Par Eizan Rôshi. Enseignement du 6e jour de sesshin 1995 : Réflexions diverses sur la mort ; et kôan "Va laver ton bol"
Voici le sixième enseignement d'Eizan Rôshi lors de la sesshin de 7 jours qui a eu lieu au Kaizen-ji à Tôkyô pour un groupe de Français du centre Assise. À partir du 2e jour l'enseignement repose sur un kôan du Mumonkan. Après le kôan MU puis "Le doigt de Gutei", puis "Bouddha lève une fleur", L'homme accroché par les dents et enfin, en ce 6è jour, "Va laver ton bol" (cas 7 du Mumonkan). N'ayant pas de note sur l'enseignement du 7è jour, c'est ici que prend fin la transcription de ce sesshin !
Dans son introduction Eizan Rôshi parle de l'évidence. Et, du fait que l'un des participants travaille dans le cadre des soins palliatifs en France, il aborde plusieurs sujets tournant autour de la fin de vie, en comparant en particulier les réactions au Japon, en France, en Amérique. Le kôan lui-même ne vient qu'après.
Eizan parle en japonais et Philippe Jordy traduit aussitôt. Cette transcription n'a été relue ni par Eizan ni par Philippe.
Une traduction du kôan avec commentaire et poème de Mumon figure en annexe, après l'enseignement.
- Lien vers l'enseignement du 1er jour : La méthode juste pour pratiquer le zazen
- Lien vers l'enseignement du 2e jour : Le kôan MU (cas 1 du Mumonkan)
- Lien vers l'enseignement du 3e jour : Voie de la parole en bouddhisme ; kôan "Le doigt de Guteï"
- Lien vers l'enseignement du 4e jour : Le kôan "Bouddha lève une fleur"
- Lien vers l'enseignement du 5e jour : kôan de L'homme accroché par les dents
- Lien vers le témoignage d'un participant au sesshin : Echo du voyage au Japon 1995 et du sesshin organisés par Eizan Rôshi au Kaizen-ji
- Lien vers tous les enseignements déjà parus : tag Enseignement Eizan Rôshi.
Enseignement d'Eizan Rôshi au 6e jour de sesshin
Réflexions diverses à propos de la mort
Kôan n° 7 : "Va laver ton bol"
Depuis que cette sesshin a commencé, nous sommes favorisés chaque jour par un temps très agréable. Le matin, les oiseaux chantent.
Tout ce que vous voyez, tout ce que vous entendez a une raison d'être. Cela dit, est-ce que par exemple la reprise des essais nucléaires par la France a une raison d'être ? En effet, nous autres, sans eau, sans air, nous ne pourrions pas vivre, à l'instant nous serions exterminés. À quel point vraiment l'homme creuse sa propre tombe, ou va à sa propre perte depuis qu'il est arrivé à construire ses armes.
Peut-être y a-t-il des cafards en France… mais vous savez, les cafards de même que les cellules cancéreuses ont une raison d'être. Du point de vue de l'homme, de ce point de vue, il faut exterminer les cafards, il faut éliminer les cellules cancéreuses qui, elles, pensent qu'elles ont raison de vivre. Pour le moins, elles sont le témoin dangereux que quelque chose, quelque part, s'est déréglé, que la vie est malade. Même chose pour les cafards : si on fait un ménage extrêmement soigneux les cafards ne peuvent s'installer. Parfois nous sommes contraints de tuer les cafards, ce qui, à l'origine, est considéré comme un crime car c'est exterminer un être vivant. Ici, à Kaizen-ji il y a des cafards, il y en a peut-être dans chaque chambre. Ils se déplacent, ils existent comme une maladie. Il faut être très clair sur ce point capital : il faudrait être dans un état où il n'y a pas cette apparition de cafards.
Nous autres, hommes, nous sommes des créatures qui considérons notre existence, notre venue sur terre comme primordiale et totalement fondée. Mais cela, c'est le seul point de vue de la créature. Pour nous qui faisons zazen, nous nous rendons compte combien cette confiance exacerbée en soi est stupide, creuse. Et le zazen est aussi un moyen de nous rendre compte de la stupidité inhérente à l'homme, de ses errements.
