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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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20 octobre 2018

Par Eizan Rôshi. Enseignement du 2e jour de sesshin 1995 à Tôkyô : Le kôan MU (cas 1 du Mumonkan)

Eizan Rôshi, Japon nov 2004Voici le deuxième enseignement d'Eizan Rôshi lors de la sesshin de 7 jours qui a eu lieu au Kaizen-ji pour un groupe de français du centre Assise. La veille il était surtout question de la posture zen, du corps, de la respiration, de l'esprit. À partir du 2e jour l'enseignement repose sur un kôan du Mumonkan. Cette fois il est question du 1er kôan, le kôan MU. Ce kôan est donné à ruminer aux pratiquants, mais le MU lui-même est aussi une sorte de mantra qu'il s'agit de prononcer mentalement sur l'expiration, quasiment jour et nuit. Le mot japonais MU signifie "Non", "Pas".., mais ici c'est le son qui compte.

L'énoncé du kôan MU lui-même est court (il figure en gras dans cette transcription), dans le Mumonkan on trouve ensuite le commentaire de Mumon qu'Eizan cite en le glosant, puis un poème lui aussi glosé par Eizan (le texte du poème a été ici ajouté entre crochets). Plusieurs des premiers messages donnant les enseignements d'Eizan en reprenant des articles parus dans la revue interne au centre Assise portent déjà sur ce kôan MU.

N. B. En japonais le "u" se prononce "ou", ainsi MU se prononce MOU.
La signification de plusieurs termes figure entre crochet pour éviter des notes.
Eizan parle en japonais et Philippe Jordy traduit aussitôt. Cette transcription n'a été relue ni par Eizan ni par Philippe.

 

 

Sesshin 1995 au Kaizen-ji à TÔKYÔ

2e jour : Enseignement d'Eizan Rôshi

Le kôan MU (cas 1 du Mumonkan)

 

Mumonkan HekiganrokuAu Japon, dans le cadre du zen, on utilise les textes du Mumonkan. L’auteur de ce recueil, le célèbre Mumon, est né en Chine en 1180, à l’époque de Kamakura. C’était un très grand directeur spirituel et au fil de son enseignement il a progressivement composé 48 stances qui forment la matière de ce recueil. Il avait été formé par un autre maître célèbre, Gatsurin[1].

Le premier kôan de ce recueil est le kôan MU. Ceux qui se consacrent à la recherche de la réalisation commencent par ce kôan[2].

 

●   L'éveil de maître Mumon.

On dit que maître Mumon a travaillé le kôan Mu pendant six ans, en n'arrêtant pas de le méditer, qu’il soit en état de veille ou qu’il dorme. Et, même avec ça, il lui a fallu six ans pour arriver à l’éveil.

Or le chemin à parcourir n’était pas une ascèse de tout repos. En effet, qu’il soit en zazen, qu’il dorme ou qu’il veille, qu’il mange ou qu’il aille aux toilettes, le corps se fatigue inévitablement ; quelle que soit l’attention, il s’endort et la paresse s’installe. Rien que de physiologique là-dedans. Alors, pour résister à cet endormissement, Mumon avait l’habitude, dès qu’il sentait le sommeil s’installer, de se lever et de faire le kinhin [marche lente], et dès que, de nouveau, il avait les yeux ouverts, il se remettait en zazen ... et il se rendormait, puis repartait pour un tour de kinhin et ainsi de suite ... si bien qu’il arrivait à dormir tout en faisant kinhin.  Que faisait-il alors pour résister ? Il se frappait la tête contre un pilier. Et avec ce genre de discipline, ça lui a quand même pris six ans !

Il y avait un autre moine célèbre Sekisô[3] qui, lui, avait trouvé de s'entailler la chair avec un poinçon chaque fois qu’il commençait à s’endormir !

Impossible d’arriver à la réalisation si vous êtes là tranquillement assis à regarder, le nez en l’air ou par terre.

 

Je reviens à Mumon. Il a donc consacré toutes ses forces à l’ascèse. Un jour, il a entendu le tambour avec lequel on appelle aux repas, c'était en Chine. C’est à ce moment-là qu'il a eu le kenshô (l'éveil). Ici, on utilise une cloche : je vous en prie, éveillez-vous au son de la cloche !

Mumon a apporté des commentaires à ce kôan MU, 28 versets. C’est en vieux chinois et donc en  vieux japonais. Il décrit son expérience, il interprète son kenshô : quand il a entendu le tambour, tout d’un coup, tout s’est écroulé, toutes les discriminations, toutes les illusions se sont réduites en cendre, et il a surgi d’un coup, d’un seul, dans le ciel bleu pur et éternel, et il s’est rendu compte que tous autour de lui, tous étaient déjà réalisés.

