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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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2 juin 2018

Enseignements d'Eizan Rôshi en 1998 au centre Assise, avec comme fil rouge le Hakuin Zenji Zazen Wasan

Hakuin Zenji Zazen Wasan – le chant du zazen de Hakuin – est un sûtra essentiel du zen rinzaï. On le récite tous les soirs pour marquer la fin d'une journée de méditation. Dans ce texte Hakuin parle à partir de son expérience de l'éveil. Le message précédent du blog porte sur lui : voir message précédent

 

Eizan Rôshi, enseignementEizan Rôshi, l'actuel responsable du Ryutaku-ji a commenté ce texte lors d'un sesshin de 7 jours  au centre Assise, en particulier en 1998 où l'interprète était Philippe Jordy en qui Eizan a grande confiance pour la traduction du japonais en français. Jacques Breton, prêtre et fondateur du centre Assise était présent, Eizan Rôshi y fait allusion et parle parfois du christianisme.

Le Chant de Hakuin en tant que tel a débuté le troisième jour, mais ce qui est dit avant a rapport avec lui, le premier jour commence même avec la 1ère phrase à propos de la "nature de bouddha"*.

Une annexe figure à la fin avec un glossaire reprenant différents termes marqués d'un astérisque, mais les termes les plus employés n'ont pas d'astérisque. Voici une traduction des termes les plus utilisés (et commentés à la fin) : dokusan (entretien privé avec le rôshi) ; kenshô (satori, éveil) ; samâdhi (absorption) ; zazen (assise zen).

En deuxième partie d'annexe il y a une liste des maîtres les plus cités, chinois puis japonais (en particulier Hakuin).

 

Mise en garde.

Ces enseignements datent d'il y a 20 ans et c'est à partir de notes personnelles que la présente transcription a été faite. Petite mise en garde : d'une part il peut y avoir des erreurs de transcription, d'autre part Philippe Jordy traduisait immédiatement donc sans pouvoir vérifier, et enfin Eizan Rôshi ne dirait peut-être plus les choses de la même façon.

Pour certains jours du sesshin*, mes notes sont précises et abondantes puisque juste après le sesshin j'avais fait une transcription avec l'aide d'un enregistrement (une petite partie avait été publiée dans la Voix d'Assise n° 13 de mai 1999), mais pour le 5e jour par exemple, j'ai peu de notes et je n'ai plus les enregistrements. C'est pourquoi la quantité d'enseignement transcrit n'est pas le même pour chaque jour. Pour de rares passages où je n'avais pas assez de notes, j'ai pioché dans des notes prises lors d'autres sesshin. J'ai ajouté quelques titres et quelques notes.

Ce message a été publi pour la 1ère fois en mai 2018 et il y a eu quelques ajouts en février 2019.

                                                                                Christiane Marmèche

 

 

Au centre Assise à Saint-Gervais (Val d'Oise)

Enseignements d'Eizan Rôshi en 1998

Avec comme fil rouge le Hakuin Zenji Zazen Wasan

 

 

PREMIER JOUR

Les méthodes d'ascèse et le zazen

 

  • Au début de ce premier enseignement Eizan Rôshi a donné à chaque participant une carte postale représentant le mont Fuji, et au dos l'interprète avait écrit : « Fuji, Unique, Immortel, Éternellement », cela étant suivi de la signature d'Eizan Rôshi.

 

Le thème de mon enseignement de ce sesshin sera HAKUIN ZENJI ZAZEN WASAN une sorte d'hymne au zazen écrit par maître Hakuin. Il contient les expériences de Maître Hakuin. C'est ce que nous chantons le soir pendant le sesshin.

Un sesshin est quelque chose de sain en termes de temps et en termes d'espace. Il est important d'élargir cet espace sacré et ce temps jusqu'au paradis. Cela, c'est l'idéal de l'homme religieux, mais nous, nous sommes dans un espace un temps impur, sali. C'est la grande différence entre ceux qui ont la foi et ceux qui ne l'ont pas, ceux qui pratiquent zazen et ceux qui ne le pratiquent pas, entre ceux qui ont le kenshô* et ceux qui ne l'ont pas, entre ceux qui sont sauvés et ceux qui ne sont pas sauvés, entre ceux qui errent et ceux qui ont trouvé la voie.

Nous allons essayer de faire nôtre cette espace-temps sanctifié.

 

Voici le chemin de maître Enô* qui fut le sixième patriarche après Bodhidharma*. Il était d'une famille très pauvre de Canton à l'extrême-sud de la Chine. Son père meurt et, enfant, il récoltait du bois avec sa mère pour vivre. Un jour qu'il est passé devant une maison avec un fardeau sur les épaules, il a entendu le Sûtra du Diamant[1] et a décidé de devenir moine. Il a demandé aux gens du village de prendre soin de sa mère, mais du coup, il devait faire une ascèse parfaite, faute de quoi il aurait trahi l'espérance des villageois.

Il part, et après un mois de voyage, il arrive au temple de Kônin*, un maître renommé.

À peine maître Kônin l'a-t-il vu qu'il le questionne : « Et toi, d'où viens-tu ? Pourquoi es-tu venu ? » Enô de répondre : « De Canton. Pour réaliser ma "nature de bouddha". » Il s'était fixé comme objectif la recherche de la réalisation.

Et Kônin : « Tu viens de Canton, alors comment un petit singe comme toi peut-il devenir bouddha ? » En effet Canton - la région d'où venait Enô - était très pauvre, et le dialecte de cette région était incompréhensible pour les gens qui parlaient la langue nationale.

Enô de répliquer : « Pour les hommes, il y a le nord et le sud, mais il n'y a ni nord ni sud dans la nature de bouddha. Bien que ce corps de singe soit différent de votre corps, il ne peut y avoir la moindre différence dans leur nature de bouddha. »

C'est la preuve qu'Enô avait une réalisation exemplaire. En effet, de tout temps, tout homme est pénétré de la nature de bouddha. C'est ce qu’indique d’entrée le chant de Hakuin : « Tout homme est bouddha par nature. » Est-ce qu'entre vous et moi il y a la moindre différence ?

Le zazen est le raccourci pour trouver la nature de bouddha.

 

●   Les pratiques d'ascèse.

Il y a de nombreuses religions, chacune a ses pratiques d'ascèse, chacune a sa philosophie sous-jacente. Mais l’idéal religieux ne peut se vivre qu’au travers d’une pratique. L’homme est limité par ses cinq sens, il lui faut donc sauter au-delà de ses limites.

Qu'est-ce que l'ascèse ?  L'homme à une structure double : esprit / corps (psychologie / physiologie) si bien qu'une ascèse religieuse se fixe pour objectif d'unifier le corps et l'esprit.

 

Des méthodes d'ascèse existent. Je les ai classées en 7 chapitres, la huitième étant le zazen*.

1. La lecture et la récitation des sûtra : on les répète, on les chante. C'est la même chose en christianisme avec la lecture de la Bible, les chants comme le Kyrie eleison ou la Prière du cœur. Le “cœur - esprit” se pacifie alors. Répéter des mantras a des effets au niveau du corps et de l'esprit. Le corps est revitalisé, l'esprit est pacifié. Ces pratiques permettent d’entrer dans le samâdhi*

2. Les percussions : sonner la cloche ; taper sur le poisson de bois lorsqu'on récite les sûtra… Le poisson de bois oblige à bien détacher les syllabes, et chaque incantation régulière fait que lorsqu'on pique du nez, ça nous fait lever la tête. En christianisme on a un peu la même chose avec les psalmodies.

3. Écrire, copier des textes fondamentaux comme les sûtra. Les moines occidentaux eux aussi ont fait cela pendant des siècles.

4. Faire kin-in* comme ici ; se promener dans la nature ; faire un pèlerinage de temple en temple…

5. Contempler un paysage : voir le soleil qui se noie à l'horizon ; ne faire plus qu’un avec l’arbre, la montagne ou la lune.

Quand on est en avion, on est au-dessus des nuages. Faire zazen c'est rentrer dans ce monde sans nuage mais il ne faut pas s'accrocher à cette image d'un ciel bleu. Simplement, si vous êtes dans un zazen juste, vous comprendrez que vous êtes dans ce monde sans nuage.

6. Prendre des bains, faire des ablutions pour être complètement lavé.

7. Il y a aussi des expériences limites[2] : se faire asperger d'eau sous une cascade (il faut tenir ferme sur ses jambes pour ramasser la force de l'eau) – en effet le cœur est rempli de passions et de désirs qu'il faut purifier –; ou encore marcher sur des braises, cela brûle les attachements ; jeûner sans rien manger : très vite on atteint un point limite, et le problème c'est d'en sortir puisqu'il y a péril de mort. Il fut une période dans notre tradition où nous avons eu beaucoup de décès.

