Partie I du dossier "Masculin/féminin, yin/yang, animus/anima" : textes de K-G Dürckheim
Ce dossier contient des textes de K-G Dürckheim en 1ère partie et, dans le message suivant en 2è partie, des textes de Jean Marchal et de Jacques Breton (qui se sont formés chez lui) .
Graf Dürckheim a reprisau taoïsme le symbolisme du yin/yang : la Vie se meut dans la tension incessante entre le yin et le yang, au niveau du microcosme qu'est l'homme mais aussi au niveau de la société. En particulier il a souvent souligné la complémentarité de l'Occident et de l'Orient au niveau du cosmos, l'un étant plus yang, l'autre plus yin :
- « La pensée occidentale croit, s'épanouit, cherche sa totalité, s'accomplit et meurt sous le signe de la forme achevée. Elle est orientée vers la perfection et la durée. L'esprit oriental éclôt, grandit, fleurit, recherche le Tout, se réalise et meurt sous le signe de l'éternelle transformation et de la fusion de toute forme dans l'unité du Tout. » (Pratique de l'expérience spirituelle, p. 166).
Au niveau de l'homme, Dürckheim a relié le yin/yang (masculin/féminin) à la théorie de l'anima/animus[1] développée par Jung, en soulignant la nécessité pour chaque homme masculin de réaliser sa part féminine, souvent réprimée, et pour chaque femme de développer son côté masculin. Cette reconnaissance joue sur les relations homme-femme.
PLAN de ce dossier :
- I – Extraits de livres de K-G Dürckheim : 1) Le yin et le yang ; 2) Le chemin, l'amour, l'érotisme, la sexualité ; 3) Yin et yang, masculin et féminin ; 4) Rendre au féminin sa place ;
- II –1) Animus et anima (d'après Jean Marchal) ; 2) Trouver l'autre pôle en soi-même (par J. Breton) 3) Les pôles yin et yang en chacun (d'après Jacques Breton).
N B : La distinction conscience-flèche/conscience-coupe correspond à la distinction masculin/féminin. Elle n'est pas traitée ici mais elle est traitée dans Conscience-flèche et conscience-coupe (K-G Dürckheim) ; regard zen.
I – Masculin et féminin, yin et yang, animus et anima…
Extraits de livres de K-G Dürckheim
1°) Le yin et le yang
Extrait de L'expérience de la transcendance p. 63-64
Le problème essentiel que la psychothérapie moderne a à résoudre est la reconstruction de l'intégrité que l'être humain a perdue parce qu'il a perdu sa part féminine. Quelles que soient les divergences qui séparent les différentes écoles psychothérapeutiques, elles ont en commun cette certitude : il n'existe pas seulement l'homme et la femme, mais aussi le masculin dans la femme et le féminin dans l'homme. Et pour devenir et rester un homme à part entière, il faut devenir un être humain total et donc accepter ce qu'il y a de féminin en soi et le développer. Cette connaissance gagne en profondeur lorsque l'on considère le symbole vivant du yin et du yang dans la sagesse orientale, et avant tout, lorsque l'on se rappelle que d'une façon globale, l'Occident a plutôt favorisé l'expression du pôle masculin et l'Orient celle du pôle féminin. D'ailleurs, nous ne devons pas comprendre les termes Occident et Orient en leur sens uniquement extérieur, ethnologique : ils représentent bien plutôt deux aspects dans chacun d'entre nous.
Le côté oriental accentue le yin, le côté occidental le yang. Yin, le caractère féminin, tend à la réintégration de l'âme au sein du Tout-Un. Le yang est plutôt le principe créateur s'affirmant dans la singularisation et la diversité des formes. Le yin abolit le temps dans l'éternité du présent. Le yang connaît l'évolution dans le temps et donc les changements constants du monde extérieur. Mais pour tous, le moment est venu d'accorder l'importance qui leur revient à chacun de ces deux pôles et de tendre à leur intégration donc de comprendre que l'opposition Orient/Occident n'est pas un problème géographique mais un problème intérieur à l'homme. Cela est valable pour tout homme, mais aussi pour tout peuple.
