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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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5 décembre 2018

Par Eizan Rôshi. Enseignement du 4e jour de sesshin 1995 : Le kôan "Bouddha lève une fleur"

Voici le troisième enseignement d'Eizan Rôshi lors de la sesshin de 7 jours qui a eu lieu au Kaizen-ji à Tôkyô pour un groupe de Français du centre Assise.  À partir du 2e jour l'enseignement repose sur un kôan du Mumonkan. Après le kôan MU puis "Le doigt de Gutei", voici "Bouddha lève une fleur" (cas 6 du Mumonkan).

Dans son introduction Eizan Rôshi évoque d'abord deux histoires zen pour montrer jusqu'à quel point le zen est une religion du silence ! Ensuite il aborde le kôan ainsi que le commentaire de maître Mumon.

Une traduction du kôan avec commentaire et poème de Mumon figure en annexe, après l'enseignement.

 

 

Sesshin 1995 au Kaizen-ji à TÔKYÔ

4è jour : Enseignement d'Eizan Rôshi

Le kôan "Bouddha lève une fleur"

 

Aujourd'hui c'est le quatrième jour de la sesshin. Vous étiez dans votre vie ordinaire et il a fallu quatre jours pour vous habituer au temps de la sesshin. Il faut que, de 5 heures du matin à 9 heures du soir, il n'y ait qu'un seul processus, que tout se déroule en souplesse. Il est capital que tout se déroule de manière inconsciente, automatique.

Tant qu'il n'est pas malade, l'être humain ne réalise pas qu'il respire ou qu'il digère. Il le fait inconsciemment et tout, en vérité, doit se dérouler de manière inconsciente.

Je vous ai dit en préalable que le zen était la religion de la respiration. Et hier je vous ai dit que le zen était la religion du silence.

 

Le zen, religion du silence

 

Histoire de maître Yakusan[1] : silence.

Il y avait autrefois en Chine Yakusan, un maître zen célèbre. On dit qu'il dirigeait plus de mille disciples. Il devait être très difficile pour l'un des disciples d'avoir un entretien avec le maître. C'était déjà bien beau de pouvoir voir de loin son visage. Essayez d'imaginer les possibilités de dôkusan [entretien privé avec le maître] : même une fois par mois ça ne devait pas être possible. Vous, vous le pouvez deux fois par jour, matin et soir.

Un jour, ce qu'on pourrait appeler un représentant des disciples est allé voir respectueusement le maître et lui a demandé son enseignement : « Ces temps derniers, maître, vous ne donnez plus d'enseignement. » « Ah bon, d'accord, je vais en faire un » dit le maître. Et effectivement, le lendemain, les disciples s'assemblent. Ils babillent de joie : « Ah, on va avoir un très bon enseignement aujourd'hui. »

C'était, je vous le répète, devant une foule de mille personnes, et à l'époque, c'était sans micro, cela va sans dire ! Je crois qu'en Grèce également il y avait du théâtre sans micro. Pas de micro non plus dans les églises ou les cathédrales en France, que je sache. Je crois donc que l'enseignement consiste à avoir d'abord une voix forte et claire. Il faudra un jour que j'essaye avec mille personnes !

Donc voilà maître Yakusan qui arrive, superbe sur son estrade. Il fait zazen pendant un temps et puis s'en va. Et le représentant des gens rassemblés court après lui : « Maître, maître, tout le monde était pourtant là pour vous écouter. Vous aviez dit que vous alliez parler. Que pensez-vous dire aujourd'hui? » « Oui, j'entendais bien aujourd'hui vous donner un enseignement sur les grands sûtras comme le Hokkekyô, le Kegonkyô… » Parmi les gens qui étaient présents, il y avait des spécialistes de ces sûtras, des érudits spécialistes de ce qu'on pourrait appeler la glose bouddhiste. Et le maître de dire : « Mais enfin, vous ne comprenez pas, moi qui suis le maître zen, j'ai fait zazen devant vous et puis je suis rentré, voilà, c'est tout. »

Et vous, vous comprenez ?