8. Faire zazen : respirer convenablement, mettre en ordre son corps et son cœur.

Hakuin, le mont FujiDans la méditation le corps doit être comme le Mont Fuji. On peut commencer par compter ses respirations. Puis on respire de plus en plus lentement, alors, au lieu de compter, on expire sur MU. Il n'y a pas besoin de penser avec la tête. C’est comme un verre qui contient de l’eau boueuse et qui se décante : l’eau devient de plus en plus pure. Le corps s’allège comme s’il flottait dans le ciel, un sentiment de pureté apparaît. Il y a des effets physiologiques : de rouge qu'il était, le visage devient blanc, les pieds se réchauffent…

Le zazen intègre tout ce qui est limite, tout ce qui est utile. Si votre zazen est parfait, vous intégrez la totalité.

Le zazen c'est passer du monde relatif au monde absolu. Il faut couper tout ce qui est relatif. Mais, en vérité, il n'y a même pas de monde absolu. Seulement je suis bien obligé d'utiliser des mots.

 

●   Nécessité d'une vérification.

Le zazen c'est pour éteindre l'ego, le contentement de soi, car l'ivresse de soi engendre une direction impérialiste des autres. Le problème est qu'on peut retrouver cette ivresse de soi dans le samâdhi, aussi il ne faut pas s'arrêter là, il est nécessaire qu'il y ait un système de contrôle de l'expérience intime.

Toutes les religions finissent par rejoindre ce que j'ai dit de la méditation. Seulement, chez toutes il y a des risques de dérive. Or il n’y a que dans le zen rinzai* qu’on trouve une méthode rigoureuse de vérification. Elle est basée sur des kôan*, des textes dont il faut se pénétrer, mais ça ne suffit pas.

Il y a une succession de maîtres qui ont fait la même expérience que Bouddha et qui ont été contrôlés par le système des kôan. Mais pour pratiquer cette méthode de vérification, il faut une autorisation délivrée par un maître. C'est en tant qu'un de ces maîtres que je vous reçois en dokusan*. Il vous faut venir en dokusan  pour faire vérifier votre état.

Le kôan est souvent une question que pose un maître à son disciple. Quand on fait le travail sur les kôan, il s'agit de trouver le mot important. Mais en fait on est dans le monde d'avant la pensée, donc pas de mot mais des actions.

 

 DEUXIÈME JOUR

L'expérience de Hakuin, nécessité d'une vérification de l'éveil

 

●   L'expérience de jeunesse de Hakuin.

Hakuin est né en 1685 au pied du mont Fuji et est mort à 84 ans. À trois ans, au monastère où sa mère l'a emmené, il a vu une image de diable qui faisait cuire des êtres humains dans un enfer. À 15 ans il devient bonze et se déplace de maître en maître.

Voici une histoire du temps de sa jeunesse. Quand il a 24 ans, il vit au Eigan-ji et il s’attelle au kôan Mu. Il en perd le boire et le manger. Il en oublie d’aller aux toilettes, d’uriner... Et, alors qu'il passe une nuit complète à faire zazen, il est en samâdhi sans se rendre compte de ce qui arrive… au loin, une cloche annonce l'aube, et c'est à ce son qu'il s'éveille[3].

Vient le moment où il se rend compte qu'il a réalisé l'éveil, et il clame que personne n'a jamais réalisé un aussi grand éveil. Mais son maître ne veut pas reconnaître son éveil.

Vient un partenaire, Sôkaku : « Tu dis que tu as réalisé l'éveil, ce serait bien de le faire authentifier par le maître Shojû* que je connais bien. » Il y avait environ 200 km à faire à pied.

Il faut bien voir que beaucoup de pratiquants sont morts en route alors qu'ils allaient voir un maître. Autrefois, pour bénéficier de la pratique et du moment privilégié qu'est le dokusan, il fallait mobiliser tous ses efforts. Aujourd'hui, il y a deux dokusan par jour, les pratiquants peuvent y aller quand ils le veulent… et ils ne sont pas toujours prêts à y aller !

Hakuin arrive devant Shojû après 15 jours de pérégrinations. Il voit un petit ermitage, un bâtiment, et il se dit qu'il n'est pas possible qu'il y ait un maître d'envergure dans cette cabane. Il frappe. Pas de réponse.

Il va aux environs et voit Shojû travailler dans les champs. Il se fait reconnaître à lui : « Je viens de la part de Sôkaku, et il m'a demandé de faire vérifier mon expérience. » Shôju de répondre « Ah bon ! » et il se remet à travailler.

Imaginez Hakuin qui se fait ignorer de la sorte !

Hakuin est rentré le soir avec Sôkaku. Vient Shôju qui est redescendu de la montagne. Les voilà tous les trois qui mangent en silence. Et Shôju va se retirer dans sa chambre quand Sôkaku l'implore de donner une audience à Hakuin.
« Ah bon, alors viens. »
Hakuin est là devant Shôju qui n'était pas grand.
Et Shôju : « Alors tu dis que tu as eu le kenshô. Donne-moi la preuve. »
Hakuin donne un papier sur lequel il a relaté son expérience.
Et Shôju : « Je n'en as pas besoin, cela ne sert à rien les choses écrites sur un papier. Montre avec ton corps. »
Hakuin fait comme s'il était saisi de nausée.
Quelle réponse !
Alors Shôju insiste : « Le kôan Mu, qu'est-ce que c'est ? »
Et Hakuin de répondre : « Mû on ne peut le restituer par des mots, la main n’a pas de prise. C’est dans le silence. Vous et moi ne faisons plus qu’un. Il n’y a plus d’interstice, plus d’espace entre vous et moi ! ». C’est bien comme cela que ça doit être : c’est lisse, il n’y a aucune aspérité, aucune prise.
Mais c’est là que l’autre a tendu la main et a tordu le nez de Hakuin : « Ah bon, il n'y a pas de prise ? Tu es tombé dans le trou, le piège de Mu. » Et il le prend, il le jette : « Imbécile. »
Hakuin en est resté tout hébété.

Et la confrontation entre Hakuin a continué encore un certain temps.

Un jour Hakuin a été poussé à toute extrémité, c'est alors que le grand Hakuin s'est révélé.

 

Que feriez-vous si on vous tordait le nez ? C’est une sorte de kôan. Je vous en prie, si vous avez la réponse, apportez-la en dokusan. Mais à ce moment-là, si vous continuez à penser des choses avec votre tête, quand vous vous prosternerez et que vous relèverez la tête[4], moi je vous tordrai votre nez ! Je vous le répète, vous n’atteindrez pas la réponse avec votre tête, vos pensées, c’est simplement par la pratique de Mû que la réponse surgit. Soyons clair : la pratique du zen n’est pas quelque chose qui vient de l’extérieur. On fait la confusion là-dessus, tout le monde se trompe. Il faut que la réponse surgisse, coule de vous. C’est la différence entre la réalité et la représentation de la réalité. Là nous avons la réalité même.

 

Tous les maîtres zen ont fait attester leur éveil en dokusan. Cependant il y a divers types de kenshô (d'éveil). Or il faut réaliser l'éveil sur le kôan Mu de la même manière que maître Mumon l'a décrit dans son premier verset.

 

Dans le bouddhisme il existait 1700 kôan, et comme plusieurs se ressemblaient, Hakuin a mis de l'ordre et il y en a maintenant entre 300 et 400.

Le kôan Mu est la base de tous les kôan : les autres kôan reposent sur lui, ce ne sont que des variations de Mu. Et si vous ne comprenez pas les autres, c'est que vous n'avez pas compris le premier. Tous les autres, vous les comprendrez en franchissant Mu. L'essentiel c'est le Mu. Il faut être Mu de l'extrémité des cheveux jusqu'à la pointe des orteils ! Il faut s'épuiser dans ce kôan Mu, ne pas se précipiter non plus, se mettre en zazen avec rectitude et pousser sur Mu.

Au Ryotaku-ji, maître Sôen* m’avait donné ce kôan. Pendant longtemps, quand j’allais le voir, je ne savais que répondre et j’avais la tête pleine de confusion ; et il me frappait... j’avais envie de prendre le bâton, frapper en retour, mais, est-ce qu’on peut imaginer frapper un rôshi ? Alors tout ce que je me bornais à faire, c’était de le fusiller du regard. Maître Sôen me disait : « Mais ne fais donc pas une tête pareille !  C’est effrayant ! » Et je vous assure que ça a duré longtemps.