2°) Le chemin, l'amour, l'érotisme, la sexualité
Extrait de Le centre de l'être p. 191-195
Dans beaucoup de couples le ciment qui maintient les partenaires ensemble est la sexualité. Les deux n'en sont pas conscients mais il n'y a pas encore dans ce cas de relation personnelle, de relation qui vous engage en tant que personne. Bien souvent, il y a ces amitiés amoureuses où rien ne se passe si on ne peut pas tout le temps s'embrasser. Autour de ça il y a des enveloppes, des légitimations, mais en réalité il n'y a que la sexualité qui compte. Et sans la relation sexuelle, il n'y a rien qui se passe. Alors c'est ennuyeux et on s'embrasse de nouveau !
Nous devons faire la distinction entre puissance et sentiment. Ainsi l'amour, la sexualité, la haine, la colère, un sentiment de justice peuvent vous envahir d'une telle façon que ce n'est plus un sentiment. Dans les traditions anciennes nos ancêtres ont su que la sexualité était une puissance transcendante. Elle était projetée sur l'image d'un dieu. Chaque année les grandes orgies étaient dédiées au dieu Phallus par exemple, et dans ces fêtes, le partenaire n'était pas tellement important.
Aujourd'hui c'est le partenaire qui, en tant que personne, est le plus important. Mais nous avons réduit ce qui représente une puissance transcendante à un instinct.
Grâce aux travaux de C. G. Jung, on recommence à envisager la réalité de ces puissances. Dans la rencontre avec une autre personne nous devons nous demander dans quelle mesure nous ne sommes pas envahis par une puissance, qu'elle soit bonne ou mauvaise, qu'elle soit dirigée dans le sens du bien ou du mal. Le moi peut être envahi par une puissance transcendante et l'homme ne sait plus ce qu'il fait ! Il devient cette puissance et n'a plus de liberté, de libre-arbitre. Ainsi peut-on être à ce point en colère contre quelqu'un, qu'on le tue ! pour ensuite se dire : « Mais qu'est-ce que je fais ? Ce n'est pas moi ! » Vous avez raison de dire : « Ce n'est pas moi. » C'est vrai, ce n'est pas vous, homme conscient, mais cette puissance présente dans votre inconscient l'a fait pour vous. […]
Sur le chemin, c'est la puissance des forces de l'Être qui élargit votre horizon, qui vous élargit et vous met dans votre grandeur. Le devoir de l'homme est de reconnaître ces puissances, que leurs caractères apparaisse comme positif ou négatif, et de les intégrer. […]
Lorsqu'un couple a des difficultés, l'un ou l'autre parle de la différence des caractères qui lui semble être la source de ces difficultés. Cependant, s'ils se souviennent du début de leur rencontre, ce sont exactement ces différences de caractères qui les ont poussés l'un vers l'autre, qui les ont attirés l'un vers l'autre ! Bien souvent les deux projettent dans la vision de l'autre un agrandissement de ses qualités. Ainsi, par exemple, la femme voit chez l'homme une masculinité qui manquait chez les hommes qu'elle avait connus auparavant, et l'homme voit chez la femme une envergure transcendante à travers ses mille facettes.
La fascination rend compte de tout le côté de soi-même qu'il faut développer, côté inconscient qui attend d'être touché. C'est ce que Jung appelle l'anima chez l'homme et l'animus chez la femme. L'anima et l'animus font qu'on projette sur l'autre un ensemble de qualités qu'on est soi-même. C'est parfois tellement fort que, si on perd l'autre, on a l'impression qu'on va mourir.
Ça ne veut pas dire que l'autre soit sans qualités. Mais les qualités de l'autre sont agrandies par la projection de ses propres qualités. Ces qualités qui sont projetées font partie de l'Être essentiel. Elles attendent de s'intégrer au moi existentiel.
Dans l'inconscient de l'homme comme dans l'inconscient de la femme il y a l'archétype de la mère, de la grande Mère. C'est le grand féminin qui est très attractif et pour l'homme et pour la femme. C'est le principe de la grande Mère avalante. Tous les marins sont attirés par le chant des sirènes.
Votre propre mère peut représenter cet archétype, c'est la mère dominante qui ne vous lâche jamais même si vous avez soixante ans et elle quatre-vingts.