 

Le Bouddha lui-même s’est éveillé le 8 décembre, à l’aube. Il s’est écrié : « Mais oui, c’était là, je l’avais ! » Il a avoué que tout ce qu’il voyait, tout ce qu’il entendait, c’était ça le satori : d’un coup d’œil, tout était satori.

Si vous vous éveillez, vous verrez que tout est éveillé, et si vous restez dans la déviance, vous verrez que tout est dévié. En général il y a les choses qu’on voit, l’objectif, et puis le subjectif. Quand vous êtes tristes, tout ce que vous voyez est triste ; quand vous êtes gai, tout ce que vous voyez prend l’air gai. Et, nous, dans le zazen, quand nous sommes éveillés, nous voyons que tout est éveillé, nous réalisons que tout est là, éveillé. Il y a là une grande possibilité d’ouverture dans la vision des choses.

 

 

maître Mumon,●   Le recueil du Mumonkan.

A 46 ans Mumon a composé ce recueil, le Mumonkan, et il a fondé un grand temple où il s’est installé. Mais c’était un homme qui n’aimait pas trop paraître devant les gens, et il a donc préféré fonder aussi un plus petit temple retiré du temple principal. Cela n’a pas empêché les adeptes de venir en foule pour l’écouter. C’était un homme très maigre, toujours d’un naturel gai, souriant, pas très habile en parole, apparemment, comme moi dans cet enseignement ! On dit même qu’il était bègue, mais ce qu’il nous enseigne est vraiment magnifique. On a des images qui le montrent avec les cheveux longs, et des vêtements usés, dépenaillés. Autrefois les ascètes n’avaient certainement pas ce genre de beaux atours [Eizan montre ses habits]. Autrement dit, le zen a commencé à décliner quand les gens se sont mis dans ce genre de robe ! je suis désolé de cela. Évidemment, si vous êtes mal habillé, vous n’aurez pas tellement de clients ! Si vous présentez bien, si vous portez beau, vous aurez des foules ! Je crois que les gens payent pour voir la robe. Je fais bien attention pour bien m’habiller : j’ai fait construire ce bâtiment et il y a pas mal d’argent investi là, il faut rembourser !

Mumon a donc composé le Mumonkan dont le titre signifie : « il n’y a pas de portail », « passe sans porte ».

 

●   Passe sans porte.

Porte,Je me souviens quand il y a six ou sept ans, je vous ai vus pour la première fois en France, Jean m’a fait visiter l’arc de triomphe qui illustre magnifiquement les plus belles batailles de Napoléon. Dans la Bible aussi, je crois qu’il y a quelque part une porte, c'est dans Matthieu[4] : la porte étroite – c’est aussi un titre de Gide. Donc, l’arc de triomphe c’est une porte, et dans la Bible aussi il y a une porte… mais, dans le zen il n’y en a pas ! C’est très important. Si vous ne comprenez pas, vous faites un zazen inutile.

Pourquoi n’y a-t-il pas de porte ? Parce que si on construit une porte, c’est une limite, une limitation : les gens sont obligés de l’emprunter. Alors, en zen, il n’y en n’a pas : c’est un immense passage sans porte. Il faut un portail pour apprécier le monde, mais là il n’y en n’a pas. Et on va poser que cette absence de porte, c’est ça la porte. D’ordinaire, on croit que, s’il y a une porte, il suffit de la franchir et là nous serons éveillés pour le satori. Eh bien, il n’y a pas de porte, tout est déjà satori. C’est cela qui est étonnant.

Vous tous qui m’écoutez là en ce moment, comprenez bien que partout et toujours, c’est le satori : vous dormez, vous êtes éveillés, vous vous levez... Pas de porte donc pas de possibilité de pouvoir entrer ou sortir.  Donc, le fait qu’il n’y ait pas de passe, c’est ça la passe.

Et encore, quand je dis qu’il n’y a pas de porte, je mets encore une porte, je ferais mieux de me taire, tout arrêter ! Autrefois, on pouvait faire un meilleur enseignement : vous savez, à ce point de l’enseignement, frapper un grand coup sur le pupitre et partir. Mais cela vous rendrait un peu tristes !

 

●   L'énoncé du kôan MU.