Donc je me répète : le zen est la religion de la respiration, mais aussi du silence.

 

Histoire zen : Le silence[2].

bougieVoici encore un épisode intéressant au sujet de ce thème du silence. Nous sommes encore à l'époque de Kamakura qui se situe au Japon il y a plus de sept siècles. Il y avait dit-on, dans un temple zen, quatre pratiquants de l'ascèse. Ils ont décidé ensemble de ne pas ouvrir la bouche pendant toute une nuit et toute une journée pour pratiquer le zen. Ils ont fait un cercle, ont mis une bougie au milieu et se sont mis en zazen. Le temps passe, la bougie s'éteint, les ténèbres s'installent. L'un des pratiquants de dire : « Oh, quelqu'un, apportez une bougie. » Il avait donc parlé. Et un autre de dire : « Mais enfin, il faut rester silencieux, il ne faut rien dire. » Et voilà, les deux étaient déjà tombés ! Et le troisième : « Mais qui parle, sinon vous ? » Encore un de tombé. Et le dernier de dire : « Mais, celui qui est resté silencieux jusqu'au bout, c'est bien moi. » Et voilà, tous les quatre avaient trahi leur promesse. À quel point garder le silence est difficile, à quel point on comprend les erreurs des uns et des autres !

 

Le zen, religion du silence.

On dit toujours qu'en sesshin il ne faut pas montrer le blanc de ses dents – pas de rire – car sinon l'état du zazen est corrompu, se trouble. Je sais bien que dans une culture occidentale, en Europe et en Amérique, on a tendance à regarder quelqu'un qui garde le silence comme un individu dangereux : « que pense-t-il ? », ou alors « quel idiot, il ne doit rien penser. » Est-ce que c'est comme cela ?

Mais attention, le silence n'est pas quelque chose de passif. Il y a un côté extrêmement actif dans le silence. Vous connaissez bien le proverbe : « La parole est d'argent, mais le silence est d'or. » À ce moment-là, le zazen, c'est certainement le diamant. Mais attention, ce n'est pas quelque chose non plus qui mérite récompense.

À quel point en zazen vous êtes souvent troublés, pleins de pensées. Mais aussi, à quel point parfois, vous êtes radiants, un peu comme ces tableaux que j'ai vus au Louvre avec une lumière derrière : des personnages saints. Voilà bien le monde religieux tel qu'il doit être.

Le zen est la religion du silence, mais il y a aussi un aspect de parole dans ce silence. On dit souvent que les mots révèlent le cœur. Mais on dit aussi en France que les mots cachent le cœur.

 

Le kôan "Bouddha lève une fleur" [cas 6 du Mumonkan]

 

Je vais vous livrer le kôan d'aujourd'hui, kôan qui concerne Bouddha lui-même en sa dernière assemblée avec tous ses disciples réunis. Il s'agit du kôan où l'on parle de la transmission du dharma (de la loi) à Mahâkâshyapa. C'est tout à fait comme moi ici, je cherche à vous transmettre le dharma à chacun.

Qu'est-ce donc que cette transmission du dharma ? Ce n'est pas vraiment un kôan, c'est une relation vivante qui court depuis Bouddha en passant par Mahâkâshyapa… Bodhidharma… Lin Tsi… Hakuin…Kempo, Sôen, Sochu et Eizan. Il n'y a pas de faille, c'est une ligne directe, et moi-même je retransmets ce dharma à chacun de vous.

 

L'éveil du Bouddha et ses premiers disciples.

On dit que Bouddha avait ressenti l'impermanence de la vie, totalement, à 29 ans, et qu'il avait renoncé à tout pour se mettre sur la route de l'ascèse, renonçant à sa belle femme, à son enfant, à sa position de prince. On dit qu'il est parti dans le monde et qu'il a quitté la maison. Et en japonais il y a un double caractère[3] : c'est à la fois quitter la maison et en même temps entrer dans le monde. Il serait effectivement sorti simplement de la maison s'il n'avait pas eu l'illumination ; en vérité, il est rentré dans ce monde de l'illumination. Il aurait été un errant sans domicile s'il avait simplement quitté sa maison sans rentrer ailleurs. Pendant des années il s'est adonné à une dure ascèse.

