Par Eizan Rôshi. Enseignement du 1er jour de sesshin 1995 à Tôkyô : La méthode juste pour pratiquer le zazen
Voici le premier des enseignements d'Eizan Rôshi lors de la sesshin de 7 jours qui a eu lieu au Kaizen-ji, le temple zen situé en plein cœur de Tôkyô dont, à l'époque, Eizan Rôshi était responsable. C'était le 28 fin octobre 1995 pour un groupe de Français du centre Assise hébergé sur place. Le centre Assise ayant été fondé par Jacques Breton, prêtre, ami de Eizan Rôshi, la sesshin représnte un moment important de l'histoire du bouddhisme et du christianisme comme Eizan le dit au début. En fait J. Breton était malade et avait dû rester en France.
Eizan Rôshi enseignait en japonais et Philippe Jordy traduisait en français. En ce premier jour Eizan Rôshi s'est appuyé sur le texte chinois du Zazengi dont s'est inspiré maître Dôgen pour écrire le Fukanzazengi qui sert de repère à toutes les écoles zen. Certains extraits de ce qui est dit ici figurent déjà dans deux messages car des extraits d'enseignements avaient fait l'objet d'articles dans la revue interne au Centre Assise, et ils ont été en premier publiés sur le blog.
Les enseignements des autres jours seront mis progressivement sur le blog. Bien entendu Eizan Rôshi n'a pas relu cette transcription ni les notes qui ont été ajoutées au niveau du vocabulaire utilisé.
Pour compléter ce message :
- Pour savoir ce qu'est le centre Assise voir Accueil du blog Voies d'Assise et Historique du centre Assise et de Jacques Breton.
- Pour connaître la relation qui a existée entre Jacques Breton, fondateur du centre Assise et Eizan Rôshi, voir : Les relations entre Eizan Rôshi du Ryutakuji et le centre Assise de 1986 à 2018.
- Pour lire le texte du Fukanzazengi : Le Fukanzazengi, texte sur la pratique du zazen, suivi de conseils d'Eizan Rôshi et d'une étude comparée de termes.
- Pour avoir d'autres enseignements d'Eizan Rôshi, voir les messages du tag Enseignement Eizan Rôshi.
- Lien vers l'enseignement du 2e jour : Le kôan MU (cas 1 du Mumonkan)
- Lien vers l'enseignement du 3e jour : Voie de la parole en bouddhisme ; kôan "Le doigt de Guteï"
- Lien vers l'enseignement du 4e jour: Le kôan "Bouddha lève une fleur"
- Lien vers l'enseignement du 5e jour: kôan de L'homme accroché par les dents
- Lien vers l'enseignement du 6e jour : Réflexions diverses sur la mort ; et kôan "Va laver ton bol" ;
- Lien vers le témoignage d'un participant au sesshin : Echo du voyage au Japon 1995 et du sesshin organisés par Eizan Rôshi au Kaizen-ji
Au Kaizen-ji à TÔKYÔ
Enseignement du premier jour de sesshin 1995
Par Eizan Rôshi
La méthode juste pour pratiquer le zazen
Voici la grande sesshin de fin octobre 1995 qui se déroule à Kaizen-ji, pour rechercher le kenshô[1] (la réalisation), pour appréhender la vérité. Dans le contexte de toute l’histoire du christianisme et de toute l’histoire du bouddhisme, cette sesshin a une très grande signification.
Depuis Bodhidharma, le premier Patriarche du zen, il y a eu 6 patriarches et je voudrais vous transmettre ce que dit le sixième patriarche, Enô (ch. Hui-Neng) à propos de la "nature-de-bouddha[2]".
En ce qui concerne l’humanité il y a des gens dans toutes les aires de la terre, au nord, au sud, mais en ce qui concerne la nature-de-bouddha il ne saurait y avoir de distinction entre le nord et le sud. La vraie nature de l’homme partout est la même. Elle est la même, par conséquent, si vous pratiquez le zazen, vous "atteignez" l’illumination, mais en fait, depuis toujours et sans exception, tout le monde a l’illumination.
Pourtant, et quelle tristesse !, l’homme erre, se perd, son cœur est obscurci. Un peu comme en ce jour-ci d’automne, l’être humain a le cœur obscurci, nuageux, brumeux; il faut changer cela d’un seul coup grâce à la pratique de zazen. Le zazen n’est rien d’autre que la purification du cœur et de l’esprit.
