De l'intérieur vers l'extérieur, article de Françoise Paumard sur le kinomichi paru en 2009
Dans le kinomichi, Masamichi Noro, son créateur, fait passer son expérience de l'aïkido acquis auprès de Morihei Ueshiba, enrichie d'une recherche personnelle d'affinement des sensations où le souffle, le cœur et l'âme, ne font plus qu'un. Par Françoise Paumard.
N B : Deux notes ont été ajoutés à l'article ainsi qu'une annexe donnant deux listes d'articles sur le kinomichi : 1/ les articles parus sur le blog ; les articles parus en dehors de Aikido-Mag (dont la liste figure sur un précédent message). Un message ultérieur reprendra toutes les listes des articles avec en plus la liste des initiations et un glossaire des termes japonais.
De l'intérieur vers l'extérieur
Françoise Paumard
ÉNERGIES HS N°4 - AÏKIDO - Mai/Juillet 2009, p.28-31
Le kinomichi, "chemin de l'énergie", créé par Masamichi Noro[1], rassemble à ce jour une centaine d'enseignants au sein de la KIIA (Kinomichi International Instructors Association), affiliée à la FFAAA.
Une relation de proximité avec maître Noro nous permet de suivre pas à pas le cheminement de sa pensée.
Parfois, entre deux cours, maître Noro nous invite dans son petit bureau à partager un café avec lui. Sa qualité de présence nous porte à être totalement nous-mêmes mais aussi à nous remettre en question. Reflet de ce qui se joue aussi dans la pratique du kinomichi : être au plus près de soi-même, tout en laissant une place au mystère, à la découverte, à l'inconnu.
Cheminement.
Si l'on suit le parcours de maître Noro depuis son arrivée à Marseille le 3 septembre 1961, on peut y voir le reflet d'une quête perpétuelle. Tout d'abord, la période où maître Noro, investi d'une "mission", transmet et introduit l'aïkido en tant que délégué pour l'Europe et l'Afrique. Après six ans vécus auprès de Moriheï Ueshiba en tant que uchi-deshi (pensionnaire), nourri de pratique intense et de spiritualité, il va ouvrir de nombreuses salles où son empreinte reste encore très vivante. Au cœur de cette période, une épreuve – un grave accident survenu le 4 mai 1966 – lui apparaît comme source de questionnement sur le sens de la force du Ki (souffle vital – énergie), accessible non seulement aux hommes doués de force physique mais à tout être vivant sans distinction de sexe ou d'âge.
Des rencontres importantes : en 1970 deux kinésithérapeutes Marie-Thérèse Foix et Gisèle de Noiret, puis en 1979 la doctoresse Lily Ehrenfried, ouvrent ses recherches sur les différentes approches du travail corporel élaboré en Occident au début du XXe siècle dans le domaine de la danse et de la gymnastique harmonique.
On comprend bien que maître Noro s'inscrive dans cette mouvance de recherche que l'on retrouve dans les écrits relatifs à l'aïkido : comment répondre au changement de société dans le domaine des arts martiaux ? Comment répondre à une quête profonde nourrie de tradition japonaise, d'ouverture à la culture occidentale et à l'attente de ses élèves ?
Lors de séminaires de recherche à l'Arbresles ou à l'abbaye de Solignac, maître Noro donne des éléments nouveaux bien spécifiques à la pratique qu'il a baptisée "kinomichi" (chemin de l'énergie) depuis 1979.
- chercher la force de terre, d’enracinement, tout en devenant plus sensible à la circulation de l’énergie à travers le corps, de la terre vers le ciel ;
- réveiller le mouvement de spirale qui anime tout être vivant et génère une sensation d’ouverture ;
- vivre en intériorité l’expérience du mouvement.
Maître Noro nous a montré ainsi son tempérament de chercheur, de créateur, nous incitant, nous, ses élèves, à nous ouvrir, à élargir notre regard, à enrichir notre pratique, notre vie. Et le chemin se poursuit. À ce jour, après quelque 40 ans de fidélité pour certains, 30 ans pour d’autres, nous partageons avec maître Noro ce goût de recherche incessante. Je dois dire que c’est un aspect important qui a compté pour moi dans la poursuite de ce chemin.
Aïkido et Kinomichi
En 2004, dans la revue Aïkido magazine, maître Noro s’exprime ainsi : « Dans le Kinomichi, nous travaillons toutes les techniques de l’Aïkido de maître Ueshiba Morihei, pas autre chose.»