Bouddha scète, British MuseumEn Angleterre, au British Museum, il y a une statue de Bouddha en bois que vous devez connaître. J'y suis allé trois fois depuis le lointain Japon, vous pouvez bien y aller ! C'est une petite statue en bois où le Bouddha fait le lotus, on voit les os qui sortent de sa cage thoracique tant il est maigre, c'est presque un squelette. C'est très bien fait. Le mieux c'est surtout le visage. Il est évident que le sculpteur était un pratiquant, qu'il récitait les sûtras et faisait le zazen.

Hier j'ai parlé justement des visages qu'on peut avoir après une pratique. On dit que Bouddha a réalisé la grande illumination un 8 décembre. Il y a un sûtra qui chante cet instant, qui le glorifie. Après cet instant, évidemment, il y a eu d'autres étapes. Il y a eu des sûtras successifs concernant la vie et les enseignements de Bouddha jusqu'à son entrée en nirvana, ils ont été déterminés par la suite. En Chine il y avait de grands érudits qui ont étudié à fond ces sûtras et les ont regroupés en cinq parties.

On dit que le Bouddha, après son illumination, est resté plusieurs jours en contemplation en savourant cet état. Et ensuite il s'est préoccupé d'avoir des disciples, de leur transmettre cette expérience. La première fois où il a ouvert la bouche, cela a été consigné sous forme d'un sûtra qui est le témoignage de Bouddha lui-même sur son illumination.

Pour dire les choses d'une manière rationnelle, l'illumination c'est l'échappée, la délivrance de tout ce qui lie, de tout ce qui entrave. Si l'on parle à un niveau plus émotionnel, plus compréhensible, on peut parler d'éveil, de réveil : c'est l'intuition, la perception que les ténèbres ne sont plus, que la lumière a jailli. Quand on s'éveille, on est parfaitement un avec l'univers, car dans cet univers, tout, des montagnes aux rivières, jusqu'au moindre brin d'herbe, tout est réalisation. Je ne sais pas si c'est une approche scientifique ou physique, mais nous sommes là au cœur de ce qui n'a pas de frontière, de ce qui est illimité, de ce qui n'a pas de mesure qui compose l'univers. Tout simplement, c'est ce principe selon lequel « je suis l'univers, l'univers est moi. »

Pour faire référence à la pensée occidentale, prenons le cas de Leibniz, savant du XVIIe siècle. Il a écrit la Monadologie où il présente cette pensée selon laquelle tout se reflète dans la monade, dans ce microcosme. Bouddha, lui, a découvert au moment de son illumination que tout était en lui, et qu'il était en tout.

Là-dessus Bouddha s'est mis à avoir plusieurs dizaines de disciples. On dit qu'aucun ne comprenait sa réalisation. Pourquoi ne comprenaient-ils pas ? Eh bien, c'est simple. Il est évident que des gens qui n'ont pas l'expérience même du Bouddha ne peuvent pas comprendre la relation de cette expérience.

Tout ce que je peux dire dans mes enseignements ou ailleurs n'est compréhensible que pour autant que vous ayez résolu les kôan. Tant que vous n'avez pas réalisé le MU, vous ne comprenez pas mon enseignement. On dit qu'autrefois on empêchait les gens qui n'avaient pas résolu le kôan MU d'entendre les enseignements.

Bouddha lui-même s'est adonné pendant 49 ans à l'exercice de l'enseignement en baissant en quelque sorte le niveau pour ses disciples, et donc en étant à l'origine d'autres sûtras, ce sont par exemple les sûtra Hokke et Nehan[4].

 

Bouddha lève une fleur.