Par conséquent, je vais aujourd’hui proposer comme enseignement la méthode juste pour pratiquer le zazen et ainsi, en ce premier jour de la sesshin, vous aider à bien y entrer.
Aujourd’hui je vais vous parler du Zazengi[3], la méthode de zazen, qui est un texte écrit en caractères chinois - il y a énormément de textes de cette origine, et Zazengi est l’un des plus importants pour le zen. Pour pratiquer son ascèse, pour purifier son cœur, l'homme doit pratiquer essentiellement selon quatre directives. Tout le monde doit pratiquer de manière ouverte aux autres, non pas égoïste, égocentrique, refermée sur soi, mais avec en vue le salut de tous.
Vous avez les quatre vœux fondamentaux du Bouddhisme, notamment dans le zen rinzaï, sous la forme du sûtra que vous récitez chaque jour en japonais[4].
- le premier vœu est celui de sauver tous les êtres,
- le deuxième est de couper toutes les illusions aussi nombreuses qu’elles soient,
- le troisième est d'essayer de pratiquer toutes les formes de l’enseignement (les sutras, la méditation...),
- le quatrième vœu est ainsi, au travers de ces méthodes, de réaliser le paradis ici sur terre.
Ce n’est là rien d’autre que le commencement et la fin du dharma[5] du bouddhisme. Et nous faisons le zazen pour réaliser cela.
Au Japon il y a bien des gens pour dire que ces gens-là qui font du zen ont bien des loisirs, du temps à perdre... Et en France ?...
Mais en vérité, si vous voulez aller jusqu’au fond de votre vie, pour vivre votre vie pleinement, vous devez en passer par cette méthode. Et le zazen n’est pas quelque chose qui n'est réservé qu'aux moines, au clergé bouddhique. Ce n’est pas non plus un moyen de commerce. Ce n’est qu’une méthode religieuse, pratique, pour sauver les êtres, l’humanité.
Je reviens donc à l’enseignement que je veux vous donner, que donne le Zazengi.
Pour faire zazen, il faut :
- s’abstraire complètement du monde extérieur.
- prendre les repas d’une manière juste, ni trop ni trop peu, de même pour le sommeil.
Vous êtes ici pour une semaine de sesshin et je vous demande d’oublier tout ce qui peut se passer en France – ce qui se passe chez vous en ce moment, à votre bureau...–, ce genre de pensée je vous demande absolument de vous en détourner. Puisque vous êtes venus, vous devez vous concentrer ici de toutes vos forces. Ce zendô[6] est là pour ça, et ceux qui dans ce zendô ne feraient pas cela seraient vraiment bêtes. Si vous voulez avoir une image en tête, c’est celle du mont Fuji que vous avez vu lors de votre excursion à Hakoné, le lendemain de votre arrivée au Japon. Au fait, le Fuji, c’est le zazen à la japonaise.
Je viens de parler plutôt du versant de l’esprit : abandonner, renoncer à toute pensée accessoire.
Maintenant j'en viens à l’aspect corporel : la nourriture, s’alimenter correctement, et de même pour le sommeil. Il est étrange de constater que rien qu’un peu de sommeil suffit quand vous pratiquez beaucoup de zazen. Mais à l’inverse, si vous ne pouvez pas contrôler votre esprit et votre corps, vous ne réalisez pas un bon zazen.
J'en reviens aux préceptes du Zazengi. Pour faire zazen il faut :
- choisir un endroit calme, retiré, autant que possible;
- apporter en ce lieu un coussin plutôt épais,
- porter des vêtements amples qui permettent un relâchement du corps adéquat.
Je me souviens du zendô chez Jacques Breton à Saint-Gervais, il est dans un environnement encore plus favorable que le mien. Il y a très peu d’endroits comme cela au Japon, sans parler même de Tôkyô où nous sommes au centre. Et encore, Kaizen-ji est assez privilégié de ce point de vue.
Le Zazengi invite à se mettre en lotus ou en demi-lotus..
Les personnes qui arrivent à adopter la position du lotus complet doivent s’efforcer de la maintenir, celles pour qui ce serait trop difficile doivent essayer au moins celle du demi-lotus. Je vous invite à essayer de viser le lotus complet.
Ensuite la posture du corps. Il ne faut être ni trop en arrière, ni trop en avant, mais rester bien d’aplomb, comme si vous aviez un bambou qui se dressait au-dessus de votre crâne. Voilà donc ce qu'il faut faire avant tout.