On ne peut pas tout dire. Il y a beaucoup de rencontres et d’expériences qui se passent....

 

Quand vous faites MU, c’est MU qui finit par venir à vous. Il y a ce monde où moi, je fais MU, ou plutôt où c’est MU qui me fait. Enfin… ce monde, c’est MU justement. Simplement le problème est dans ce processus : le faire / ne pas le faire. Et c’est ce flot, ce courant d’énergie qui est important ; il n’y a rien d’autre que ce courant, ce processus dans l’univers. MU est à l’origine de tout questionnement, de toutes les énigmes. Après, tout ne sera que variations sur ce thème de MU. Et je vous dis que si vous passez MU, si vous le réalisez, alors vous résolvez tout. Voilà ce que je vous affirme en conclusion.

 

TROISIÈME JOUR

Début du Hakuin Zenji Zazen Wasan

 

Les êtres sensibles sont tous bouddha par nature.
C'est comme l'eau et la glace,
Sans eau, pas de glace.
Hors des êtres sensibles, pas de bouddha.
Ne sachant pas combien proche est la Vérité,
nous la cherchons au loin ; quelle pitié !
Nous sommes comme un homme dans l'eau,
mais criant “J'ai soif !”
Ou comme le fils d'un homme riche
s'en allant parmi les pauvres.

 

Hors des êtres sensibles, pas de bouddha : l'eau est le monde du satori, la glace celui de l'errance. Il faut donc réchauffer la glace : le réchauffement, c'est le zazen. De toute éternité les hommes sont bouddha, donc tout le monde peut avoir le kenshô. Ceux qui ont le kenshô c'est l'eau, ceux qui ne l'ont pas, c'est la glace. Mais, pour le bouddhisme, l'eau et la glace sont parfaitement semblables, elles sont une même substance, seule la forme est différente.

Avoir le kenshô, quelle blague ! L'éveil n'est pas autre chose que la vie ordinaire.

Venir à Kaizen-ji[5] c'est très bien, mais du point de vue de la réalisation, sachez qu'il est inutile d'aller au Japon. Restez en France. Quelle erreur de penser que le monde du zen est au Japon, il est dans l'univers entier.

Le zen est là quand vous respirez, quand vous vivez, quand vous mourez.

 Vous voyez le poisson dans l'eau, mais il ne sait pas ce qu'est l'eau. Bien que totalement dans le monde du zen, l'homme ne sait pas qu'il s'y trouve. Le voilà immergé et pourtant il ne sait pas ce que c'est que l'eau.

 Au Japon, dans les temples, il y a une pancarte : « Faites attention aux pieds ». Il ne s'agit pas seulement de faire attention à la marche et de placer les chaussures bien alignées !!

 

●   Histoires zen. Où est le vrai danger ?

Paint par Gao Ertai & Pu XiaoyuJe vais vous raconter un épisode de Dorin, un moine qui méditait dans un arbre en Chine. Il faisait toujours zazen perché sur une branche d'arbre. Le voilà sur sa branche : le moindre endormissement, il tombe. C'est pour lutter contre le sommeil qu'il est monté sur son arbre.

Vous, vous n'avez pas ce souci !

Un autre maître montait à la cime d'un arbre avec une échelle et laissait tomber l'échelle : il voulait atteindre l'éveil, pas question de redescendre, tant pis s'il risquait de mourir !!! Vous n'avez pas idée du sérieux des gens d'autrefois.

Autrefois les pratiquants mettaient leur vie en jeu dans l'ascèse. Il y a énormément d'épisodes qui mettent en jeu cette lutte contre le sommeil. Par exemple avec un poinçon, un maître se poinçonnait ! Quel maître fabuleux…

Quand vous avez sommeil, il faut se lever et faire kinhin*.

 

Dans le zazen, il y a là une différence à peine palpable entre rentrer dans le sommeil et rentrer dans l'éveil. Quand on rentre dans un bon état de zazen, le sommeil est là aussi qui guette, il peut y avoir bifurcation. Il y a une très mince épaisseur entre le samâdhi et le sommeil.

Je vous avais parlé d'une certaine santé nécessaire pour faire zazen…

 

Je reviens à mon histoire...

Un jour un villageois est passé sous l'arbre de Dorin et lui a demandé : « Qu'est-ce que tu fais là, tu es en danger ! » et Dorin de répondre : « C'est toi qui es en danger ».

 

Hakuin, calligrahie de la mortEn effet, vous ne savez même pas si demain vous allez être vivant ou mort. On ne sait qui sera mort et qui vivra ;

  • rien n'est plus certain que la mort ;
  • rien n'est plus incertain que l'heure de la mort.

Dans les monastères bouddhistes, le matin, nous nous saluons en nous rappelant mutuellement qu'il faut mourir.

Voici un traité de la mort :

  • on meurt inéluctablement ;
  • on ne sait pas quand ;
  • on ne peut pas avoir quelqu'un d'autre à sa place ni prendre la place de quelqu'un d'autre.

Trop de gens oublient leur propre mort, ils l'occultent.

La conscience de la mort, c'est le chemin religieux. Tous les vrais philosophes parlent de la mort. Mais ils auront bon en traiter, pour résoudre le problème, il faut s'engager dans une démarche religieuse.

 

●   Le fils de l'homme riche, parabole du Sûtra du Lotus.

À Paris, j'ai vu des mendiants, et c'est le même spectacle dans toutes les grandes villes : ils récupèrent le reste des magasins.

Sutra du Lotus, fils de l'homme richeDans le Hokkekyô[6] (Sûtra du Lotus), tous les moyens de salut sont décrits. Il y a l'éveil du Bouddha, et voici un épisode[7].

Il y avait autrefois un homme riche qui avait un fils. Un jour ce fils est parti à l'aventure. Il a perdu son chemin et on ne l'a jamais retrouvé.

Des années passent et voilà que, à l'âge adulte, devenu clochard, il frappe par hasard à la porte de la nouvelle maison de son père pour mendier. Les serviteurs de la maison lui donnent de quoi manger. Le vieux père a le temps de l'apercevoir tandis qu'il repart, et il a alors cette intuition : « Mais c'est mon fils ». Et il ordonne à la maisonnée de retrouver le mendiant.

Les serviteurs partent à sa poursuite et essayent de ramener le misérable. Mais lui de s'écrier : « Je ne suis pas un voleur, je suis un simple mendiant, laissez-moi, je vous en prie. » Et les serviteurs : « C'est simplement que notre maître veut te rencontrer. » Mais déjà le clochard est tellement effrayé qu'il s'évanouit. Et le maître demande qu'on le laisse tranquille.

Après quelque temps, il a une idée : il propose à ses serviteurs de se déguiser en clochards et d'aller le chercher pour lui proposer un travail à la maison. C'est ce qu'ils font. Et voilà le clochard dans la maison qui ne se doute pas que le maître est son père.

Quelque temps se passent et le vieux père est sur le point de décéder. Il fait son testament dans lequel il stipule que ce clochard sera l'héritier de la maison, ce qu'il refuse mais on arrive à le convaincre.

Et c'est cette histoire qui est citée par Hakuin dans le Zazen Wasan : « Le fils d'un homme riche parti vivre parmi les pauvres. »

 

Tous les hommes ont par nature la nature de bouddha, mais beaucoup refusent de le voir. Pour eux il est impensable qu'un homme aussi égoïste, aussi particulier que l'homme puisse avoir cette nature de bouddha. Et pourtant, quelle que soit la vilénie de l'homme, il a toujours été dans le monde de bouddha.

 

 QUATRIÈME JOUR

Les pratiques ; les six mondes

 

1) La question des pratiques.

 

La pratique du zazen dans le Mahâyâna
est au-dessus de tout éloge.
Les vertus de perfection, que sont le don, l'observation des préceptes, et les autres ;
L'invocation du nom de Bouddha, le repentir et l'ascèse ;
Et les autres bonnes actions.
Cela provient d'ICI, revient à CECI

 

J'ai dit que c'est zazen qui permet de se libérer de la souffrance, et certains disent : pourquoi souffrir en faisant zazen ? Voilà bien la logique des Occidentaux ! Lorsque vous faites une ascension en montagne, vous transpirez, vous suez. C'est pénible ! Pourtant, lorsque vous arrivez au sommet, vous être contents. Si vous voulez y allez facilement, prenez l'hélicoptère !