Buddha lève une fleurEt nous voilà à la fin de la vie de Bouddha. Il y a des disciples assemblés, peut-être des milliers, probablement 80 000. Je ne suis pas allé en Inde, mais j'essaye d'imaginer une telle foule. Voilà 80 000 personnes qui attendent. Bouddha arrive et se tait. Pas un mot, seulement un geste : il lève le bras et montre une fleur.

Hier je vous ai parlé du doigt de Gutei, et avant-hier du MU de maître Jôshû. On peut donc comprendre, réaliser tout l'enseignement qui se trouve dans le zen simplement dans cette fleur. Et même, une fleur c'est déjà trop ; un doigt c'est déjà trop. S'il y en a un, c'est déjà trop tard. Il faut poursuivre et aiguiser votre zen jusque-là. Si vous regardez ce doigt, cette fleur avec l'ego, vous ne verrez rien. Si votre cœur est simple et croyant, vous êtes cette fleur.

J'en reviens au Bouddha avec la fleur : voici les 80 000 adeptes qui restent là la bouche ouverte à n'y rien comprendre. Mais Mahâkâshyapa qui était à côté du Bouddha, de manière inconsciente a eu un sourire, et il a tout réalisé, là, par cette fleur, sans mot. Par cette fleur, Bouddha a tout transmis. Mahâkâshyapa sans interroger a pourtant interrogé. Sans enseignement Bouddha a enseigné et a compris par le sourire de Mahâkâshyapa que celui-ci était apte à être le récipiendaire de l'enseignement.

 

Le kôan.

Et alors, quelle est cette transmission ? Y a-t-il un dharma à transmettre ou pas ? Voilà le point essentiel dans votre kôan d'aujourd'hui : est-ce qu'il y a une façon de transmettre cela ?

On dit souvent que le bouddhisme est la religion fondée par le Bouddha. C'est une erreur absurde. Bouddha n'a rien construit, il n'a rien découvert. C'est seulement le premier dans une succession à avoir clarifié des principes. C'est très différent de dire "construire", "fonder", "inventer", "découvrir". Parmi ces 80 000 personnes assemblées qui attendaient un enseignement, il y en a eu un seul qui a compris. Simplement, il a réalisé, il s'est rendu compte que tout ce qu'il voyait, tout ce qu'il entendait était réalisé. Il a fallu des dizaines d'années au Bouddha pour constater cela.

Si votre cœur n'arrive pas à une conscience profonde, vous ne comprenez pas cela.

 

Le commentaire qu'en a fait maître Mumon

Revenons maintenant à notre kôan et au commentaire qu'en a fait maître Mumon. Il a écrit de manière un peu théâtrale : « Ce type-là, ce nommé Bouddha, avec ses 80 000 bonshommes, il a transmis quelque chose, il a levé une fleur. Qu'est-ce que c'est que cette histoire absurde ? Qu'est-ce que c'est que ce type qui vendait de la viande de chien sur le marché en la faisant passer pour de la viande de mouton ! »

C'est très important, cette critique, les maîtres zen ne félicitent jamais. Ils disent toujours : « comme c'est idiot » et trouvent que tout ne sert qu'à tromper les gens.

Mais Mumon ajoute un commentaire : « Devant 80 000 personnes, cette fleur levée n'a eu de sens que pour Mahâkâshyapa qui a souri. » Et là-dessus Mumon pose la question : « Et si les 80 000 personnes avaient souri, comment le dharma aurait-il pu être transmis ? Ou bien l'inverse : si Mahâkâshyapa n'avait pas souri, certainement le dharma serait tombé en déconfiture ! »

Maître Mumon nous pousse à considérer cette question : y a-t-il eu transmission ou pas ? Nous voici contraints à être devant cette question : pour tout pratiquant, s'il n'y a pas de transmission, c'est qu'il n'y a pas de façon de transmettre. Pourquoi le seul élu a-t-il alors été Mahâkâshyapa ?

 

Le poème de maître Mumon.