La technique traverse le temps. Elle est immuable dans ses principes, mais son approche suit l’évolution de la société. Maître Noro, nous sensibilise à la notion de shin ou kokoro : esprit, sentiment, cœur. Cette notion de shin ne serait-elle pas cette spécificité commune à l’Aïkido et au Kinomichi nommée « contact », soutenue par la nécessité d’une plus grande humanisation ? Shin serait comme un fil qui permettrait de tisser une toile humaine en quête d’harmonie, de compréhension, de partage : « un chemin qui a du cœur ».
Le dojo
Entrer dans un dojo nous fait passer de lieux de vie, de lieux professionnels, à un lieu particulier où tout est conçu pour créer une atmosphère propice à un travail de transformation.
On se prépare, on quitte ses vêtements de ville pour revêtir une tenue (kimono blanc pour les débutants, hakama pour les plus anciens). S’habiller c’est se recueillir, nouer les ceintures est un acte qui recentre, qui unifie. On entre pieds nus sur la toile du tatami. On salue l’espace du dojo. On s’assoit en seiza (position assise à genoux), en silence, dans l’attente de la venue du maître ou de l’enseignant. Rituels simples, propices à entrer dans un champ d’expérimentation, on goûte le sens du sacré.
Quels sont les principes qui sous-tendent notre pratique ?
Reconnaître que tout est déjà là, en nous. C’est un principe d’harmonie qui anime tout ce qui vit ; un désir profond de l’être humain de « bon-heur »: autrement dit, être au bon moment à la bonne place. S’il est un rôle de l’enseignant, ce sera celui de reconnaître spontanément le trésor caché de ses élèves et de trouver le canal par lequel cette précieuse énergie de vie va s’écouler librement de l’intérieur vers l’extérieur.
Un principe de simplicité – naturel – spontanéité. Les premiers pas vont nous montrer que si tout est là de toute éternité, nos « corps-cœur-pensée » ne sont pas toujours reliés. Débutants, nous devons commencer par accueillir « le corps que l’on est » pour reprendre une expression de K.G. Durkheim. Notre corps reflète nos tensions internes, nos fragilités émotionnelles, le carcan de nos habitudes, un mental trop agité. Accueillir les choses telles qu’elles sont sera la première attitude à préconiser ; une observation mue par une intention, un désir de transformation.
La pratique
Les six mouvements d’initiation I : itten-nitten-santen (mouvements de ciel), itchi-nitchi-santchi (mouvements de terre)[2] lents, structurésse prêtent à l’observation de notre état, laissentune place à l’écoute, à la détente.
Tout commence à s’organiser de l’intérieur. Une qualité de silence permet la rencontre au-delà des mots. Une beauté, une émotion se manifestent lorsque l’on perçoit un respect mutuel dans cette présence au partenaire.
L’initiation II nous conduit à entrer dans le mouvement, à étendre le vocabulaire technique : yonten – goten (IVe et Ve mouvements de ciel), appréhender les notions de omoté/ura : formes directes ou plus enroulées. À deux, nous cherchons l’équilibre, la fluidité, le sens de l’espace et du rythme dans nos déplacements grâce aux taïsabaki : mouvement de retournement où corps et esprit s’unifient.
Centre et extérieur entrent en résonance. Uké (le partenaire qui approche et reçoit le mouvement) et tori (le partenaire qui réalise la technique) s’accordent comme dans une danse. Nous cherchons l’ajustement permanent pour tendre vers le mouvement le plus juste, le plus harmonieux.
Pour l’initiation III, une structure de cent onze mouvements donne le cadre de référence sur lequel nous nous appuyons pour consolider l’architecture de notre recherche. Mouvements de terre, mouvements de ciel, qui, à force de répétition, vont nous permettre d’être de plus en plus libres dans le geste. Axés entre terre et ciel, dans une relation « force avec force », l’énergie des deux partenaires entre en synergie.
L’enjeu des initiations suivantes, IV et V, où la technique de base se décline à partir de 16 formes d’approche avant ou arrière et d’applications techniques, sera d’entrer dans plus de dynamisme sans perdre le sens de l’harmonie et sans se laisser prendre au piège de la technique. Plus de disponibilité, de fluidité permettent de libérer la joie que favorise un rythme soutenu. Le retour aux mouvements de base après le dynamisme affine notre sensibilité.
Le jo et le boken, tous deux en bois, sont aussi des outils précieux dans notre pratique. La matière est douce, leur maniement apporte de la dextérité et une meilleure compréhension de l’origine des techniques. Ils nous aident à abandonner la force physique et mieux évoluer dans l’espace.