Est-ce que vous connaissez les pagodes à cinq étages? Au départ ce sont des bâtiments conçus pour abriter les reliques du Bouddha. Quand vous voyez la structure d’une pagode à cinq étages, il y a un axe central, un très grand pylône, et ce pilier central en vérité ne touche même pas le sol, il y a un petit peu d’espace entre le sol et la base qui soutient l’édifice. De la sorte, s’il y a beaucoup de vent, l’édifice peut légèrement bouger et garder en même temps son équilibre. Votre corps est pareil à cela. Vous savez, votre colonne vertébrale est souple, elle prolonge le bassin, fixée sur lui. Cette pagode de cinq étages a en vérité pris comme modèle le corps humain.
Alors je vous demande d’avoir au moins cette image de la structure de votre corps comme la pagode à cinq étages, et la vision globale de votre corps comme le mont Fuji.
Vous devez :
- relâcher toutes les tensions, les forces qui sont dans votre corps, et garder seulement la colonne vertébrale bien droite,
- aligner épaules et oreilles, et ensuite nombril et nez;
- fermer la bouche,
- garder la langue légèrement pressée sur la voûte du palais. Si vous ne faites pas cela d’ailleurs vous allez avoir beaucoup de salive, la ravaler constamment ce qui fait du bruit – je vous entends souvent, surtout après le thé – et de la sorte cela facilite la respiration.
- les yeux doivent être a-demi ouverts ou a-demi fermés comme vous voulez, légèrement fixés à environ un mètre devant vous. Si vous ouvrez trop les yeux vous allez voir tout ce qu’il y a autour de vous, cela va vous perturber. Si vous fermez les yeux vous allez vous endormir. Par conséquent cette vision demie-close, c’est le meilleur moyen de pacifier votre cœur.
À quel moment le zazen est-il le plus profitable ?
Je sais que vous avez déjà beaucoup d’expérience, et je pense que vous avez dû vous rendre compte que l’aube ou le crépuscule sont les meilleurs moments pour le zazen. Pourquoi? Parce que ce sont les périodes de la journée où les rayons du soleil sont idéaux, au mieux pour la pratique de zazen, de même que la pression atmosphérique se stabilise à ce moment-là. Et pour forcer un peu le trait, je dirai que ces périodes sont une chance pour atteindre la réalisation. Tout est important dans le zazen, mais gardez malgré tout en tête ces évolutions de la journée pour organiser au mieux votre zazen.
Le point suivant que je vais évoquer et qui est très important, c’est la respiration. On pourrait dire que le zen, c’est la religion de la respiration. En général, les gens qui sont en bonne santé respirent 15 à 16 fois par minute. Or il est intéressant de constater que quand vous pratiquez zazen cette fréquence de la respiration s’abaisse pour passer à 10, puis 5 par mn voire 1 respiration par 3 mn, ou par 5 mn. Cette sensation d’inspiration et d’expiration s’allonge, s’éternise. Genpo disait qu’il respirait une seule fois au cours d’un zazen de 30 mn...mais on ne sait pas s’il avait vraiment la montre devant lui... C’est une condition première pour entrer vraiment dans le zazen que ce ralentissement de la respiration.
Il y a un épisode intéressant. C’était un rôshi dans un temple de Kyôto. Il faisait la sieste sur la galerie circulaire du temple par une journée d’été, une souris est monté sur lui, et il a senti que la souris s’arrêtait au niveau de son cœur. Alors là, par plaisanterie, le rôshi a joint sa respiration à celle de la souris. Comme elle est toute petite, bien sûr elle respire plus souvent que l’être humain. Il a donc d'abord monté sa respiration à son niveau. Ensuite il l'a ralentie lentement, et alors la souris est entrée dans une espèce de coma, allongée sur le corps du rôshi. À ce moment arrive quelqu’un : « Vous avez une souris sur vous » – « Chut ! » Surprise, la souris a retrouvé sa respiration et s’est remise à courir sur le corps du rôshi...
Tout cela pour vous dire que votre respiration est très importante et que vous pouvez en avoir le contrôle, la liberté. Je me souviens qu’autrefois il y avait un fil qui pendait au plafond, une plume fixée à l’extrémité – on peut aussi utiliser un papier –, et cette plume était devant mon nez en zazen : au début du zazen où la respiration est précipitée, je voyais la plume bouger, et plus le temps passait, plus cette plume revenait au point fixe.
Rien de plus important pour l’homme que sa respiration. Une longue respiration, c’est aussi une longue vie, et le zazen vous apporte la santé.
J’ai donc insisté jusque-là sur le contrôle du corps et de la respiration. Maintenant je voudrais parler du contrôle du coeur-esprit[7].