On explique en bouddhisme qu'il y a six grandes pratiques pour sortir du monde de l'erreur, zazen étant la plus élevée. Le sens profond est que si vous faites zazen, vous les incluez toutes.

Hakuin parle du zen Mahâyâna* c'est-à-dire du Grand Véhicule. C'est peut-être un énorme bateau, un paquebot, et sur cet immense véhicule tout le monde s'y trouve, aussi bien hommes que femmes, aussi bien laïcs que moines, aussi bien anglais que japonais… Le bateau vous emporte du monde de l'illusion vers le monde de la réalisation.

Hakuin cite plusieurs de ces six pratiques[8]. Les voilà toutes :

 

 

Le bodhisattva Kannon1) Les offrandes de toute nature.

Dans le bouddhisme il y a trois types d'offrandes :

  • offrandes de richesses : de l'argent, du riz, des vêtements, des bâtiments…
  • offrande de l’enseignement : mon teishô est une offrande de ce type ;
  • offrandes pour pacifier le cœur des gens, apporter la paix : par exemple vous donnez un regard bienveillant aux autres comme une mère pour son enfant, vous offrez votre travail…

Il y a des conditions aux offrandes, en particulier, que les termes soient parfaitement purs :

  • celui qui fait l'offrande
  • celui qui reçoit l'offrande
  • l'offrande elle-même.

Il y a beaucoup de donation d'argent dans le monde politique, mais c'est de l'argent impur. Si c'est pur, il y a la joie de celui qui reçoit et aussi la joie de celui qui donne.

 

2) L'observance des préceptes.

Il y a environ 250 préceptes pour les hommes et 348 pour les femmes[9] : ne pas tuer, ne pas voler, ne pas mentir, ne pas prendre d'alcool...

De même, en sesshin, il faut bien suivre des règles pour organiser la vie. Ces préceptes sont là pour faciliter votre zazen. Il ne s'agit pas de les respecter parce qu'on vous a dit de les observer, mais de le faire parce qu'ils facilitent votre zazen.

 

3) La patience.

C'est par exemple le fait d'endurer les souffrances que vous avez dans les jambes.

Quand ils souffrent, il y a des gens qui s'exclament : « Comment, à moi qui n'ai jamais rien fait de mal, pourquoi m'arrive-t-il telle souffrance ? » Ils comprennent tout en termes de cause et d'effet. Et pourtant il y a parfois des gens confrontés à une grande souffrance sans qu'on puisse en trouver la cause.

Il s'agit en zazen d'endurer la souffrance… et vous êtes parfois jetés dans une fournaise. Vous saviez que vous pourriez ne pas participer au sesshin, rester chez vous et faire la même chose, mais chez vous. Cependant il est difficile de pratiquer zazen seul. En groupe nous nous aidons : nous sommes tous dans un train…

 

4) Les efforts.

Tout un chacun a pensé au moins une fois dans sa vie : « Pourquoi suis-je là ? » Pour résoudre cela on peut lire des livres de philosophie qui contiennent beaucoup d'explications, mais…

Et de plus, on aura beau se fixer un objectif dans la vie, ce n'est pas pour cela qu'on arrivera à le réaliser.

 

Je vais vous raconter une histoire.

Il y avait un paresseux qui faisait la sieste du matin au soir.
Arrive un voisin : « Eh, jeune fainéant, tu ne t'en vas pas suer sang et eau pour travailler ? »
Et le jeune de répondre : « Travailler, qu'est-ce que c'est ? » 
 – « Après tu auras de l'argent. »
– « Avec de l'argent qu'est-ce que je ferai ? »
– « Tu pourras construire une magnifique maison de vacances dans le sud de la France, et tu auras tous les moyens d'y faire la sieste. »
Et l'autre : « Eh là, petit vieux, à l'instant même j'étais en train de faire la sieste ! »

 Il y a donc bien des manières de mener sa vie ! Dans mon enfance, le mot "s'amuser" était presque interdit. Je crois que les Japonais travaillent avant de s'amuser, et que pour les Européens, c'est l'inverse.

Le zen n'est pas dans cette problématique, pour lui travailler et s'amuser, c'est la même chose. Dans chacun il faut prendre autant de plaisir. Chaque jour est un bon jour, soit dans le travail, soit dans l'amusement.

 

5) La pratique du zazen.

Je souligne trois choses à propos du zazen :

  • unifier l'esprit
  • départir le cœur-esprit de la souffrance
  • faire sien le monde de la vérité.

Je cite juste la circonstance historique qui fait que j'ai rencontré Jacques Breton : Bouddha et Christ nous auraient-ils fait une espièglerie en nous faisant nous rencontrer ? Cette rencontre qui fait que nous sommes là ici à faire zazen était pourtant impossible…

 

6) La sagesse.

Sagesse et connaissance sont distinctes, c'est quelque chose qui est mal compris. En effet :

  • ce qui est de l'ordre de la connaissance, c'est quelque chose qu'on peut recevoir et qu'on peut donner, enseigner ;
  • mais ce qui est de l'ordre de la sagesse, on ne peut le recevoir de quelqu'un d'autre. C'est quelque chose qu'on fait germer, qu'on développe en soi, qu'on entretient, qui va sortir de soi et c'est cela le satori.

Le bouddhisme prend l'image du miroir : s'il est parfaitement pur, s'il n'y a pas de poussière et si on met un objet devant comme une pomme ou une fleur, il le reflète parfaitement. Si vous enlevez la pomme ou la fleur, il ne reste rien. Voilà un fonctionnement très important.

Quand il s'agit du cœur de l'homme, le fonctionnement est différent : si on y fait réfléchir une pomme, celle-ci reste et s'accroche. Le miroir, lui, n'a aucun attachement.

Seules les personnes qui ont réalisé l'éveil peuvent comprendre parfaitement cette logique, les autres ne peuvent pas comprendre.

 

Je vous donne un exemple. Voici un verre, on boit du vin dedans, on le lave. Puis on va aux toilettes avec, et on "pisse" dedans. On le vide, on le lave…. et on boit du vin dedans : difficile ! Il a été parfaitement lavé, mais nous savons que quelqu'un a "pissé" dedans : la connaissance est acquise une fois pour toutes. Voilà l'attachement !

Vous ne trouverez nulle part une histoire comme ça !!!

 

De la même manière qu'on a distingué sagesse et connaissance, il faut distinguer réalité et vérité. La réalité est traitée par la science, la vérité est traitée par la religion.

Par exemple, voici un éventail :

  • La réalité est une : c'est une évidence que c'est un éventail.
  • Mais la vérité c'est qu'il y en a plusieurs : ainsi cet éventail peut être un bâton, on peut en faire une décoration, on peut s'amuser avec, imiter quelqu'un qui fume etc. [à chaque fois Eizan illustre concrètement]. Il y a donc beaucoup de vérités.

La réalité est objective, la vérité est subjective.

 

Si vous observez ces six grandes pratiques, vous arrivez à créer une sorte de zone. Mais vous ne savez pas que vous êtes plongés dans le monde de bouddha tant que vous n'approfondissez pas votre pratique. La condition est de se plonger dans le monde où il n'y a rien, et alors vous pouvez vous aussi devenir cet habitant du monde de bouddha.

 

2) Les six mondes de l'errance.

 

 Nous renaissons parmi les six mondes
car nous sommes perdus dans les ténèbres de l'ignorance,
loin, toujours plus loin dans l'obscurité.
Quand pourrons-nous échapper à la naissance et à la mort ?

 

Le Hokkekyô (Sûtra du Lotus) énumère les six mondes de l'errance :

  • le monde des enfers,
  • le monde des esprits diaboliques,
  • le monde des animaux,
  • le monde des furies,
  • le monde des hommes
  • le monde des dieux (paradis).[10]

 La raison pour laquelle Bouddha est entré en méditation, c'est la souffrance. Il y a deux types de souffrance[11] :

  • les souffrances dues à la destinée (naître, vivre, mourir) ;
  • les souffrances dues à la stupidité de l'homme.

Il y a très peu de gens qui peuvent éteindre cette souffrance.

 Comment faire pour se libérer de ce monde des ténèbres ? Il s’agit de ne plus s'attacher à quoi que ce soit. Même s’attacher au kenshô est un piège. La religion est là pour guérir les êtres malades, mais elle-même elle est malade. Le but de la religion est donc d'ouvrir sur un monde où il n'y a plus de religion.

Le bouddhisme pose comme principe le non-soi. Mais il est difficile de se détacher de son ego, surtout pour un européen !