J'ai ici une femme qui m'explique qu'elle est en train de couper une relation avec un homme parce que, enfin, elle trouve la force de se séparer. Et elle me raconte un rêve qu'elle a fait quelques jours plus tôt. Dans ce rêve, elle se voit en tant qu'homme qui se couche avec sa mère de la même façon que le coq prend la poule ! C'est un rêve assez étonnant qui rappelle ce qu'on dit dans le langage énigmatique de l'alchimie où, sur le chemin de son individuation, l'homme doit se coucher avec sa mère afin de devenir homme. À la fin de ce rêve, cette femme s'éveille et se sent autre. On peut comprendre qu'après ce rêve, cette femme trouve la force de se séparer de cet homme… Parce que sans doute elle projetait son côté masculin sur lui : ce qui la fascinait chez cet homme c'était son côté masculin à elle. Dans ce rêve, elle intégrait son côté masculin et le système de la projection s'écroulait, et la voilà indépendante, libre. Ce qui pourrait donner une autre base à sa relation avec cet homme, si lui est assez mûr pour avoir devant lui une femme indépendante. C'est en tout cas une toute nouvelle situation pour elle vis-à-vis d'elle-même et vis-à-vis des autres.
L'amour véritable est bien difficile à définir. On ne peut pas définir l'amour en disant : c'est sexuel, c'est l'érotisme, c'est la compréhension, c'est la fidélité, c'est…!
L'amour c'est encore bien autre chose. C'est ce que j'appelle volontiers le Grand Troisième[2].
3°) Yin et yang, masculin et féminin
Extrait de L'Esprit guide, p. 77-157
Nous avons le yin et le yang partout. La dualité entre le masculin et le féminin n'est pas le privilège des taoïstes. Dans la psychologie de C. G. Jung, il y a non seulement l'homme et la femme, mais il y a le féminin dans l'homme et le masculin dans la femme. La dualité yin-yang est une réalité universelle.
Vous avez également la dualité entre l'existentiel et l'essentiel. Chaque être vivant est cloué sur une croix où se croisent l'horizontale et la verticale. L'horizontale représente la réalité dans le temps et dans l'espace, la verticale l'Essentiel.
Par exemple, l'Essentiel d'une plante dans sa semence est "l'image" de la forme que deviendra la plante. C'est une réalité verticale. En même temps chaque plante souffre des conditions extérieures, voilà l'horizontale de sa croix. La plante peut ne pas avoir assez d'air, d'eau et peut avoir de la mauvaise terre.
Mais il y a là une différence avec l'homme, qui ne souffre pas seulement pour devenir lui-même au sein des conditions extérieures. Car il a en lui-même quelque chose qui s'oppose à la réalisation de son Être, c'est sa faculté rationnelle, sa pensée objectivante qui forme une réalité statique par laquelle on peut prévoir les choses. On l'appelle la "réalité objective" vis-à-vis de laquelle ce que l'homme ressent en lui-même n'est que "subjectif". Or la réalité de l'homme ne peut pas seulement être décrite en se servant uniquement de la conscience conceptuelle, mais seulement si on voit ces deux pôles existentiel et essentiel.
Le yin c'est le féminin, le yang c'est le masculin. Chacun peut se demander s'il est plutôt masculin ou plutôt féminin. J'ai remarqué moi-même que dans mes écrits je suis assez yang, mais dans ma façon d'être avec les gens je suis un peu trop yin. J'essaie toujours de comprendre, de mettre les choses en harmonie et de détendre ce qui se durcit. On ne peut pas dire que le yin est meilleur que le yang, ce sont deux points de vue complètement différents.
Naturellement, personne n'est que yang ou que yin. Personne n'est que masculin ou que féminin. Il y a toujours un côté féminin même chez un homme très masculin. Et il y a toujours un peu de masculin chez une femme très féminine. Autrement ils ne pourraient pas survivre. En l'homme ou la femme, il y a donc toujours les deux côtés….
On rencontre toujours des situations qui exigent un peu plus de yang que de yin ou un peu plus de yin que de yang…
Vous devez d'abord accepter le caractère que vous êtes. Si vous voulez vivre dans votre vérité, vous devez être le témoin de votre réalité. Si vous êtes plutôt yin, ne pas jouer le yang, et inversement si vous êtes plutôt yang, ne pas jouer le yin.