À ce sujet Mumon a aussi composé un poème qui dit en substance : par cette fleur que le Bouddha a levée, toute la forme et l'essence du bouddhisme a été transmise. Seul Mahâkâshyapa a souri ayant vu juste, et les 80 000 autres parcouraient toutes les directions. Par cette fleur levée Bouddha a comme formé des vagues sur la mer sans vent. Et en voyant ce stratagème Mahâkâshyapa a eu ce sourire, il a vu cette façon vide de faire qu'avait le Bouddha.

 

Commentaire d'Eizan Rôshi.

Et je vous assure que ce n'est pas une histoire antique, c'est une histoire qui vous concerne ici, individuellement parce qu'il n'y a personne ici qui ne puisse réaliser ce sens. Je dirais que vous, chacun de vous, "est" cette fleur, et c'est ça le kenshô. Nous sommes d'accord ? Ne pouvez-vous pas découvrir, apercevoir cette fleur ?

Le zazen nous amène à cette découverte de la fleur, mais il faut dire de quelle fleur il s'agit. C'est un symbole, si vous voulez. Mais les symboles deviennent des principes figés. Quand on est dans les mots, on se fige dans des principes et des préceptes. On est pris par les mots.

L'enseignement du zen, ce n'est pas de dire : « le sucre est sucré, le sel est salé », c'est simplement vous jeter dans la bouche ce sel ou ce sucre.

Si vous êtes sur des tatamis, vous ne pouvez pas nager, si vous vouliez nager, vous feriez mieux, de vous jeter dans l'eau de la piscine. Mais il y aurait peut-être quelques victimes !

Sans cette expérience concrète, physique pourrait-on dire, vous êtes perdus par les mots, entraînés par les mots. On peut expliquer d'une certaine manière le satori jusqu'à, disons, 99 % avec des mots, mais le dernier % est absolument intransmissible, irréalisable par les mots. Et quand je dis 1 %, c'est une partie pour 100 mais en fait c'est beaucoup plus, c'est 99 % ! Si vous restez dans la physique ou la mathématique, vous aurez tout faux. Et c'est ce qui est amusant, ce qui est drôle, ce qui est à respecter. Si l'on devait tout résoudre avec les mots, quelle serait l'utilité de faire zazen ? Vous qui avez des occupations importantes, qui avez beaucoup payé pour venir, vous n'auriez absolument pas besoin de faire tout cela et de venir à Kaizen-ji. Je ferais aussi bien d'écrire un livre et de vous en faire cadeau à chacun. Mais vous venez ici pour ce dernier % précieux, et vous venez d'abord pour avoir mal aux jambes ! Ce dernier % pèse lourd, je ne peux pas vous l'enseigner, je ne peux pas vous le donner comme cela. Je suis simplement celui qui est là pour vous tendre la main. C'est vous qui bougez, à un moment donné je ne fais que vous tendre la main, comme un guide.

Je sais bien que les Européens ont toujours tendance à être dans la logique, et osent vous demander : « Alors, oui, vous avez eu le satori ? quand ? » Les Japonais, eux, n'osent pas poser ce genre de question. Je pense qu'il est regrettable de poser ce genre de question inconvenante, ça empiète sur la personne. Un jour j'ai rencontré un Américain qui m'a dit : « Mais, dites donc, enseignez-moi le satori. » Et moi : « Je voudrais bien si c'était quelque chose qu'on pouvait enseigner ! »

Mais parce qu'on ne peut pas l'enseigner, vous êtes là, vous avez mal aux jambes et vous venez me voir.

 

Instructions pour la sesshin

 

Quoi qu'il en soit, nous voici au quatrième jour de la sesshin, au beau milieu. Cela fait huit jours pleins, pour ne pas dire neuf, que vous êtes ici en ma présence. Vous mangez des nourritures sans viande ni poisson. Peut-être y en a-t-il quelques-uns qui rêvent de l'odeur des beefsteaks ! Tant qu'on n'a pas purifié son corps de l'intérieur, on ne peut pas se livrer à un bon zazen. Le zazen profond devient difficile, pour ne pas dire impossible, lorsque l'on mange de la viande et que l'on boit de l'alcool. Entre la somnolence et l'état profond il y a l'épaisseur d'une feuille de papier.