 

L’éveil n’est qu’un pas sur le chemin. Maître Hakuin a avoué plusieurs expériences d’éveil, une grande et au moins 18 autres. L’éveil est multiple, et tous les éveils ne sont pas recevables au même titre. Le travail n’a pas de fin, pas de limite.

 Nous récitons les 4 vœux :

  1. Quoique les hommes soient innombrables, je fais vœu de les éveiller tous.
  2. Quoique mes illusions soient incalculables, je fais vœu de les éteindre toutes.
  3. Quoique l'enseignement du Dharma* soit illimité, je fais vœu de le connaître en entier.
  4. Quoique le chemin de Bouddha soit sans fin, je fais vœu de le suivre totalement.

 Le travail ne s’arrête pas aux réponses à quelques kôans, il se poursuit jusqu’à la mort. Mais un seul instant de zazen vaut plus que beaucoup d'autres pratiques.

 

 CINQUIÈME JOUR

 

Le mérite du zazen même pratiqué une seule fois
efface les innombrables actes négatifs accumulés.
Plus de voies maléfiques,
mais la Terre Pure, là, toute proche.

 

L'existence est remplie de "péchés" – en entendant par "péché" tout ce qui est un obstacle à l’éveil –. Par le seul fait de vivre l'homme accumule des "péchés", par exemple pour vivre il sacrifie des tas d'autres existences. L'homme est un être égoïste, il agit à sa guise… par exemple il pense que le bœuf a été créé pour lui servir de nourriture.

Pour vivre chaque jour, l'homme accumule des "péchés". Le christianisme remercie Dieu pour les biens reçus ; le bouddhisme le remplace par le repentir – aussi nous joignons les mains pour le repentir. Le "péché" c'est perdre de la vue de Dieu.la religion s'occupe de la relation entre l'homme et Dieu. Il n'y a pas de religion sans lieu où l'on prie et où l'on pratique quelque chose comme les sacrements. Saint Paul dit que c'est dans la rencontre avec Dieu que s'opère la conversion. La "conversion", quel mot important ! En zen, le kenshô c'est la conversion.

Hakuin dit que le paradis est ICI. C'est ici qu'il faut l'exprimer. Ce n'est donc pas après la mort ! pensez à Dante et à sa Divine Comédie ! En christianisme Jésus dit : « Le Royaume de Dieu est tout proche, il est au milieu de vous. »

 

Si, humblement, nous entendons une fois ce Dharma (cet enseignement),
Si nous le célébrons et l'épousons joyeusement,
nous recevrons un bonheur sans limite.
Nous nous y concentrons…
Nous témoignons de la vérité : la nature de soi est non-nature.
Et nous voilà loin de toute discussion vaine.

 

Ici le zazen réunit deux grandes religions et pour moi c'est un miracle. Sur 6 milliards d'individus quelques personnes pratiquent zazen… imaginez une steppe avec une immensité d'herbe et de sable, et comparez cela à la quantité de sable qui se trouve sur un ongle !

C'est zazen qui vous a choisis, et c'est comme si une tortue, au milieu de l'océan, réussissait à passer sa tête au travers du trou d'une planche perdue à la surface ! [allusion à une parabole du Sutra du Lotus]

Mes yeux qui regardent Dieu sont les yeux de Dieu qui me regarde : cela c'est tout à fait zen, les mêmes propos se trouvent dans le commentaire que Mumon a fait du kôan Mu de Jôshû. J'ai le texte pour ceux qui veulent [cf. Le kôan Mu (Le chien de Jôshû)]

Maître Eckhart est très proche du zen quand il dit : « L'œil par lequel je regarde Dieu est l'œil par lequel Dieu me regarde[12].»

Si vous réalisez le kenshô, vous verrez par les yeux de Lin-Tsi, de Jôshû …. Les yeux de Dieu voient tout de l'homme, et quand vous êtes un avec ses yeux, c'est cela le satori.

 

Voici une citation d'Angélus Silésius : « Dieu surpasse tout, au point qu'on ne saurait parler. La meilleure prière c'est le silence [13]. »

Bouddha lui-même, après son éveil est resté silencieux pendant 21 jours. Les mots de Bouddha sont des mots surgis du silence.

Saint Jean dit “Au commencement était la Parole”, et je propose de dire : “Au commencement était le silence”. Mais il faut aussi des mots pour partager la rencontre avec Dieu, et ces mots doivent jaillir du silence.

Et saint Matthieu dit : “Quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme ta porte et prie ton Père qui est là dans le secret.” Prier silencieusement, porte fermée.

L'effigie de la Vierge pacifie le cœur. Il en est de même de certaines images de Bouddha qui sont objets de vénération. Plus vous honorez une image, plus vous faites un avec elle.

Comme dit Hakuin dans son chant : « Nous nous y concentrons… Nous témoignons de la vérité :la nature de soi est non-nature. Et nous voilà loin de toute discussion vaine. » tout vient de la non-nature. Descartes disait : « Je pense donc je suis. », et en zen : « Je ne pense pas donc je suis. »

Je voudrais qu'en zazen les chrétiens oublient l'existence de Dieu.

 

Le zazen lui-même est la religion du souffle (de la respiration) et du silence. Et dans ce silence il s'agit de se retrouver tout entier. En pratiquant zazen, vous devenez bouddha. Votre visage change, en fait c'est votre cœur lui-même qui change.

 

SIXIÈME JOUR

 

Zazen est l'enseignement du silence. Il consiste à mettre en place sa respiration, son corps, son esprit ; et mettre en ordre son corps, c'est le véritable état naturel.

Vous faites zazen, et si vous faites un zazen normal, les poumons, l'estomac, les intestins, tout ce qui doit être à sa place s'y retrouve naturellement. Pour cela il faut tenir la verticalité. Mais si vous êtes courbés, les organes pèsent.

Le zazen est un chemin qui permet de former des êtres humains normaux. Mais la normalité est quelque chose de bien difficile à régler dans la vie. Par exemple en France on parle en mangeant alors qu'au Japon on mange en silence.

Dans le zazen, ce qui doit être à sa place est remis à sa place et fonctionne à plein. L'harmonie s'installe. Le zazen c'est l'état normal.

 

La porte de l'unité de cause et effet s'ouvre.
Le chemin de la non - dualité et de la non - trinité court droit devant.

 Considérer la forme de la non-forme comme forme,
que nous allions ou revenions, nous ne sommes nulle part ailleurs que là.
Considérer la pensée de la non-pensée comme pensée,
que nous chantions ou dansions, nous sommes la voix du Dharma (la Loi bouddhique).

 Comme il est vaste, illimité, le ciel pur du samâdhi !
Comme il est transparent, le parfait clair de lune de la quadruple Sagesse !

 

Dans ce monde, il y a toujours cause et effet : sans cause, pas d'effet. Pour avoir une fleur, il faut planter la graine.

Nous, nous plantons la graine de l'éveil.

 

La porte s'ouvre… mais elle a toujours été ouverte ! Si nous sommes nature de Bouddha de toute éternité, alors pourquoi une telle ascèse? C'est la question que maître Dôgen s'était posée.

 

 

Maître Dôge,; XIIIe s●   L'éveil de maître Dôgen*.

Après s'être fait moine à 14 ans, maître Dôgen s'est posé la question : « Si l'homme a, depuis l'origine, la nature de bouddha, pourquoi faire cette pratique du zazen ? » Et il a rendu visite à tous les maîtres de l'époque, mais il ne pouvait recevoir de réponse satisfaisante.

Alors il est allé en Chine, et là-bas il a appris le zen sôtô sous la direction de maître Nyojô*. En effet, si on est vraiment bouddha, il faut en avoir une preuve.

C'était à l'époque de Kamakura, il y a 7 ou 8 siècles. On pouvait périr en mer. Il part avec d'autres. Les voici en Chine. Et Dôgen fait le tour de la ville. Il tombe sur un moine assez âgé qui vient d'acheter des champignons parfumés (chitaké) et il lui demande : « Qu'est-ce que vous faites ? » Et l'autre de répondre : « Il y a environ 100 moines au temple, je dois faire les courses et la cuisine. » Et Dôgen : « Mais pourquoi, vous qui êtes si vieux, êtes-vous obligé de faire cela pour tous ces jeunes ? » L'autre de dire : « Ils sont bien jeunes enfin. » Ce qu'il voulait dire c'est que ce n'est pas une question d'âge mais une question de pratique : pour ce vieux moine, la cuisine c'était aussi la pratique de zazen. Or maître Dôgen pensait à l'époque que le zazen était l'essentiel de la pratique, c'est pourquoi il n'a pas compris la réponse du vieux moine.