« Un jour, un pratiquant de l’ascèse demande à maître Jôshû : ‘‘Le chien a-t-il la nature de Bouddha ?’’ – Ce pratiquant pose cette question tout en sachant que, comme tout homme, un chien a lui aussi cette nature – Et maître Jôshû a répondu « MU » [ce qui signifie ici "Non", "il n'a pas" en japonais]. »

Voilà le kôan d’aujourd’hui. Apportez-moi la réponse en dôkusan [entretien privé avec le maître] ; et même n’importe quel moment fera l’affaire. Tout est là, la réponse est là.

 

●   Le commentaire de Mumon.

Mais développer cette réponse, « MU » entraîne un certain nombre de risques. Maître Mumon a apporté un commentaire sur cette histoire, qui est aussi la confession de l’expérience propre du maître.

Mumon dit que ce kôan est une barrière qu’il faut franchir et qu'elle est posée là depuis toujours ; il ajoute que le satori permet de renoncer d’un coup, d’un seul, à toutes les discriminations. Mais si l’erreur est très grande, vous restez dans l’erreur.

 

Il y a 48 kôans dans le Mumonkan (Passe sans porte). Ce premier kôan est le plus important et il nous ouvre tous les autres. Vous passez ce premier et vous comprenez tous les autres, un peu comme un marteau qui frapperait sur une tuile et la briserait en mille morceaux. Il faut donc vous atteler à ce kôan MU.

On dit d’ailleurs que, pour les pratiquants du zen, tout commence et tout finit par ce kôan MU. Et, en vérité, quand a fini de passer toute la chaîne des kôans[5], on retourne et on reprend celui-là car c’est lui qui permet de se débarrasser des illusions et des discriminations qui embarrassent le cœur de l’homme (jugements ...). Et, voilà, nous nous y mettons pour y arriver. Rester dans la tête, rester dans les mots, c’est perdre le cœur-esprit. Ne pensez à rien et faites simplement MU.

Maître Mumon le dit lui-même, si on franchit cette première porte du zen, si on résout ce kôan, on marche main dans la main avec le Bouddha et tous les patriarches, tous les maîtres prédécesseurs. Autrement dit, vous avez la même manière de voir les choses que le Bouddha, que Bodhidharma, que tous les autres. Et à la fin, avec la sécurité de cœur qui apparaît par la résolution, vous pouvez avoir la même façon de voir et de penser qu’eux. Devenez pareils au Bouddha lui-même. Cette force, cette énergie que vous trouverez, c’est celle-là même qui a animé les patriarches et qui n’est pas une chose étrangère. Je vous certifie qu’en faisant zazen, vous l’aurez dans la main.

Dans le commentaire de Mumon, il est dit : « Il faut soulever les 360 os de votre corps », il faut devenir un de l’extrémité du crâne jusqu'à la pointe des pieds, c’est-à-dire devenir MU, devenir tranchant, dans un état de samâdhi comme Jôshû, comme moi aussi je suis.

Vous aussi, vous le faites physiquement, vous le faites biologiquement… mais alors, et c’est là ce qui fait de la peine : quel est le contenu ? Jôshû a répondu « MU », et vous aussi vous le faites ou vous le dites. C'est pareil, et pourtant le contenu est si différent ! Pour l’esprit il y a là une très grande ouverture.

 On dit qu’il faut faire MU du matin au soir et du soir au matin[6].

 

Le mot "MU" en japonais signifie "il n'a pas", mais ce MU de Jôshû n’a rien à voir avec le problème de l’existence et de la non-existence (c’est, ce n’est pas), avec quelque chose qui relèverait du nihilisme. Ce qui est important, c’est la constance dont vous faites MU du matin au soir et du soir au matin, que vous dormiez ou que vous soyez éveillés. Si vous arrêtez, vous retournez dans les ténèbres, dans l’erreur.

Ensuite, ce MU, c’est quelque chose qui est pareil à un fer rouge que vous auriez avalé et que, malgré tous vos efforts, vous ne pourriez recracher. C’est comme une passion : quand il est passionné, quand l’homme est tout entier à quelque chose, il ne peut s’en abstraire, devant, derrière, c’est pareil, il est pris par cela. On dit au Japon « ouvrir grand les yeux, avoir la bouche ouverte, avoir toutes dents dehors ». Vraiment, essayez d’imaginer dans votre tête ce fer rouge ; si réellement vous l’aviez avalé, quel serait votre visage alors ? « C’est brûlant, comment faire pour le recracher ? ». C’est bien le moment où tout ce que l’homme imagine, tout ce que l’homme discrimine arrive à s’arrêter. Il y a cette comparaison possible. C’est  à ce moment-là que vous faites un avec le MU. C’est à ce moment-là qu’objectivité et subjectivité ne font plus qu’un.