Tenez, prenons l'exemple des malades mentaux qui sont totalement déréglés dans leur vie, eux-mêmes n'en ont pas conscience, ils croient que ce sont les autres qui sont déréglés.
Il faut avoir cette chance de reconnaître tout cela : chaque jour, faire acte de contrition après le travail, après nos activités. Imaginons cela : si chaque être humain arrivait à faire une sesshin, ne serait-ce qu'une fois ou deux dans sa vie, à quel point la face du monde en serait changée. Il faudrait lancer un mouvement pour la propagation des sesshin dans le monde !
Réflexions diverses à propos de la mort[1]
Je reviens à l'époque Kamakura qui s'est déroulée au Japon il y a déjà sept siècles. Il y avait un moine qui s'appelait Kenkô. Il a écrit un grand chapitre de la littérature japonaise, Herbes folles[2]. Ses paragraphes étaient pour moi depuis l'adolescence ma lecture favorite. Si, en France, les pensées de Pascal ou de Montaigne sont très connues, au Japon il s'agit des Herbes folles de Kenkô. Philippe[3] devrait traduire directement ces textes en français, il y a déjà une traduction en anglais. Il y a plusieurs centaines de récits dont voici l'un qui me paraît très intéressant.
C'est une scène où un homme va vendre une vache. Il rencontre un acheteur, et prévoit avec lui de conclure la vente le lendemain. L'argent est déjà plus ou moins donné, mais dans la nuit la vache meurt. Voici donc un point où chacun a perdu quelque chose d'important : l'un sa vache, l'autre son argent. Quelqu'un entend cela et dit : sans doute le possesseur de la vache a subi une perte, mais peut-être qu'il a plutôt gagné quelque chose car tout doit mourir, et une vache comme un être humain sont appelés à la mort.
Pendant longtemps ce passage ne m'a pas inspiré de réflexion, mais plus j'avance en âge, plus il me touche directement.
Le 17 de ce mois, j'ai été contacté par le directeur d'un hôpital qui est une personne très active. Chaque mois il tient une sorte de séminaire avec 40 à 50 personnes, des médecins. Dans ce cycle de cours, je suis appelé une fois par an à faire une allocution. Cette année, le thème était : comment annoncer au malade qu'il est cancéreux ?
Est-ce qu'en France les médecins annoncent systématiquement, à 100 % aux malades qu'ils sont cancéreux ? – « Non. »
Alors, dans les quelques cas où ce n'est pas annoncé, pourquoi est-ce qu'on ne le fait pas ? – « Parce qu'ils ne le supporteraient pas. »
Et les autres alors, ils peuvent supporter ? Est-ce que vraiment le médecin pense que l'autre peut le supporter, est-ce qu'il en est persuadé ? Est-ce qu'il faut un travail d'ascèse, un travail religieux pour cette annonce ? Pensez-vous tous qu'il est nécessaire d'annoncer au patient son cancer ? Le cancer est vraiment une maladie difficile et il faut adopter un code de conduite.
Les méthodes sont différentes suivant le caractère national de chaque peuple. Il y a 10 ans de cela, j'ai lu des résultats d'une enquête menée aux États-Unis et au Japon. On demandait aux gens si, dans l'absolu, ils pouvaient choisir entre le cancer et une maladie cardiaque, qu'est-ce qu'ils choisiraient. Les Américains, à très grande majorité choisissaient le cancer, et les Japonais la maladie cardiaque. Pour les Américains en effet, avoir un cancer inguérissable cela signifie tout de même trois ou six mois, quelquefois un an de vie pour pouvoir organiser la fin de sa vie. Quant aux Japonais, ils répugnent à la souffrance et surtout répugnent à déranger les autres, et pour eux la maladie cardiaque est donc préférable avec son caractère d'instantanéité. Il y a d'ailleurs au Japon, dans le département de Nara, un temple qui est dédié aux personnes qui désirent plutôt une mort instantanée. Il y a des bus entiers de vieilles personnes qui vont faire leurs dévotions dans ce temple. On dit qu'après avoir inscrit leur nom sur un sous-vêtement, ils laissent ce sous-vêtement sur l'autel de Bouddha, ils récitent le Hannya Shingyô[4] et ils repartent ainsi contents. Ah, si tout le monde pouvait mourir de la sorte, de manière très rapide !