En tout cas, tous les composants de votre corps sont en voie de purification. Votre visage est déjà très allégé, simplifié. Regardez-vous donc dans les grandes glaces qu'il y a dans les toilettes. Votre regard est tellement beau ! C'est ça votre visage d'origine, de toujours.

Mais quand vous mangez de la viande et du poisson, quand vous buvez de l'alcool, vous faites vraiment une drôle de figure. Ce serait bien de vous photographier à ce moment-là et puis de comparer avec une photo faite quand la sesshin aura pris fin. Avant / après ! Double personnalité ! Effectivement, il y a ce double visage, ce double caractère.

Ce qui est étrange, c'est que votre visage devient pur, devient beau, et en même temps il devient ordinaire, il devient identique. Ici il y a des gens qui ont les yeux noirs, d'autres les yeux bleus, mais finalement tous ont le même visage, peut-être parce qu'ils mangent la même chose, ou tout simplement parce qu'ils mènent la même vie.

Au Ryutaku-ji, il y a maintenant peu de moines. Du temps où j'y étais nous étions une trentaine, des grands, des gros, des petits, de toutes sortes. Mais je me rendais compte à l'époque que tout le monde avait la même tête, au point que je les confondais. Et c'est cet environnement qu'il faut installer ici.

 

Nous voici donc en vérité au premier jour de la sesshin. Considérez que nous sommes au premier jour et qu'il ne vous reste que trois jours. Je vous invite à vous consacrer de toutes ses forces à la pratique, et à vous réaliser.

 

ANNEXE. Traduction du cas 6 du Mumonkan

Énoncé du cas.

Il y a longtemps, quand l'Honoré du monde était au Pic des vautours, il prit une fleur, et la tendit devant ses auditeurs.

Tous restèrent silencieux. Seul le vénérable Kashyapa se mit à sourire.

L'Honoré du monde dit : « J'ai le trésor de l'œil du vrai dharma, le pur esprit du nirvâna, la vraie forme de la non-forme, la porte subtile du dharma, ce qui ne dépend pas des mots mais est transmis au-delà de tout enseignement. Cela, je le confie à Mahâkashyapa. »

 

Commentaire de Mumon.

Gautama au visage d'or supprime insolemment les gens nobles en les rabaissant. Il a mis en devanture des têtes de mouton alors qu'il vend de la viande de chien. Il pense lui-même que c'est exceptionnel.

Si, cependant, à ce moment-là, tous ceux qui assistaient avaient souri, comment aurait-il pu transmettre le trésor de l'œil du vrai dharma ? Ou encore, si Kashyapa n'avait pas souri, comment aurait-il pu transmettre ?

Si vous dites que le trésor de l'œil du vrai dharma peut être transmis, alors ce vieil homme au visage d'or aurait dupé à la ville les pauvres gens de la campagne. Si vous dites qu'il ne peut pas être transmis, alors pourquoi Bouddha a-t-il approuvé Kashyapa ?

 

Poème.

En montrant une fleur
le Bouddha fait voir sa queue.
Ciel et terre sont déroutés
au sourire de Kashyapa

 

 

Bouddha lève une fleur

 



[1] Yakusan i Gen (745-828), ch. Yueh shan Wêi-yen, est le successeur de Sekito, et le maître de Tokûjo.

[2] D'après Henri Brunel, Contes zen, Cette histoire se passe dans la première moitié du XIVe siècle dans un temple perdu dans la montagne.

[3] Shukke 出家 est formé de deux caractères :  shutsu 出 « sortir, franchir le seuil, quitter »;  ke 家 « la demeure, la maison . Donc shukke c'est "quitter la maison",  ce mot désigne aussi le moine zen.

[4] Hokkekyô (sûtra du Lotus) et Nehankyô (sûtra du nirvana)

 

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