Que veut dire le mot équilibre ? L'homme qui a une certaine maturité, il n'est pas facile de le faire sortir de son équilibre. Certains caractères sont plus ou moins accentués sur tel ou tel côté. Ils sont trop marqués par un trait, qui pourrait être un trait parmi d'autres. Mais s'il prend le dessus, alors c'est une personne qui n'est pas dans son équilibre. Par exemple, quelqu'un qui se fâche facilement ou qui est plus ou moins hystérique. […]
* * *
On peut parler de l'homme et de la femme, ou plutôt du masculin et du féminin. Il n'y a pas de doute que notre siècle a redécouvert la femme dans sa valeur, et a reconnu que le yin n'est pas moins que le yang. C'est un fait que tout ce qui est science, rationnel, tout ce qui fixe, fait partie du masculin.
- Le masculin ou yang pénètre, tranche et met en forme.
- Le féminin ou yin, reçoit, réconcilie et dissout.
C'est une bonne chose pour chacun de se poser au moins une fois la question : « où en suis-je ? Plutôt masculin ou plutôt féminin ? » […]
C'est en connaissant cela que l'on peut juger ce qui se passe aujourd'hui dans cette redécouverte du féminin.
Il y a deux sortes de féministes. Les unes disent : nous sommes tout aussi capables que les hommes de faire de la politique, tous les travaux, même d'être soldat. Ce sont des femmes qui deviennent yang.
Et puis, il y a les hommes qui découvrent le côté yin d'eux-mêmes.
Mais dans le développement de notre civilisation, le masculin est beaucoup trop fort. Le féminin au sens le plus large est celui qui ressent la profondeur. Il faut une attitude plutôt yin que yang pour se mettre à l'écoute de notre profondeur. Dans ce sens-là, ce type expérience est fait plus facilement par un esprit yin que pas un esprit yang. Et le fait que l'on commence à reconnaître l'importance de cette expérience est dû à un mouvement yin. […]
Nous avons déjà parlé des champs privilégiés où faire des expériences de l'Être : il y en a quatre.
- c'est tout d'abord la grande nature : le silence de la forêt par exemple,
- c'est ensuite l'érotisme
- puis l'art : chaque œuvre d'art est transparente pour la transcendance, autrement c'est une croûte ;
- enfin, c'est naturellement le culte.
Alors, l'érotisme. Là il faut faire la différence entre l'érotisme et la sexualité au sens de "sensuel". Une caresse très fine peut aider à découvrir une profondeur extraordinaire qui est autre chose que l'intensité d'une expérience sexuelle. Il faut faire la différence entre la profondeur d'un sentiment et son intensité. Souvent on ne les distingue pas. Et c'est ce que je vois chez tant de femmes qui viennent me voir, et qui ont été blessées par un manque de subtilité de la caresse de l'homme. Il y a des femmes qui sont mariées depuis vingt ans et qui n'ont jamais été caressées au sens propre du mot.
Une fois, par exemple, j'ai passé ma main, comme une caresse, sur le visage d'une femme pour lui enlever la peur. Elle m'a dit alors : « Que faites-vous là ? Les hommes vous touchent partout mais jamais ils ne vous caressent le visage. » […]
La sexualité est le fait que la dualité entre deux personnes soit dépassée dans l'acte sexuel justement. L'un se fond dans l'autre. Pour un moment, deux ne font plus qu'un. Si la sexualité apporte le fruit qu'elle peut apporter, chacun peut ressentir une grande profondeur. Il y a disparition du moi existentiel dans une réalité qui dépasse l'homme dans son ego. Alors se fondre dans la profondeur de l'acte sexuel peut être la source d'un renouvellement du moi. On n'est plus le même si on a eu le courage de s'éteindre totalement dans l'autre. Ce qui est beaucoup plus difficile pour l'homme que pour la femme. La femme a le problème de pouvoir s'ouvrir et de pouvoir se lâcher. Pour l'homme c'est le problème de dépasser sa conscience objectivante, c'est-à-dire celle qui fait de l'autre un objet. Il y a très peu d'hommes qui sont capables d'éviter de faire de la femme, au moment de l'amour, un objet de jouissance. En général, l'homme garde toujours une certaine distance, il ne se perd pas totalement dans l'érotisme et même pendant la sexualité.