Si notre pratique s’appuie sur des principes fondateurs de la construction de l’être, ils ne peuvent être séparés d’un contenu symbolique. Les notions de « terre - ciel » sont aussi incarnées par l’approche au sol, par l’étude des ukémi (roulades arrière et avant), garants d’une confiance et d’une action bénéfique sur notre santé sans jamais être obligatoires.
À l’origine de la vie est le souffle, mais il me semble que limiter le souffle à la respiration est restrictif. Le souffle est porté par des symboles selon les différentes traditions et religions. Dans notre pratique, le souffle incarne l’esprit et l’esprit conduit notre geste. L’harmonisation des souffles nous fait entrer en communion avec le partenaire mais aussi avec l’espace qui nous entoure, quelque chose de plus grand que nous. Le rapport à la terre, symbole de stabilité, est donné par notre enracinement.
Le mouvement de l’eau est présent de par la physiologie de notre constitution et le flot de notre énergie. La manifestation de l’énergie dans les mouvements traduit l’énergie de feu.
Se rappelant à notre intention première, à notre motivation d’être dans le mouvement de la vie, grâce à ces éléments symboliques, nous entrons avec notre partenaire dans un acte de création spontané, sans cesse renouvelé, générateur de joie profonde.
Merci à maître Noro de nous donner l’occasion d’être ses compagnons sur ce chemin.
Françoise Paumard,
instructeur de Kinomichi
(enseignante au Centre Assise)
ANNEXE
1°) Messages sur le kinomichi figurant sur le présent blog :
- Ecrits de Jacques Breton sur Maître Noro et le kinomichi ;
- "Union entre terre et ciel : le Kinomichi" Entretien avec Masamichi Noro, Terre du ciel 1990 ;
- La pratique du Kinomichi par Françoise Paumard (instructeur du centre Assise), avec un témoignage d'élève ;
- "Prière du corps, le Kinomichi" : Entretien de Pierre Willequet avec Maître Masamichi NORO, revue Source n° 23, 1989 ;
- Le Kinomichi au regard de la tradition, Pierre Willequet, Aïkido-Mag de décembre 2009 ; en fin de messages figure la liste des articles sur le kinomichi paris dans Aikido-Mag, avec des liens.
- La méthode de maître Noro, le Kinomichi ; L'apparition de K G Dürckheim dans la vie de Maître Noro ;
2°) Articles parus dans d'autres revues que Aikido-Mag.
Une partie des liens se trouve sur http://90plan.ovh.net/~kinomich/new/fr/publications
Les trois premiers se trouvent sur le blog des Voies d'Assise comme cela est dit ci-dessus.
Date |
Revue |
Titre (lien éventuel) |
Auteur |
précision |
1984 |
Cahier du Centre Dürckheim |
Pierre Willequet |
Entretien avec Me Noro |
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1989 |
Sources n° 23 |
Pierre Willequet |
Entretien avec Me Noro |
|
1990 |
Terre du ciel n° 4 |
Bruno Solt |
Entretien avec Me Noro |
|
Juillet 1997 |
Tao Yin N° 3 |
Georges Charles |
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? |
Dragon Magazine spécial Aïkido n°s12 à 16 |
#Chroniques de Masamichi 6 chroniques |
Pierre Fissier |
|
Décembre 2001 |
Alternative santé L'impatient n°284 |
Bénédicte Fiquet |
Reportage |
|
Mars 2002 |
Psychologies |
Christine Delmar-Honen |
Reportage |
|
Avril 2002 |
Santé Fitness |
Kinomichi : Faites le plein d'énergie |
Christine Delmar-Honen |
Reportage |
Printemps 2003 |
Génération Tao |
Rédaction de Gion Tao |
Entretien avec Me Noro |
|
2003 |
Femme Actuelle (1 page) |
Le Kinomichi pour le Corps et l'Esprit |
La rédaction |
Reportage - pub |
2 février 2004 |
L'Express Mag (1 page) |
La rédaction |
Reportage - pub |
|
Mai-juillet 2006 |
Energie - Aikido HS 1, p. 50-53 |
Frédéric Marquette |
|
|
2007 |
Dragon Magazine 16, p. 20-26 |
Philippe Nguyen |
|
|
11 avril 2008 |
Aikidoka.fr |
Manou |
Entretien avec Me Noro |
|
Mai-juillet 2009 |
Energies – HS 4, p. 28-31 |
Françoise Paumard |
|