 

Il y a aussi des commentaires apportés par les maître Rinzaï[7] et Hakuin sur leur propre éveil. Rinzaï a dit que le monde était noir comme recouvert de laque, et Hakuin a dit que le monde était semblable à une couche de glace[8] : c’est au moment où chacun d’eux a connu l’illumination qu’il décrit le monde en ces termes. Au moment du kenshô vous rentrerez dans cette phase.

 

Nous voilà à ce point où objectif et subjectif ne font plus qu’un, à ce point où Bouddha, Bodhidharma eux-mêmes n’existent plus, où tous les hommes qui vivent la vie, la mort, ne sont plus là. Quelles que soient les complications, votre vie fut-elle emberlificotée, tout est libéré. L’homme ne ressent plus d’entraves.

Je vous invite à vous consacrer totalement à l’étude du kôan, je vous affirme que vous arriverez totalement à l’éveil comme quand on allume une lampe ou une bougie.

 

Mu, calligraphie de Hakuin●   Le poème de Mumon.

Après le commentaire de Mumon il y a un poème de quatre vers pour exprimer cette réalisation.

   [Chien ! Nature-de-Bouddha !
    L'ordre juste et absolu vient d'être donné…
    Si vous balancez entre "il a" et "il n'a pas"
    Vous rendez l'âme aussitôt !]

La question a été posée : « Le chien a-t-il la nature de Bouddha ? », et Jôshû a répondu « Mu ». Ce MU existe-t-il ?  Ce n’est pas ça qu’il a répondu. Si vous dites « Il y a le MU, il n’y a pas le MU », vous tombez en enfer. C'est ce que dit le poème.

 

●   Pour conclure sur le kôan MU.

Expliquez les choses difficiles de manière simple, c’est difficile. Expliquez difficilement les choses difficiles est simple ! Vraiment dans l’histoire du zen, Jôshû est un maître exemplaire. Ce n’est pas quelqu’un qui, comme Rinzaï, était connu pour pousser son cri, « Khât »[9].

 

Le kôan commence donc ainsi : « Un jour, un pratiquant de l’ascèse a demandé... » Un jour, un moment... mais attention, pour le pratiquant, cette question-là mettait en jeu toute sa vie, c’était une question de vie ou de mort. Cette question s’est posée dans le cadre d’une chance unique, d’une rencontre unique entre le maître et son disciple. Vous-mêmes, vous êtes là, vous êtes venus de France, vous avez consacré du temps, des efforts, de l’argent, et puis on pourrait résumer cela par la suite en disant « Un jour, vous étiez à Kaizen-ji ».

Il y a une très grande profondeur dans cette petite histoire ; ce n’est pas simplement quelques lignes écrites. C’était comme une lutte tout d’un coup, comme un affrontement, un choc gigantesque entre le disciple et son maître, et c’est cette phase-là qui est très importante.

Nous tous qui pratiquons le zen, nous nous concentrons sur ce kôan. Je garantis que, si vous le réalisez, ce MU va s'étendre à toutes les sphères, tous les domaines. Que vous étudiez, que vous vous consacriez à une recherche scientifique ou psychologique, que vous soyez dans la politique ou juriste, la pratique du kôan est parfaitement indiquée. Et cela vous servira immanquablement. C’est le fondement premier de toute science.

 

●   Hakuin et le kôan MU.

Là-dessus, il y a une histoire du temps de la jeunesse de Hakuin. Quand il avait 23 ans, il s’est attelé à ce kôan. Il en perdait le boire et le manger. Il en oubliait d’aller aux toilettes, d’uriner... Et c’est dans cette disposition que, par hasard, la cloche d’un temple voisin s’est mise à battre. À ce moment-là il a été intimement persuadé, et il est allé jusqu'à le dire sans aucune forfanterie, qu’il avait réalisé le plus grand satori.

Mais il s’est fait contrôlé par un autre maître, Shôju qui vivait quelque part dans un département comme les Alpes japonaises. Et Shôju lui a répercuté le kôan MU de Jôshû « Le chien a-t-il la nature de Bouddha ? ». Et Hakuin a dit « Mais vous et moi ne faisons plus qu’un. Il n’y a plus d’interstice, plus d’espace entre vous et moi ! ». C’est bien comme cela que ça doit être : c’est lisse, il n’y a aucune aspérité, aucune prise. Mais c’est là que l’autre a tendu la main et a tordu le nez de Hakuin : « Regardez bien il y a une prise ! Quel idiot ! » et de rire. Hakuin en est resté tout hébété.