Un philosophe chinois...disait que les voleurs de la ville sont faciles à attraper, mais rien de plus difficile à attraper que le voleur qui est dans le cœur-esprit.
Pascal a dit un peu dans ce sens que l’homme est un roseau pensant. Penser n’est pas une mauvaise chose, mais le zazen, c’est de renoncer à cette discrimination courante « ceci est bien, ceci est mal ». Corps et cœur-esprit deviennent vides. À travers le corps, vous arrivez au contrôle de l’esprit. Plus vous approfondissez votre pratique, plus votre corps s’allège. Votre tête se vide. Si vous n’arrivez pas à avoir un corps léger, une tête légère, vidée, vous ne pouvez pas rentrer dans un vrai zazen.
Je vois bien que vous avez encore mal aux jambes. Tant que vous n’avez pas ce corps léger, l’esprit vide, ouvert, vous n’êtes pas dans le vrai zazen.
Beaucoup d’entre vous pratiquent un zazen très régulièrement. Il faut arriver à une pratique vraiment régulière. Le zazen est le baromètre de votre condition physique. Vous vous levez le matin, vous récitez des sûtras, vous faites le zazen : c’est ce zazen qui vous indique la condition de votre corps. Quand ça ne va pas, de deux choses l’une : ou bien votre façon de faire le zazen est mauvaise, ou bien en ce jour, à ce moment, votre corps a accumulé vraiment de la fatigue.
Le zazen est donc un moyen pratique de contrôler l’état de votre corps. Et de la sorte votre vie pratique, quotidienne peut devenir le zazen. L’énergie que vous puisez dans le zazen va s’étendre à tout votre corps et à toute votre vie quotidienne.
Bouddha, Bodhidharma, Hakuin, Rinzaï... tous ont atteint vraiment l’illumination grâce au zazen, et nous ne faisons que suivre leur chemin. Il n’est pas vraiment question de découvrir une nouvelle voie mais d’aller dans une direction déjà explorée. Alors allons-y, mettons-nous en route.
Mais le zazen n’est pas si simple; il faut s’y atteler. Si vous vous attelez à cette pratique très régulièrement, tel un fruit qui mûrit et qui tombe, vous atteignez le but, la réalisation.
Pourtant, si vous pensez : « Je vais atteindre la réalisation, le satori, » ça ne viendra pas. Non, c’est le satori qui va venir à vous naturellement.
Bien sûr, comme pour la vie dans son ensemble, dans ce chemin du zazen, il y a beaucoup d’événements divers qui se produisent. Surtout au début d’une pratique, votre tête vous emmène dans divers mondes, dans des illusions, des hallucinations (makyô) : Dieu, le Bouddha, vous les voyez. N’oubliez jamais qu’il s’agit d’une illusion, d’une hallucination et que vous pouvez passer à travers, les détruire en vous concentrant sur votre respiration, sur l’expiration du MU[8].
Si vous pensez : « J’ai rencontré Dieu ou le Bouddha » - ils vont devenir des obstacles. Mais quand vous avez ce genre d’hallucinations, c’est déjà le signe que vous avez approfondi votre pratique de zazen. Quand vous pensez : « Qu’est-ce que je vais manger ce soir ? », ou « Qu’est-ce que je vais faire au travail ? », il n’arrive jamais ce genre de phénomène !
En approfondissant la pratique, vous avez l’impression de vous enfoncer. Le corps s’enfonce dans le sol, votre visage s’épanouit, et votre visage blanchit. Les gens qui ont la tête rouge, soit ils dorment, soit ils sont dans l’illusion. En vérité, tout ce qu’il y a dans le zen, ce monde, tout s’épanouit sur le visage, tout est visible sur le visage.
Dans une pratique profonde du zazen, le sang reflue vers le bas, c’est pour cela que vous ne devez pas vous précipiter quand vous sortez de zazen, pas vous lever trop brusquement. Bien sûr, si vous vous levez trop brusquement, et qu’à ce moment-là vous éprouvez un vertige, c’est aussi le signe que ce n’est pas un bon zazen.
J’insiste : levez-vous tranquillement, assez doucement. Et vous devez garder l’état que vous avez réalisé dans le zazen aussi précieusement que la mère garde son enfant nouveau-né.
Vous devez garder le même état quand vous n’êtes plus en posture assise. Par exemple le kin-hin [marche lente dans le zendô entre deux moments d'assise] est un zazen en mouvement, un zazen dans la marche, ce n’est pas autre chose que le zazen encore.
