méditation, il devait la vivre très intensément et profondément dans son existence.
Pour le souffle, il y a plusieurs niveaux :
- un niveau humain où je sens plus le lien entre le souffle et ma vie ;
- un niveau plus profond où mon souffle s'unit au Souffle incréé, à l'Esprit divin.
Je vis cela dans l'assise, mais c'est tout au long du jour qu'il faut vivre cette conscience de la respiration qui me ramène à la source. Alors que je suis pris par tout un tas de choses, je reviens à la source pour m'unir à ce souffle, à cette force intérieure, pour pouvoir vivre ce que j'ai à vivre au niveau de mon intelligence et de mon cœur.
Dans l'évangile de Jean, comme chez tous les mystiques, la place du souffle est très forte :
- le Christ donne son dernier souffle au moment où il meurt : «Quand il eut pris du vinaigre, Jésus dit "c'est accompli"; et inclinant la tête, il livra le pneuma (le souffle, l'esprit) » (Jn 19, 30)
- lorsqu'il retrouve ses apôtres à la résurrection, il souffle sur eux en leur transmettant l'Esprit : « …ayant dit cela, il les insuffla et leur dit : "Recevez le Souffle Sacré(l'Esprit Saint)”.» (Jn 20, 22).
Les hindous, les bouddhistes… tous les hommes sont animés par ce même souffle, et le chrétien croit que ce souffle est aussi le souffle du Christ ressuscité.
[1] Voici le passage su sermon 6 un peu plus complet : «Le Père engendre son Fils dans l’éternité, à lui-même égal. « La Parole était auprès de Dieu, et Dieu était la Parole » : elle était la même chose dans la même nature. Je dis plus encore : Il l’a engendré dans mon âme. Non seulement elle [= l’âme] est près de lui et lui près d’elle [comme] égale, mais il est dans elle, et le Père engendre son Fils dans l’âme selon le même mode selon lequel il l’engendre dans l’éternité, et pas autrement. Il lui faut le faire, que cela lui soit agréable ou pénible. Le Père engendre son Fils sans relâche, et je dis plus : Il m’engendre [comme] son Fils et le même Fils. Je dis plus : Il m’engendre non seulement [comme] son Fils, plutôt : il m’engendre [comme] soi, et soi [comme] moi, et moi [comme] son être et sa nature. Dans la source la plus intime, je sourds dans le Saint Esprit, là est une vie et un être et une œuvre. Tout ce que Dieu opère, cela est Un ; c’est pourquoi il m’engendre [comme] son Fils, sans aucune différence. Mon père selon la chair n’est pas mon père à proprement parler, mais [seulement] en une petite part de sa nature, et je suis séparé de lui ; il peut être mort et moi vivre. C’est pourquoi le Père céleste est pour de vrai mon père, car je suis son Fils, et j’ai de lui tout ce que j’ai, et je suis le même Fils et non un autre. Car le Père opère une [seule] œuvre, c’est pourquoi il m’opère [comme] son Fils unique, sans aucune différence. » (Traduction G. Jarczyk et P-J Labarrière)