À quel point ce Mû est relatif à chacun ; à quel point les circonstances changent de personne à personne ! Que feriez-vous si on vous tordait le nez ? C’est une sorte de kôan. Je vous en prie, si vous avez la réponse, apportez-la en dôkusan[10]. Mais là si vous continuez à penser des choses avec votre tête, quand vous vous prosternez et que vous relevez la tête, moi je vous tords votre nez ! je vous le répète, vous n’atteindrez pas la réponse avec votre tête, vos pensées, c’est simplement par la pratique de MU que la réponse surgit.

Soyons clair : la pratique du zen n’est pas quelque chose qui vient de l’extérieur, on fait des confusions là-dessus, tout le monde se trompe. Il faut que la réponse surgisse, coule de vous. C’est la différence entre la réalité et la représentation de la réalité. Là nous avons la vérité même.

 

●   Eizan et le kôan MU.

Au Ryotaku-ji[11], maître Sôen m’avait donné ce kôan MU. Pendant longtemps, quand j’allais le voir, je ne savais que répondre et j’avais la tête pleine de confusion ; et il me frappait… J’avais envie de prendre le bâton, frapper en retour, mais, est-ce qu’on peut imaginer frapper un rôshi ? Alors tout ce que je me bornais à faire, c’était de le fusiller du regard. Maître Sôen me disait : « Mais ne fais donc pas une tête pareille !  C’est effrayant ! » Et je vous assure que ça a duré longtemps.

Mais on ne peut pas tout dire. Il y a beaucoup de rencontres et d’expériences qui se passent.... 

 

●   En guise de conclusion.

Quand vous faites MU, c’est MU qui finit par venir à vous. Il y a ce monde où moi, je fais MU, ou plutôt où c’est MU qui me fait. Enfin, ce monde, c’est MU justement. Simplement le problème est dans ce processus : le faire, ne pas le faire. Et c’est ce flot, ce courant d’énergie qui est important ; il n’y a rien d’autre que ce courant, ce processus dans l’univers. MU est à l’origine de tout questionnement, de toute énigme. Après, tout ne sera que variation sur ce thème de MU. Et je vous dis que si vous passez MU, si vous le réalisez, alors vous résolvez tout. Voilà ce que je vous affirme en conclusion.



[1] Gatsurin Shikan (1143-1217)

[2] La méthode  employée par Eizan Rôshi vient de Hakuin qui a clarifié l'utilisation systématique des kôans. On commence par travailler sur l'un des trois kôans de base : le kôan MU, ou bien le son d'une seule main,  ou bien le visage originel. Eizan Rôshi choisit toujours le kôan MU.

[3] Sekisô Soen石霜楚圓 (986-1039), maître de l'école rinzaï.

[4] Mt 7, 13-14.

[5] Dans la méthode des kôans mise en place par Hakuin, à la suite du 1er kôan (voir note 2), les autres sont classés en cinq catégories, voir la deuxième partie de Le travail des kôan et le monde de l'expérience, enseignements de Eizan Rôshi.

[6] MU est comme un mantra qu'on répète en particulier sur l'expiration

[7] Rinzaï (ch. Lin Tsi) est le fondateur du courant du zen rinzaï.

[8] Il relate ainsi son expérience : « Pendant des jours et des nuits, je ne dormais plus, j'oubliais à la fois de manger et de me reposer. Soudain, un grand doute (大疑) se fit en moi. Je percevais une sensation d’extrême transparence, comme si j’étais gelé à mort (凍殺) au milieu de couches de glace s'étendant sur des milliers de kilomètres. Je ne pouvais ni avancer ni me retirer. J’étais comme un être privé d’intelligence, et rien n’existait que « MU ! » J'assistais aux sermons du maître, et il me semblait que cela se tenait dans une salle extérieure et très lointaine, ou que je les écoutais flotter dans les airs. »

[9] Voir par exemple les Entretiens de Lin-Tsi, trad. Paul Démiéville, Fayard 1972, p. 21-26. Ce que Demiéville rend par khât  est le caractère 喝 katsu en japonais). Impossible à traduire, c’est un cri, une interjection.

[10] Le dôkusan est une entrevue privée avec le maître, elle est ritualisée, le pratiquant se prosterne plussieurs fois, à genoux, tête au sol, dont une fois devant le maître.

[11] Le Ryutaku-ji est le monastère où Eizan Rôshi a été disciple de maître Sôen, c'est aussi le monastère où Jacques Breton est allé souvent, et maintenant c'est Eizan Rôshi qui en est le responsable. Cf.Les relations entre Eizan Rôshi du Ryutakuji et le centre Assise de 1986 à 2018

 

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