Ainsi, le zazen va intégrer tous les aspects de votre vie quotidienne.
Par exemple, si l’on veut faire une comparaison un peu scientifique, prenez un verre et mettez dedans de l’eau sale. Au début vous ne voyez pas à travers le verre, l’eau est trouble; mais après un temps, l’eau se clarifie, la boue tombe en bas, et vers le haut vous voyez de l’eau propre, transparente. C’est un exemple du cœur que vous devez avoir dans le zazen.
Imaginez un diamant tombé au fond d’un étang. On ne peut pas le voir, l’eau est agitée par des tourbillons boueux, mais on peut le retrouver quand l’eau se calme.
Il faut donc attendre que les tourbillons de votre esprit s’apaisent.
Je vous ai donné des explications qui ont trait essentiellement à l’aspect du corps.
Ce joyau qui est dans l’être depuis toujours, y est. Le satori est déjà réalisé. N’importe qui, n’importe quand, n’importe où, en France, au Japon, en Amérique, n’importe qui, homme, femme, jeune, vieux, tous peuvent arriver à cette réalisation sur la base de ces directives que je viens de donner.
J’ai cité en tête, au début, cet avis de Enô qui disait que, depuis toujours, tous les êtres ont la nature-de-bouddha. Vous l’avez tous sans exception, il n’y a rien à prendre à l’extérieur. Et s’il y a quelque chose à prendre, c’est à l’intérieur, dans votre cœur-esprit. En fait, vous vous rendrez compte que « mais oui, c’était là ». Il n’y a rien de plus à dire.
Le kenshô[9] n’est pas quelque chose d’exceptionnel. Certains pensent peut-être que c’est comme un miracle qui va arriver, le ciel va exploser. Mais le soleil se lève à l’est, se couche à l’ouest; l’eau tombe du haut vers le bas; les gens vieillissent, les enfants sont plus jeunes que les vieux... Quelle simplicité! Quelle évidence ! C’est ça, le monde du zen, c’est réaliser, c’est vivre, agir selon l’évidence, et non pas agir selon des préceptes qu’on ne connaîtrait pas. Pousser un grand cri, frapper avec un bâton, ce genre de mystère, ce n’est pas ça le monde du zen. Concrètement, en toute vérité, réalité et logique, en toute rationalité, c’est là qu’est le zen. Sans doute, on a placé le zen dans le cadre des religions, mais le zen n’a rien à voir avec des idéologies ou des idées religieuses.
Je vous connais, nous sommes en contact depuis dix ans déjà. Et vraiment nous sommes mutuellement favorisés de nous être rencontrés ainsi. Donc représentez-vous votre zazen de la manière que je vous ai indiquée, et continuez absolument votre pratique, pour faire un juste zazen.
Aujourd'hui je me suis limité à des considérations générales sur la méthode du zazen. Et c’est sur ce fondement, cette base que vous, vous devez élaborer votre propre pratique du zen. Vous êtes tous différents. Il y en a qui sont gros, d’autres qui sont maigres, avec des jambes courtes... vous devez inventer, trouver votre méthode propre. Par exemple... concrètement, hausser le coussin...
Beaucoup d'entre vous ont apporté leur propre coussin. C'est très bien, c’est là l’indice que vous avez déjà votre méthode. Vous l’avez pris, bien sûr, parce que vous êtes plus à l’aise avec ce coussin, votre corps s’est habitué.
Je vous invite donc à pratiquer zazen sur la base de tout ce que je viens de vous dire en ce premier jour. Si vous ne le faites pas, je dirais que le zazen vous sera contraire.
Je me répète souvent… mais il ne faut rien penser en zazen. La tête se vide, la tête est vide comme une page blanche, le zéro des mathématiques ; en termes philosophiques, il n’y a plus ni objectivité, ni subjectivité. La nature et moi, nous ne faisons plus qu’un. C’est là le fondement du cosmos. Et vous allez réaliser ce monde, surgir dedans, grâce à la méthode que je vous ai indiquée. Après un bon zazen, votre tête est parfaitement légère, ouverte, et vous regardez le ciel bleu: voilà, vous y êtes.
Vous êtes venus depuis l’aéroport Charles de Gaulle, puis par Séoul, et vous avez bien vu, quand vous étiez dans l’avion, qu’il n’y a rien au-dessus des nuages, c’est totalement bleu, un bleu profond, sans nuage : c’est dans ce monde qu’il faut aller. Quand vous restez en-dessous de la couche; même si vous ne le voyez pas, ce monde est toujours là, là-haut. Jadis, on ne pouvait pas bien s’en rendre compte, mais maintenant, grâce aux avions, on peut voir. Mais autrefois, je crois qu’il y avait beaucoup de directeurs de méditation qui amenaient les disciples en haut des montagnes.