Un jour, parmi tous ces bus, il y avait un bus rempli de vieillards, mais avec une jeune femme. La décision de se tourner vers elle : « Mais vous qui êtes encore si jeune, c'est vraiment très intéressant de pouvoir venir à ce temple, vous souhaitez une mort rapide ? » Le vieillard fut fort surpris par la réponse : « Non, non, ce n'est pas pour moi, c'est pour mon beau-père qui est complètement malade, qui perd la tête, il faut lui changer les couches chaque jour, j'en ai marre, je voudrais qu'il meure assez vite. » Un petit peu plus loin, la route passe dans la montagne, et le bus est au bord d'un précipice, tout le monde de se pencher par la fenêtre, appelé par le vide. Et le conducteur du bus de dire : « On va bientôt arriver au plateau de la mort instantanée, mais pour l'instant, regardez, nous sommes au bord du précipice, regardez bien. » Et tous de se pencher, et le conducteur de dire « Bien sûr, si maintenant le bus plongeait, vous seriez exaucés. » Mais tous les vieux de dire : « Qu'est-ce que vous dites, mais c'est vraiment déplacé. Quelle insouciance ! »
On dit que le desservant de ce temple de la mort instantanée a vécu très vieux et qu'il est mort affligé d'une longue maladie. C'est étonnant pour un tel desservant, il aurait dû mourir rapidement ! À des gens qui étaient venus au temple, sa femme aurait dit : « Vous savez, il a du mal à tenir, il est malade depuis longtemps. C'est une épreuve, cette maladie, je vous en prie, faites bien vos dévotions et partez vite. » C'est peut-être de ma part une conclusion un peu rapide, mais il n'y a pas, semble-t-il, de la part de de ce desservant du temple de la mort instantanée, de directive pour lui-même !
Je reviens au thème principal, à ces américains notamment qui veulent une maladie assez longue pour finir leurs jours de manière à pouvoir s'organiser. Il y a peut-être aussi d'autres raisons. Donc, ou les avertir qu'ils sont affligés de telle maladie. Là-dessus, on peut considérer qu'il y a plusieurs points importants.
Tout d'abord c'est le droit du malade de savoir ce qui lui arrive, il peut avoir le kenshô de la maladie. Le malade a vraiment le droit de voir son dossier médical, ce que les docteurs disent de lui, et en France c'est acquis.
Le deuxième point pour lequel il est bon d'avertir le patient, c'est que peut-être avec l'évolution des connaissances médicales, on pourra in extremis le sauver.
Et puis, bien sûr, le troisième point concerne la partie juridique : si le médecin n'avertit pas, il risque un procès, il risque de payer des intérêts considérables. C'est le cas en Amérique où cela s'est généralisé. Est-ce le cas en France ? Non, pas encore.
Le quatrième point concerne l'attitude du malade après l'annonce de sa mort prochaine. Bien sûr ce patient va éprouver une grande douleur. Cette souffrance va se produire au niveau tant mental que physique. En général, d'ailleurs, la souffrance peut être durable sur le plan physique, mais sur le plan mental, il en va différemment – probablement que les chats ou les chiens souffrent dans leur corps, mais guère dans leur esprit –, et donc, pour s'occuper de ses soins spirituels, il y a des soins qu'on appelle "palliatifs" en France. Pour cet accompagnement jusqu'à la mort, on dit que, souvent, des prêtres ou des pasteurs viennent voir le malade sur son lit et le réconfortent, lisent la Bible, chantent des hymnes. C'est vraiment magnifique. En effet, l'hôpital est un lieu où l'on s'occupe de traiter les maladies, mais c'est peut-être aussi et surtout l'endroit où l'on meurt. Hélas, quant à nous au Japon, nous allons à l'hôpital seulement pour y mûrir, quand c'est déjà fini, qu'il n'y a plus rien à faire, et tout de suite on se retrouve dans la chambre froide ! On ne reste jamais à l'hôpital au Japon, dès qu'on est guéri, on s'en va. Je crois qu'au Japon l'attitude face à la maladie a beaucoup de retard.