Il faut donc bien différencier l'érotisme et la sexualité. L'érotisme, c'est la caresse, ce toucher très doux que malheureusement beaucoup d'hommes sont incapables de faire. L'érotisme peut avoir une profondeur en éveillant le corps éthérique[3], qui dépasse absolument la profondeur de la sexualité. L'acte sexuel peut avoir une grande intensité sans profondeur, tandis que la caresse peut avoir une profondeur extraordinaire sans intensité. C'est là la différence. L'érotisme c'est la caresse. La sexualité, c'est l'acte sexuel. […]
* * *
Nous savons que beaucoup de mariages ne marchent pas bien et qu'il y a une quantité de problèmes là-dedans. Tout d'abord, que signifie l'amour qui précède le mariage ? Bien souvent l'homme épouse sont anima, ce qui pose un tas de problèmes par la suite. L'anima c'est une projection que l'homme fait du féminin qu'il a besoin d'être en lui-même et qu'il projette sur une femme. Alors il voit dans la femme une image de son féminin, celui dont il a besoin.
Car chaque homme (et inversement chaque femme) a besoin du féminin (du masculin). Un homme très masculin a besoin d'un féminin particulier pour compléter son être entier. Souvent l'homme qui épouse une femme épouse son anima, mais il s'aperçoit un beau jour que sa projection ne correspond pas à la réalité qu'il a en face de lui. C'est un premier grand problème.
Si un homme cherche à devenir un homme total, il est juste qu'il n'épouse pas une femme qui soit simplement le double de sa façon d'être. […]
En général, on ne fait pas la connaissance d'une femme pour l'épouser aussitôt. Aujourd'hui, beaucoup plus rapidement que dans le temps, les gens ont une relation érotique. Ça peut être là un grand problème. Je connais beaucoup de mariages qui ne vont plus très bien car l'entente se faisait uniquement et très fortement sur le plan érotique, où l'intensité de la rencontre sexuelle leur avait fait imaginer qu'ils pourraient très bien faire un couple. Mais par la suite, cela n'a pas été le cas.
Ainsi se pose le problème de savoir sur quel plan se rencontrent un homme et une femme. Il faut faire la différence de la rencontre sur le plan existentiel, entre deux moi(s) existentiels avec leurs facultés, leurs dons, leur charme, et de la relation sur le plan essentiel. Là c'est tout autre chose. L'union sera d'autant plus solide que les deux feront partie du même Être essentiel. Ils auront quelque chose en commun qui leur fera toujours dépasser les crises. Parce qu'au fond, les crises ont leur source dans le moi existentiel et ne mettent pas en cause la communion profonde. Il leur faut donc poser la question : « sur quel plan nous entendons-nous ? »
Naturellement, pour ceux qui ne sont pas conscients de cette profondeur, la question reste de savoir si l'on se comprend vraiment sur le plan existentiel. À ce moment-là, la recherche de la profondeur dans la relation est modeste. Il faut vraiment faire la différence entre les différents niveaux de l'homme.
Quand une fille me demande : « Est-ce que vous croyez que je devrais épouser cet homme ? Je l'aime beaucoup », je donne toujours le conseil de faire un voyage de plusieurs semaines avec lui et de voir s'ils s'entendent et comment ça marche. Ils sont ainsi ensemble toute la journée… Parce qu'il y a beaucoup de rencontres très belles mais seulement en passant, mais dès que l'on doit s'entendre dans une chambre pendant quatre semaines, alors on voit les frictions et au fond on voit si ça marche bien ou s'il ne s'agit que d'une intense relation érotique.
Mais on ne peut pas généraliser sur ce qui fait qu'un homme et une femme s'entendent à la longue.
Pourtant, sur ce point, il faudrait que les jeunes aient une indication qui leur permette de distinguer sur quel plan s'entendre. Sur le plan érotique ? Alors cela ne peut durer que quelques années et, à la fin, on s'ennuie ensemble. Inversement, je connais beaucoup de mariages où il n'y avait plus de relations sexuelles depuis 30 ans mais qui s'entendaient profondément.