Si vous, vous pensez que le zazen s'arrête au sesshin, c'est grave.

Dôgen a donc pratiqué avec assiduité zazen dans le temple de son maître. Un jour, alors qu'il pratique, à côté de lui un jeune bonze est en train de dormir. Alors maître Nyojô de crier : « Qu'est-ce que c'est que dormir en zazen ! » ; et il le tape avec le kyosaku*. On dit que Dôgen s'est éveillé à ce bruit.

Mais alors, si le bonze ne s'était endormi, Dôgen n'aurait peut-être pas eu l'éveil ?

Dôgen a ensuite continué la pratique, il a reçu un brevet et est revenu au Japon.

 

Dans le monde du zen, forme, non-forme, tout cela est dépassé. D'ailleurs dans votre vie, vous avez plusieurs formes : travailleur, époux, père ou mère, pratiquant… les formes se succèdent. Le kenshô n'est en rien l'objectif ultime. Il faut vivre avec le cœur de l'éveil. Mais comment vivre ainsi ? Par exemple dans le monde du zen, il n’y a plus de jugement de valeur, comment vivre cela ?

 

Hakuin, La lune se reflétant dans l'eauAu Japon, une coutume est de verser du saké dans une tasse et de faire en sorte que la lune s'y reflète, alors on boit la lune dans cette tasse de saké ! Soi et la nature ne font plus qu’un.

Dans les textes du zen il y a de nombreuses métaphores avec la lune et l'eau. Voici par exemple un poème de maître Dôgen :

      Au printemps la fleur,
      En été, l'oiseau [il s'agit d'un oiseau commun du Japon, comme le rossignol en France]
      En automne la lune,
      En hiver la froide neige.

 Chaque saison a son symbole. Et voilà le panorama du satori : lune, fleur, poisson, neige. Les saisons ne sont pas posées là, il faut qu'elles soient en vous. Voilà le monde le plus intense possible du zen.

L'objectif de la religion est d'arriver à transformer ce monde de souffrances en monde paradisiaque. Ce n'est pas après la mort, c'est maintenant.

 

●   Le monde de l'évidence.

Je reprends l'histoire de maître Dôgen au moment où il est revenu au Japon. À cette époque il y avait beaucoup de pratiquants qui allaient en Chine pour se former, et ces étudiants ramenaient des tonnes de sûtra et d'effigies bouddhiques. Maître Dôgen, lui, est rentré sans rien, pas même une feuille de papier. Et il a dit : « Je rentre de Chine et je n'ai aucun cadeau pour vous. Je vous assure, j'ai bien vérifié : les yeux sont sur une horizontale et le nez sur une verticale ; le soleil se lève à l'Est et se couche à l'Ouest. C'est tout ce que j'ai trouvé. »

Vous tous, vous savez cela! Regardez-vous dans la glace : vos yeux sont sur une horizontale…

Le monde de kenshô, c'est l'évidence. On doit se rendre compte de l'évidence, et on doit agir en tenir compte de l'évidence.

Je vais vous raconter un épisode qui a eu lieu en Chine. Maître Isan*, avait 1000 à 1500 disciples, alors, comment faire le dokusan ! On dit qu'un jour il s'est réveillé d’une bonne sieste et a vu passer trois moines ; il les a fait venir. « Que voulez-vous, maître ? »  « Je viens d'ouvrir les yeux, tâchez de me dire quel rêve j'ai fait. » Le premier lui apporte de l’eau pour se rincer, le deuxième lui apporte du thé et des gâteaux, le troisième lui masse le dos. «  Bravo ! » Ce sont de bonnes réponses. Le zen est concret et pratique.

 

La quadruple sagesse.

 « Comme il est transparent, le parfait clair de lune de la quadruple Sagesse ! »

Voici cette quadruple sagesse de l'homme éveillé :

miroir shinto du Japon1) La sagesse du grand miroir. Un miroir reflète le monde tel qu’il est : il est capable de tout refléter, que ce soit beau ou laid. Un miroir est sans attachement : si vous enlevez le miroir, il n’y a plus rien.

2) La sagesse de l'égalité. Un miroir considère tout ce qui se présente de façon égale. Il s'agit d'avoir la même attitude devant toutes choses.

3) La sagesse de la perception juste. Si le miroir reflète tout, il reflète aussi les différences et voit chaque chose telle qu'elle est, elle. La vraie nature de Soi est la non-nature et ainsi le cœur-esprit de Bouddha a une perception juste des choses telles qu'elles sont.

4) La sagesse de la capacité agissante. Le kenshô est reversé dans le quotidien, en actes.

Le kenshô n'est pas l'objectif du zen, mais on fait le kenshô pour vivre pleinement sa vie. Il faut aller jusqu'au « chaque jour est un bon jour » de maître Unmon*, c'est jusque-là qu'il faut pousser le zazen. Pratiquement tout le monde se rapproche de cet état, mais à un moment, fait demi-tour à cause du mal de jambes ! Or après le kenshô, tout paraît différent de ce qu'on avait perçu jusque-là. Et c'est seulement celui qui voit qui a changé, mais tout continue.

 

Maître Shibayama* a composé un texte là-dessus : La fleur ne parle pas[14]. La fleur fleurit, elle éclot et se tait, et puis elle tombe en silence et ne peut plus remonter à la branche. Mais c'est pour toute l'éternité qu'elle a fleuri dans sa grandeur. Ça c'est la voie de la fleur.

De même, ceux qui ont fait zazen, doivent contempler chaque chose dans toute leur intensité, que ce soit une goutte d'eau, une fleur… Quel que soit l'environnement dans lequel ils sont placés, ils peuvent garder cette conscience. Si vous avez un accident de voiture, soyez dedans. Si vous mourez, mourez donc. C'est la même chose que la fleur qui fleurit en un instant.

Faire authentiquement zazen, c'est ne plus avoir conscience de faire zazen. Le pianiste oublie ses doigts ; s'il avait conscience de chacun de ses doigts, il ne pourrait pas être dans sa mélodie. Le marathonien oublie ses jambes ; quand il en prend conscience, c'est qu'il est fatigué. Si vous avez conscience que vous respirez, c'est que peut-être vous êtes malade comme les asthmatiques. Si on a conscience de son estomac, c'est que peut-être qu'on a un ulcère...

Maître Eckhart dit que le vrai Dieu se révèle quand on a oublié Dieu[15].

 

SEPTIÈME JOUR

 

À cet instant, que chercher d'autre encore ?
La vérité se révèle, éternellement.
Ce lieu même est le pays du lotus.
Ce corps même est celui du Bouddha.

 

Ici, à Saint-Gervais nous vivons une vraie rencontre entre bouddhisme et christianisme, mais qu'en est-il des religions aujourd'hui ?

Nietzsche a dit « Dieu est mort », et Sartre dit que Dieu nous a parlé autrefois, mais que maintenant il garde le silence, que tout ce que nous faisons en ce moment, c'est de toucher le cadavre de Dieu. En fait Dieu n'est pas quelque chose ou quelqu'un qui puisse être tué par l'homme ; ce qui peut être tué par l'homme n'est pas Dieu. Cependant il est indéniable que l'homme d'aujourd'hui se détourne de Dieu.

C'est la même chose pour nous bouddhistes. Bien souvent le bouddhisme ne fonctionne plus que pour les funérailles et pas pour les souffrances des gens. Combien de temples au Japon conservent la pratique de zazenkai[16] ?

Dans le bouddhisme et le christianisme il y a universalité et unité. Nous devons fournir la preuve de cette expérience religieuse.

« Ce corps même est celui du Bouddha. » Il y a les enseignements du Bouddha, ils sont universels, parfaitement justes, tout homme doit les réceptionner dans leur universalité, leur justesse.

Les différentes cultures sont intéressantes, il faut redécouvrir notre caractère propre de part et d'autre, et ensuite procéder à une véritable renaissance religieuse.

Le kenshô consiste à simplement réaliser qu'on a la nature de bouddha. Or la société humaine est de plus en plus complexe et l'homme aspire à un monde plus simple : il cherche des vacances. Alors qu'il est occupé au milieu du bruit, il cherche le calme. Et pourtant nous devons vivre au milieu de ce monde tumultueux. Et il faut viser une vie qui trouve le paradis dans la vie quotidienne. Pour cela il faut une puissance qui vienne de la religion, la culture ne suffit pas.