Mais en vérité, dans le bouddhisme, et cela depuis des milliers d'années, il y a des textes qui s'occupent des soins à donner à l'agonisant. Parmi les très nombreux Bouddhas qui sont représentés dans le bouddhisme, il y en a un, le Bouddha Yakushi Nyoraï, celui de la médecine. Ici, bien sûr, sur l'autel, voyez le bouddha Shakyamuni mais d'autres temples, et ils sont très nombreux au Japon, sont dédiés au Bouddha Yakushi Nyoraï. C'est le Bouddha qui recueille toutes les espérances des malades qui viennent dans ses temples pour, soit demander la guérison de leur maladie, soit demander une mort paisible et sans grande souffrance. Cela correspond d'ailleurs à la représentation du Bouddha Yakushi Nyoraï : à la main gauche il a un flacon de médecine, et sa main droite est dressée. Ainsi est extrêmement bien symbolisé ce double aspect car d'un côté il donne les soins du corps par la médecine, et de l'autre côté il s'occupe des soins de l'âme, les soins spirituels. En général, autour de ces temples dédiés à la médecine, il y a des champs qui sont des champs d'herbes médicinales. Depuis très longtemps il y a ce soin de la mort, pour que cette mort se passe dans les meilleures conditions.
Autrefois, il y a assez longtemps, les moines recevaient également une formation médicale en quelque sorte, et ils pouvaient donc traiter des malades. Quand ils rencontraient un malade qui leur paraissait à l'agonie, ils lui réservaient une pièce d'à peu près une dizaine de tatamis, et le malade avait à son chevet – ou plutôt au-dessus de sa tête – un autel avec le Bouddha Amida bien décoré. On dit qu'on mettait dans la main du malade cinq filaments de couleur reliés à la main de la statue. Et autour il y avait les familiers, cinq à dix personnes qui faisaient cercle et récitaient des sûtras. Ainsi, en récitant "Namu Amida", le malade s'éteignait paisiblement. Quel beau spectacle, rien que d'y penser. Mais à l'hôpital, regardez ce spectacle d'un homme qui est livré avec un masque sur la figure ; cet homme voudrait peut-être mourir dans d'autres conditions en récitant des sûtras.
Au Japon, le moment des funérailles consiste en une sorte de veillée d'adieu.
On dit qu’au moment de mourir, les derniers mots de Kant furent : « C’est bien. » Pour pouvoir arriver à proférer ces dernières paroles, il faut s'entraîner probablement toute une vie, et c'est ce que vous faites déjà en partie.
Tout cela nous concerne, l'homme qui naît, meurt fatalement. Il ne sait même pas quand est-ce qu'il va mourir. Et là-dessus, il ne peut pas se reposer sur les autres : il ne peut pas demander à quelqu'un d'autre de mourir à sa place ! Il va mourir, c'est certain, que ce soit du cancer ou d'une autre maladie. C'est tellement évident. C'est une vérité de l'évidence, mais comme malgré tout nous ne pouvons pas l'accepter avec cette évidence, nous souffrons.
Le kôan d'aujourd'hui "Va laver ton bol"
J'en viens au kôan d'aujourd'hui qui concerne l'évidence. Le héros de ce kôan est maître Jôshu que vous avez entrevu dans le kôan MU. Il disait que pour nous, pratiquants, il y a plusieurs façons d'enseigner le zen : Lin Tsi poussait son cri, Sozan frappait sur son pupitre, Tenryu favorisait le doigt levé, un autre maître avait un bâton et frappait sur le sol. Mais maître Jôshu, lui, utilisait les mots de tous les jours, il parlait au cours de ses enseignements. Et de fait, c'est un immense maître pour nous autres zénistes. Il faut que vous soyez à sa hauteur, vous qui faites le MU constamment, que vous vous éleviez à sa hauteur prodigieuse.
On dit qu'un pratiquant de l'ascèse a demandé un jour à maître Jôshû : « Je suis nouveau venu dans ce dôjô, je suis complètement perdu, maître, je ne sais même pas quelle question je devrais vous poser. »
De fait, où qu'on aille, où qu'on arrive, quand on est impétrant dans un temple, on ne sait même pas quelle question poser. Si on savait poser une question, ce serait déjà un indice d'un certain savoir car il y a cette pratique d'interpeller, de poser des questions au maître, avec tout son cœur, tout son être, et pas seulement avec les mots de la tête, bien sûr.