Il y a aussi le cas où l'un des deux seulement, l'homme ou la femme, se trouve sur un plan plus profond. Par exemple, la femme qui dit : « Mon mari n'a pas le moindre contact avec la profondeur… j'ai à faire un homme avec lequel je n'ai pas de relations spirituelles. Il me dit : “Je ne te comprends pas, tu me poses toujours des questions qui me dépassent.” » Si donc l'un des deux ne vit que sur la surface de la personne, il ennuie l'autre, il manque quelque chose. […] Une spiritualité qu'on partage s'avère donc plus importante que la sexualité qu'on vit ensemble.[…]
L'une des choses les plus importantes pour les gens qui vivent ensemble est de respecter un secret dans la profondeur de l'autre. On n'y touche pas et on ne pose pas de question. Il y a là quelque chose que chacun garde pour lui-même.
Chacun a son mystère propre qu'on ne peut pas mettre en paroles, qu'on ne peut pas définir. Pour l'un, c'est la question religieuse, pour l'autre c'est la question de l'individualité. On doit laisser à l'autre son secret. On peut aller très loin dans la compréhension, mais il ne faut pas toucher à une certaine profondeur. Surtout en ce qui concerne la relation de l'homme avec le Divin, dans son Être profond et qu'il exprime à travers une croyance en quelque chose, des images ou des histoires. Beaucoup de malentendus ont lieu à ce niveau, car les deux époux n'ont pas exactement la même profondeur. Pour l'un la religion peut faire problème, alors que pour l'autre c'est du baratin.
4°) Rendre au féminin sa place
Extrait de Méditer: Pourquoi et comment p. 58-59
La culture occidentale est une culture d'esprit masculin. Du développement unilatéral des qualités viriles résulte la méconnaissance, sinon la répression, des potentialités féminines. Parce que la vision de la réalité dans laquelle nous vivons est déterminée en priorité par ce qui est accessible à la définition rationnelle et à la maîtrise technique, l'âme est nécessairement brimée. Un critère d'appréciation basée sur l'efficacité et ses résultats mesurables refoulent le monde de la sensibilité, de l'harmonie intérieure et des sentiments. Jusqu'ici l'émancipation féminine a plutôt représenté l'émancipation de l'élément masculin chez la femme, car nous nous trouvons encore sous le signe d'un monde du "père" orienté vers une activité efficace, le travail, et un comportement respectueux des lois.
L'égalité de la femme concerne ses droits à l'intérieur d'une société de la productivité. Le féminin est souvent condamné, non seulement chez l'homme mais aussi chez la femme, à un destin fantôme. Son énergie refoulée prend alors une place importante parmi les forces d'ombre de notre temps, celle qui bloque le chemin de l'Être essentiel.
L'éveil à la vie initiatique contribuera donc très probablement à rendre au féminin sa place dans la synthèse intégrale de la vie. Pour accéder librement à l'initiation, il faut que soient dégagées les forces émancipatrices du féminin.
L'épanouissement de l'esprit initiatique ouvre à l'homme et à la femme des domaines communs, mais aussi des champs d'expérience différents. Sans aucun doute, l'esprit masculin est particulièrement attiré par l'univers du rationnel et de la science pure, par le macrocosme et le microcosme dont les secrets se révèlent dans les sciences naturelles et la technique. |…]
Bien des domaines sont ouvertes à l'activité masculine. Il reste cependant à la femme des champs d'expériences transcendantes que l'homme ne connaît pas. Des antennes particulières permettent à l'intuition féminine de percevoir le Tout Autre. En elle-même déjà la maternité la comble des secrets qui lui sont propres, d'ouvertures spécifiques vers l'Être surnaturel.
[1] Pour Jung « cette double figure est, au même titre que l'ombre, un complexe psychique, un ensemble de représentations qui peuvent acquérir dans les rêves ou les visions une autonomie propre : chaque fois que la conscience tend à l'unilatéralité, l'animus ou l'anima apparaissent comme compensation qui insiste sur un autre pôle négligé de la psyché. Leur finalité profonde tend à une conjonction entre l'identique et le différent, entre le moi et l'autre en soi. »
[2] Sur le thème du Grand Troisième voir Jamais deux sans trois, L'Esprit comme Grand Troisième, conférence n°1 de Jean MARCHAL au centre Assise en 1991.