 

Là-dessus il y a un kôan.

Maître Unmon* s'est fait moine auprès d'un maître des préceptes bouddhiques. Il était très appliqué et studieux, mais ne se satisfaisait pas de simplement respecter les préceptes. Donc il est allé voir Bokushu*, un maître très sévère qui refusait les disciples tièdes : sa porte ne s'ouvrait jamais.

Unmon approche donc de la cabane de Bokushu et demande un dokusan. Il frappe à la porte et Bokushu demande : « Qui est-ce ? »
« C'est Unmon. »
Mais Bokushu n'ouvre pas la porte.
Et la même scène s'est répétée une deuxième fois.
Il faut bien voir que ne pas ouvrir constitue une réponse.
La troisième fois la porte s'ouvre légèrement et Bokushu saisit Unmon par le col : « Parle. » Rien… Et il l'envoie bouler.
À l'époque maître Unmon était loin du kenshô, mais il persévérait toujours à frapper.
Un jour la porte s'est entrouverte et Unmon s'est avancé pour entrer dedans. Mais Bokushu l'a repoussé tellement vite que la jambe de Unmon s'est cassée  parce qu'elle était restée coincée !

La pratique pouvait être très rude. Aujourd’hui, vous pouvez venir me voir tous les jours au dokusan !

 

C'est le même Unmon qui un jour a posé la question à ses disciples : « Je ne vous demande rien sur la quinzaine écoulée, qu'en est-il de la quinzaine à venir ? Dites-moi quelque chose là-dessus. » Mais personne n'a répondu. Alors il a dit : « Chaque jour est un bon jour. »

En effet il ne sert à rien de parler des jours enfuis depuis hier. Dans son exhortation, Unmon demandait à ce qu'on lui dise quelque chose sur la pratique d'aujourd'hui, mais personne ne pouvait répondre. Aussi il a été obligé de dire « Chaque jour est un bon jour. »

 

Voici un épisode dans le Japon d'autrefois.

Une vieille femme toujours en pleurs avait attiré l'attention d'un maître zen, et il lui avait demandé : « Pourquoi pleurez-vous toujours ? » Elle lui avait répondu : « J'ai deux fils, l'un vend des sandales et l'autre des parapluies. Quand il fait beau, on ne peut vendre des parapluies, on ne vend que des sandales ! »

Chaque jour l'homme vit dans la contradiction : choses aimables et choses désagréables ; pertes et profits. Et pourtant, c'est dans cette vie de chaque jour qu'il faut faire face comme si nous étions au paradis. C'est cela le cœur de l'enseignement religieux.

"Chaque jour est un bon jour" signifie qu'il n'y a plus de distinction bien-mal. 

Il vous faut creuser, approfondir le monde de Mu. Les distinctions du temps : passé / présent / futur, et les distinctions de l'espace : est / ouest, tout cela est transcendé. Dans ce monde il n'y a ni bien ni mal, ni froid ni chaleur. Il faut se lancer et atteindre une position absolue, et ce monde d'absolu doit s'exprimer dans chaque jour.

Le kenshô est temporairement un objectif, et ce n'est qu'un point de départ. Trop n'y arrivent pas, faisant demi-tour avant.

Il s'agit simplement de bien vivre et de bien mourir…

 

 

*   *   *

 

ANNEXE

 

Glossaire.

Bouddha : ce terme veut dire l'éveillé. Il ne concerne pas simplement celui que nous appelons le Bouddha historique.

Dharma : ce terme désigne d'abord "les phénomènes". Et comme les phénomènes apparaissent et disparaissent selon la loi de causalité, en second sens il signifie Loi (la loi bouddhique). Et, étant donné que l'enseignement du bouddha est fondé sur cette loi, le quatrième sens de dharma est "enseignements".

Dokusan (獨參) désigne la confrontation privée avec le rôshi. Jadis elle se faisait dans une résidence privée du rôshi.  Au centre Assise lors des sesshin, elle a lieu dans une pièce proche de la salle de méditation. C'est lors de séances de méditation, en général le matin et le soir, que les participants peuvent aller voir le rôshi selon un rituel établi, concernant la façon dont on peut se lever de sa place… jusqu'aux prosternations qu'il y a à faire devant le rôshi.

Kenshô (見性) : appelé aussi satori ou illumination Le kenshô est quelque chose d'essentiel dans le zen rinzai. Il signifie littéralement « voir sa nature ». En effet 見性 est composé de deux caractères : ken 見 qui signifie "voir" et shô 性 "nature". C'est lorsqu'on est en samâdhi qu'il peut éventuellement se produire. Pour autant Eizan Rôshi demande de prendre de la distance.

Kinhin : marche rythmée sur la respiration. Elle a lieu entre deux séances de zazen. Dans le zen rinzai elle est relativement rapide.

Kôan : le mot signifie "cas public". Souvent il consiste en un dialogue entre un maître et un disciple. Il y a plusieurs recueils de kôan, mais au sens large tout peut devenir kôan. Dans l'école zen rinzai, le kôan est utilisé comme méthode de concentration et méthode de vérification. (Cf. Enseignement Eizan Rôshi)

kyosaku (ou keisaku) : bâton de bois, plat, utilisé en zazen : selon un rituel précis, il est appliqué sur les épaules d'un pratiquant qui le demande. Lors du dokusan, le rôshi en a un devant lui.

Mahâyâna : littéralement c'est le Grand Véhicule. Selon le Mahâyâna, tous les êtres sont primordialement bouddha et peuvent réaliser dans leur vie le fait qu'ils le sont.

MU (無) : signifie "non" ou "il n'y a pas". Mais c'est très subtil à comprendre. Voir ce qui est dit dans le message sur Hakuin Zenji Zazen Wasan, au II 3°.

Nature de bouddha : elle est présente chez chacun de nous comme le dit le début du Zazen Wasan. Le mot "nature" n'est pas bon mais c'est le plus courant. Certains préfèrent dire : "graine d'éveil".

Rinzai : lignée zen fondée par Rinzai (Lin chi, mort en 868) et dont l’origine remonte à Nangaku, disciple d’Eno. Une autre école est l'école zen sôtô. Ce sont les deux principales écoles encore vivantes du zen. L'école rinzai insiste sur l’obtention du satori (ou kenshô) et utilise les kôan de façon assez systématique.

Rôshi (老師) : littéralement "vieux maître" ou "ancien maître"

Samâdhi signifie "recueillement", "concentration". Il y a le samâdhi du zazen, mais aussi le samâdhi d'autres pratiques. C'est lorsque le pratiquant de zen est en samâdhi que le kenshô a une chance de se produire, dit le rôshi.

Sesshin (接心) Il est composé de deux caractères : setsu 接 signifie "recueillement" et shin 心 " cœur-esprit  " donc il signifie « rassembler le cœur-esprit ». Un sesshin est en général une session de plusieurs jours.

Zazen : posture assise sur un coussin, jambes croisées et dos droit, mains au-dessus des pieds, décrite en particulier dans le Fukanzazengi (Cf. Le Fukanzazengi, texte sur la pratique du zazen).

 

Maîtres chan (jap. zen) chinois cités :

Bodhidharma (菩提达摩): fin du Ve et début du VIe siècle. L’école Chan (jap. zen) pense remonter au Bouddha, Bodhidharma est considéré comme le 28e patriarche après Bouddha et comme le premier patriarche chinois. D'après la légende il serait venu en Chine en 520.

Maître Bokushu (睦州道蹤, ch. Muzhou Daoming, 780-877).

Maître Choka Dorin (鳥巢道林 ch. Niaoge Daolin 741-824) était un prêtre bouddhiste surnommé "le Maître du Nid" car il vivait dans un arbre.

Maître Enô : (惠能, ch. Huìnéng) fut le sixième patriarche du chan en Chine.

Maître Isan Reiyû (ch. Kuei shan, 771-853), fondateur de l’école Igyo, l’une des « cinq maisons » du chan (jap. zen) en Chine

Maître Kônin (ch.  Hungren ou Hung-Jen, 601-675)

Maître Tendô Nyojô (ch. Tiantong Rujing, 1192–1227) de l'école Sôtô 

Maître Unmon Bun'en (雲門文偃, ch.  Yunmen Wenyan, 864-949)

 

Maîtres japonais :

Maître Dôgen : Eihei Dōgen (永平道元, 1200-1253) est japonais, il est le fondateur de l'école Sōtō du bouddhisme zen au Japon.