Donc ce nouveau venu a fini par demander : « Avec quel enseignement pourrais-je avoir l'éveil ? » Et maître Jôshu a répondu : « Est-ce que tu as mangé ce matin ta soupe de riz ? »
Encore une fois, nous sommes dans un contexte où c'est à ce moment-là où, si on a le satori, il faut l'exprimer. L'autre, bien sûr, qui en était loin, a répondu : « Mais oui, maître, c'était bien, j'ai mangé. »
Et maître Jôshu de lui répondre : « Eh bien, puisque tu as mangé, va donc laver ton bol. »
On dit qu'à ce moment-là, le moine a connu l'éveil.
Dans le zen, au niveau des discussions, il n'y a jamais de mots vraiment difficiles. Voyez donc, il s'agit simplement, une fois qu'on a mangé, d'aller laver son bol ! C'est l'évidence.
Comme je vous l'ai dit il faut réaliser, exprimer le satori.
Si vous croyez que c'est seulement en zazen que cela se passe, c'est vraiment qu'il y a un problème. Cela concerne tous les compartiments de la vie quotidienne. Je ne fais que me répéter et j'insiste, l'enseignement du zen c'est quelque chose de concret, de pratique, de rationnel. Quand vous êtes triste, vous pleurez. Quand vous êtes gai, vous riez. Quand vous avez faim, vous mangez. Quand vous avez soif, vous buvez. C'est là, dans ces actes, que gît le kenshô. Je vous assure, quelle grande valeur, quelle grande victoire, de vivre chaque instant de la vie. C'est pour cela que l'ordinaire dans un temple est assez difficile à suivre, la succession des repas et des rites.
« Si tu as mangé, va laver ton bol. » Avec simplement ces paroles, l'autre a connu l'éveil. Il n'est bien sûr pas écrit pourquoi ni comment, ce jeune moine a connu l'éveil. Il y a là une histoire à apporter en dôkusan. Il ne faut pas que je réponde, je me limite à la question. Apportez-moi la réponse ce soir en dôkusan.
Et voici le commentaire de Mumon. On dit que tout le zen brille dans ses simples mots de Jôshu : « Si tu as mangé, va laver ton bol ». Comme ces coquillages qui, quand ils ont mangé, montrent leur ventre, le sortent… comme ces coquillages, le satori est là, visible, il s'épanouit.
Maître Hakuin apporte un commentaire en écrivant très simplement : « Mais on ne sait pas en réalité si l'autre a connu vraiment le satori, et on ne le saura jamais. »
En guise de conclusion
Au début, j'ai parlé de cette histoire de la vente de la vache. Je voulais exprimer simplement que tout – vache ou homme – est promis à la mort. Ensuite j'ai parlé de l'annonce à faire à celui qui est atteint d'une maladie mortelle, car c'est une annonce difficile à faire. L'homme est promis à la mort, il est porteur d'une sentence de mort à son propre égard, c'est tellement clair. Et l'attitude que doivent avoir les pratiquants du zen, c'est de recevoir cette vérité comme l'évidence qu'elle est, et de l'exprimer, sinon on ne peut exprimer les résultats du zazen si on n'est pas conscient à ce niveau.
Simplement, qu'est-ce qui est donc si évident ? L'évidence, ce qui est évident, répugne. Et pourtant, l'évidence, on ne peut pas la fuir. Plus on la fuit, plus on s'éloigne, plus on court après les diables. Et le zazen consiste à entraîner son cœur à réellement éprouver l'évidence tout au fond de ce qu'elle peut renfermer. Trop de gens pensent que le zen est un monde réservé aux secrets, aux mystères. Alors que : on entend, on voit, c'est cela le zen. C'est tellement simple qu'on ne peut pas le comprendre, on le détourne, on l'interprète, on ne s'en rend pas compte.
Quand je frappe, il n'y a que ce bruit, il n'y a aucun apport de quoi que ce soit : oui, c'est ce bruit, c'est tout. Il faut prendre ce bruit comme un bruit total, une vérité totale. Il faut soi-même en faire l'expérience, s'en rendre compte par soi-même.