De temps en temps, regardez vers le haut. Faites attention où vous allez, bien sûr, ne perdez pas la route, mais regardez vers le haut. Gardez tout de même aussi les yeux au sol.
Donc d’abord, allez dans ce monde, ouvert, libre, ce ciel bleu. Est-ce que vous avez vu quelque chose d’écrit là-haut ? Est-ce qu’il y avait quelque dessin, peinture ? Non, c’était une dimension et un espace sans limite. Allez-y donc ! Faites les choses naturellement. Ayez à l’esprit cette image du mont Fuji, et installez votre respiration.
Cela dit, je vois souvent les gens en dôkusan [entretien privé avec le rôshi] qui s’efforcent de ralentir leur respiration ; ce n’est pas bien non plus. Faites les choses naturellement. Il y a bien des gens qui ralentissent trop leur respiration, et pour eux cela devient difficile. Je ne demande rien d’autre que de faire les choses naturellement. Vous faites trop souvent la respiration par la tête. Respirez aussi par la peau.
Voilà donc la méthode fondamentale pour faire le zazen.
Puisque vous êtes venus de France, profitez de cette occasion, ne la perdez pas, ne la gâchez pas. Vous avez engagé des frais pour venir au Japon, aussi, je crois. Pendant toute cette semaine, efforcez-vous de rentrer dans le zen tel que je vous ai demandé de le faire.
[1] Kenshô 見性 Littéralement : "voir sa vraie nature. kenshō désigne la première perception de la nature de Bouddha ou vraie nature (voir note suivante).
[2] Dans nature-de-bouddha le mot "nature" est à entendre dans un sens autre que celui qu'il a chez nous. Comme il est dit sur wikipedia : "Le tathāgatagarbha, "matrice" ou "embryon" de bouddha, encore appelé "nature de bouddha" ou "graine d'éveil", est le germe renfermant la nature essentielle, universelle et immortelle présente en tout être sensible, cause et potentiel d’illumination (nirvāṇa)."
[3] Le Zazengi est un texte chinois dont maître Dôgen s'est inspiré pour écrire le Fukanzazengi (Les règles universelles pour la pratique du zazen). Maître Dôgen (1200-1253) qui est à l'origine du zen sôtô. Le texte du Fukanzazengi avait été donné à tous les pratiquants des premières sesshin animées par Eizan Rôshi. Une traduction figure sur le blog :. Le Fukanzazengi, texte sur la pratique du zazen
[4] SHIGUSEIGAN : SHU JO MU HEN SEI GAN DO / BO NO MU JIN SEI GAN DAN / HO MON MU RYO SEI GAN GAKU / BUTSU DO MU JO SEI GAN JO
[5] Le bouddhisme a trois trésors : bouddha, dharma, sangha. On traduit souvent dharma par "loi" mais ce n'est pas en notre sens. Comme il est dit sur le site "zen-occidental", « Le bouddha désigne évidemment le Bouddha Shâkyamuni, le dharma, tous les enseignements et les bonnes méthodes qu'il a donné pendant les quarante ans de sa vie d'enseignant et le sangha, la communauté formée de ses premiers disciples. En sanskrit, Bouddha signifie "l'éveillé", dharma, "la loi", et sangha, "l'assemblée". »
[6] Le zendô est l'endroit où on pratique le zen, au Kaizen-ji c'est une très grande salle, et c'est là qu'a lieu aussi l'enseignement.
[7] En japonais le kanji 心 (shin) – qui vient du chinois – a ce double sens cœur et esprit. En effet, à l’origine, 心 représente le cœur-organe et fait référence au battement du cœur, car le cœur est considéré comme l’organe essentiel de la vie, source de toutes les activités (un peu comme en hébreu où le cœur est considéré comme le centre de l'homme). Par extension, shin (qui se dit aussi kokoro en japonais) fait référence à toutes les activités humaines qui concernent le cœur et l'esprit.
[8] Prononcer MOU sur l'expiration. Ce mantra est en lien avec le kôan MU dont Eizan Rôshi parle souvent. cf en particulier "Maître Jôshû : les kôans et le MU" Enseignement d'Eizan Rôshi.
[9] Voir notes 1 et 2.