Maître Eizan : responsable du Kaizen-ji, un temple situé au cœur de Tokyo jusqu'en 2007 donc au moment du sesshin de 1998, c'est là qu'il vivait ; responsable du Ryutaku-ji depuis 2008. Il est en lien avec Jacques Breton et le centre Assise depuis 1986 (cf. Les relations entre Eizan Rôshi du Ryutakuji et le centre Assise)

Maître Hakuin : Hakuin Ekaku (白隠 慧鶴, 1686-1769) est le grand maître zen rinzaï qui fut responsable du Ryutakuji, le monastère auquel le centre Assise est relié. Il était également poète, peintre et calligraphe. Il a aussi repris tout le système des kôan. C'est un homme remarquable qui a développé dans le bouddhisme zen sa capacité de création personnelle.

Maître Zenkei Shibayama (1894 -1974) fut un maître japonais du zen rinzai.

Maître Shojû : Dōkyō Etan (道鏡慧端,1642-1721), maître de Hakuin.

Maître Sôen Nakagawa fut responsable du Ryūtaku-ji jusqu'en 1984, ce fut le maître de Eizan Rôshi. Ce fut le premier maître de Jacques Breton, il était là-bas lors de l'échange inter-monastique de 1983 et c'est chez lui que J. Breton a prolongé son voyage (cf. Voyage de chrétiens (J. Breton…) dans les monastère zen au Japon en 1983 dans le cadre du Dialogue Interreligieux Monastique).

 

Ryūtaku-ji (龍澤寺) est un temps rinzai situé près de Mishima., c'est le monastère de maître Hakuin.



[1] Il paraît que Enô a entendu "Lorsque l'esprit ne demeure sur rien, le véritable esprit apparaît."

[2] Eizan Rôshi fait allusion ici à plusieurs pratiques d'autres écoles du Japon. Les voici présentées ailleurs : « Il existe diverses formes de pratiques, il n'y a pas que la pratique du zazen. La Véritable École de la Terre Pure pratique le mishirabe (méthode d'introspection où l'on ne boit ni ne mange ni ne dort durant un certain temps), l'école de Nichiren pratique le taiko (tambour japonais) ; il existe également le takiutare (pratique qui consiste à se placer dénudé sous une cascade en plein hiver) spécifiquement japonaise, ou le sennichikaihô (les 1000 jours de marche) de l'école Shingon. Mais l'important dans tous ces pratiques est le hosshin (l'esprit qui s'éveille), autrement dit, la motivation. » (Shigeto Oshida ,Enseignements de Vincent Shigeto Oshida, un maître zen qui a rencontré le Christ, publication des Voies de l'Orient, 2009, p. 67)

[3] Hakui décrit lui-même sa concentration sur le kôan Mu de Jôshû et son éveil au son de la cloche : « Je ne dormais plus ni le jour ni la nuit. J'oubliais de manger et de me reposer. Soudain un grand doute se manifesta à moi. C'était comme si j'étais entièrement congelé au milieu d'une couche de glace qui s'étendait sur des milliers de kilomètres […] Une nuit j'entendis soudain sonner la cloche du temple, ce qui produisit un retournement complet. C'était comme si la couche de glace avait été fracassée ou comme si l'on avait renversé une tour de jade.»

[4] D'après le rituel du dokusan, le pratiquant  commence par se prosterner devant le rôshi.

[5] En 1998, Eizan Rôshi était responsable du Kaizen-ji, un temple situé au cœur de Tokyo. Plusieurs voyages ont eu lieu où Eizan Rôshi a accueilli un groupe de personnes du centre Assise venues pour un sesshin : en 1992, 1995… (Cf. Les relations entre Eizan Rôshi du Ryutakuji et le centre Assise de 1986 à 2018)

[6] Hokke-kyō ou Hoke-kyō (法華経) forme abrégée de Myōhō Renge Kyō (妙法蓮華経). C'est le sûtra de base des écoles Tendai et Nichiren au Japon et en Chine. Maître Hakuin a fréquenté une école Nichiren dans sa jeunesse et a étudié ce sûtra. Et de façon générale les maîtres zen lisent de nombreux sûtra.

[7] L'histoire du fils de l'homme riche est une parabole du chapitre IV du Sûtra du Lotus dont Dennis Gira – spécialiste chrétien du bouddhisme, et ami de Jacques Breton – a parlé lors d'un week-end à Assise, en le comparant à la parabole du fils prodigue de l'évangile de Luc (Lc 15, 11-32). Cf. Les paraboles chrétienne et bouddhique d'un fils "prodigue" : Luc 15, 11-32 et ch IV du Sûtra du Lotus et Par D. GIRA : "Paraboles du Sûtra du Lotus et de l’Évangile, regards croisés" - Intervention à la Maison de l'UNESCO en 2016 .

[8] Ce sont les six pâramitâ  (haramitsu, 波羅蜜多) données dans le Sûtra du Lotus. On traduit souvent pâramitâ par "perfection", littéralement c'est "aller au-delà' ou "atteindre l'autre rive". Les 6 pâramitâ (en sanskrit) : 1/ dāna : le don, la générosité ; 2/ śīla : les préceptes, la moralité ; 3/ kṣānti : la patience, l'acceptation ; 4/ virya : l'énergie, l'effort, pour aller dans la juste direction ; 5/ dhyâna : la méditation ; 6/ Prajñā : la Sagesse, la vue profonde.

[9] Selon le Shibun-ritsu 四分律 (T.22, n°1428), détaillant la Discipline monastique de la tradition Theravada, les préceptes des Auditeurs sont au nombre de 250 pour les moines, et 348 pour les nonnes.

[10] Plus précisément, les 6 mondes (ou 6 destinées, 6 voies) sont : 1. le monde des enfers ; 2. le monde des esprits diaboliques ou affamés (les pretas) ; 3. le monde des animaux ; 4. le monde des furies qui sont dans des grottes, des êtres (asuras) querelleurs, jaloux, ambitieux ; 5. le monde des hommes (monde de souffrance) ; 6. le monde des dieux (paradis). En fonction de son karma on renaît sous forme de dieu, d'homme, d’animal, de preta, d’asura…, dans le monde correspondant. Dans la conception des dix états de vie ces six mondes représentent les six premiers états (enfer, avidité, animalité, colère, humanité et bonheur temporaire) tandis qu'il y a quatre états d'êtres plus ou moins éveillés : les auditeurs, les bouddhas-pour-soi, les bodhisattvas et les bouddhas.

[11] C'est le constat du Bouddha : tout est dukkha, un mot mal traduit par "souffrance" qui signifie aussi "insatisfaction" : « La naissance est souffrance, vieillir est souffrance, la maladie est souffrance, la mort est souffrance, le chagrin et les lamentations, la douleur, l’affliction et le désespoir sont souffrance, être uni avec ce que l’on n’aime pas est souffrance, être séparé de ce que l’on aime est souffrance, ne pas obtenir ce que l’on désire est souffrance…. » Le bouddhisme – le zen en particulier – propose une voie pour sortir de dukkha.

[12] « L'œil qui intérieurement voit Dieu, est le même œil avec lequel Dieu me voit intérieurement ; mon œil et l'œil de Dieu est un [seul] œil, et une vision, et un connaître et un amour. » (Maître Eckhart, sermon 12, traduction de Gwendoline Jarczyk et Pierre-Jean Labarrière)

[13] « Dieu excède, au point qu'on ne saurait parler. Rien ne vaut mieux pour L'adorer que le silence.» (Angélus Silésisus, L'errant chérubinique, traduction de Roger Munier, éd Arfuyen)

[14] Son texte a été traduit en anglais : Flower Does Not Talk, Zen Essays

[15] Ainsi en est-il de Paul d'après maître Eckhart : « Le plus élevé et l'ultime que l'homme puisse laisser, c'est qu'il laisse Dieu pour Dieu. Or saint Paul laissa Dieu pour Dieu ; il laissa ce qu'il pouvait prendre de Dieu, et laissa tout ce que Dieu pouvait lui donner, et tout ce que de Dieu il pouvait recevoir. Lorsqu'il laissa cela, il laissa Dieu pour Dieu et alors Dieu lui resta tel qu'il est présent à lui-même, non pas reçu ou acquis, mais dans l'être pur que Dieu est en lui-même. » (Sermon 12), cité en partie dans Maître Eckhart ou l'empreinte du désert, Pierre-Jean Labarrière et Gwendoline Jarczyk.

[16] Lorsque le zazen n'est pratiqué que quelques heures, on parle de zazenkai, littéralement "réunion de zazen"

 

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