Aujourd'hui je n'ai pas vraiment fait une discussion sur le kôan destiné aux pratiquants. Est-ce que vous, quand vous avez mangé, vous allez laver votre bol ? en dôkusan je vais vous le demander… alors, est-ce que vous allez réaliser l'éveil à ce moment-là ?
Vous allez rentrer en France, et là vous lavez vos affaires, que je sache… et pourtant vous n'êtes pas réalisés. Pourquoi ? Parce que vous manquez encore d'une conscience très profonde.
L'évidence : une journée a 24 heures, une semaine a 7 jours, il y a 365 jours dans l'année, l'hiver il fait froid, l'été il fait chaud, c'est tout, c'est l'évidence. Mais il est capital de la recevoir, cette évidence, comme une totalité, une chose totale, absolue.
Votre cœur est obscurci : la tristesse, les impuretés vous empêchent de comprendre l'évidence, vous font perdre ce sentiment.
Hier nous étions déjà au milieu du mois lunaire, la lune est sortie pure dans le ciel, mais plus exactement il y avait des nuages qui cachaient cette lune. Je vous assure que la lune est là, au-dessus des nuages. Simplement on pense que, parce qu'on ne la voit pas, elle n'existe pas. Il suffit d'un peu de vent qui chasse les nuages pour voir que la lune a toujours été là. Qu'il y ait ou non des nuages, la lune est là.
Débarrassez-vous des nuages, vérifiez bien que la lune est là toute l'année à sa place. Il suffit de cette prise de conscience. Il ne s'agit pas pour la lune de se montrer, elle se montre toujours. Mais les hommes interprètent, et ils sont persuadés que la lune n'est pas là parce qu'il y a des nuages. Avoir conscience de cela ou non, c'est tout ce qui importe. Il vous faut d'abord être intimement persuadé qu'il y a la lune. Et il vous faut être intimement persuadé que vous êtes la même chose que la lune. Vous ne devez pas fuir et faire deux de vous et de la lune. Soyez donc un. Et pour en être persuadé, faites le MU.
L'enseignement du zen, ce n'est rien d'autre qu'enseigner la vérité, expérimenter l'évidence et être convaincu que tout, partout, toujours est évident dans sa propre vie quotidienne. Il n'y a rien d'autre à ajouter et à mélanger. Je voudrais que vous compreniez bien ce point, sans introduire de confusion.
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ANNEXE. Traduction du cas 7 du Mumonkan
Énoncé du cas.
Un moine demanda à Jôshu avec sincérité : « Je viens d'arriver dans ce monastère, maître, je vous prie de m'enseigner. »
Jôshu lui demanda : « As-tu déjà mangé ton gruau de riz ? »
Le moine répondit : « Oui. »
Jôshu dit : « Alors va laver ton bol. » À ces mots le moine parvint à une certaine réalisation.
Commentaire de Mumon.
Quand il ouvre sa bouche, Jôshu montre ses tripes, il dévoile son cœur et son foie. Je me demande si ce moine a réellement entendu la vérité, j'espère qu'il ne confond pas une cloche et un pot.
Poème de Mumon.
C'est tellement clair à interpréter !
Vous retardez votre réalisation.
Savez-vous que la flamme est du feu,
Le riz a été cuit depuis longtemps.
[1] Cette partie de l'enseignement a été improvisée par Eizan Rôshi du fait que l'un des participants lui avait parlé de l'accompagnement à l'hôpital qu'il pratiquait dans le cadre des soins palliatifs en France.
[2] Aux environs de 1310 Kenkô composa Tsurezure-gusa (徒然草, Les heures oisives) qui comprend une préface et deux cent quarante-trois paragraphes
[3] Il s'agit de Philippe Jordy qui est en train de traduire en français l'enseignement qu'Eizan Rôshi donne en japonais
[4] C'est le "Sûtra du cœur" qui est très souvent récité. En particulier en sesshin on le récite plusieurs fois par jour. Cf. Hannya Shingyô (sûtra du cœur de la Sagesse transcendante) en japonais et en français.