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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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8 février 2019

Le zazen (assise silencieuse) et l'adoration du Saint-Sacrement, Article de Franco Sottocornola traduit par B Rérolle, 1996

La question traitée ici est celle de l'inculturation, c'est-à-dire « l’incarnation de la vie et du message chrétiens dans une aire culturelle concrète, en sorte que non seulement l’expérience chrétienne s’exprime avec les éléments propres à la culture en question, mais aussi que cette même expérience devienne un principe d’inspiration, à la fois norme et force d’unification, qui transforme et recrée cette culture, étant à l’origine d’une nouvelle création » comme le disait Pedro Arrupe, Père général des Jésuites en 1978.

 Franco Sottocornola est un missionnaire xavérien né en Italie en 1935. Il a passé un Doctorat de philosophie à l'Université Saint Thomas de Rome en 1963, c'est à l'Institut Catholique de Paris en 1972 qu'il devint Docteur en théologie et Maître en Liturgie. Il a enseigné la philosophie de 1962 à 1967 et fut professeur de liturgie de 1970 à 1977 à l'Institut xavérien de Parme en Italie. Il fut envoyé au Japon en 1978, fut le Supérieur Général des missionnaires xavériens et vécut au temple bouddhiste, le Seimeizan, à Kumamoto de 1986 à 1987. Il fonda[1] le Seimeizan Betsuin en 1987, où il réside à présent[2].

Jacques Breton (1925-2017) lui-même a créé le Centre Assise en le reliant à Eizan Rôshi qui est l'actuel responsable du monastère zen du Ryutaku-ji. La visée de J. Breton était différente de celle de F. Sottocornola du fait que le centre Assise se trouve en France et non au Japon.

Cet article de F. SOTTOCORNOLA est paru sous le titre "Zazen and Adoration of the Eucharist" in The Japan Mission Journal, 1995/1, pp. 44-56. La traduction française mise ici a été faite par Bernard Rérolle (prêtre mariste) et est parue dans Pro Dialogo 1996/1, pp.39-54[3].

À plusieurs reprises il est fait référence au livre de H. M. Enomiya Lassalle, Méditation zen et prière chrétienne, Cerf 1973. Le Père Lassalle (1898-1990) est un jésuite allemand qui a vécu au Japon et y est devenu rôshi. Il fait partie des pionniers du dialogue entre le christianisme et le zen. Il y a également un renvoi à un livre de du Père Kadowaki non traduit en français : Meiso no susume, Sogensha 1989 (trad. italienne de Piergiorgio Moioli: Invito alla meditatione, Ed. Paoline, Cinisello Balsamo/Milano 1992).

N B : Seule une partie des notes de F. Sottocornola a été reprise ; des notes ont été ajoutées dont certaines font le lien avec d'autres messages du blog des Voies d'Assise.

 

 

Le zazen et l'adoration du Saint-Sacrement

Article de Franco Sottocornola

Traduit de l'anglais par Bernard Rérolle

in Pro Dialogo 1996/1, pp.39-54

 

 

Les deux vocables choisis pour titre de cet article peuvent sembler non seulement très différents et sans aucune relation entre eux mais même s'excluant mutuellement. Or la pratique quotidienne de zazen et la pratique quotidienne de l'adoration du Saint-Sacrement pendant les huit années qui viennent de s'écouler m'ont convaincu du contraire[4] : non seulement il existe une relation vraiment profonde entre ces deux formes d'expérience religieuse, mais les faire se rencontrer pourrait enrichir l'une et l'autre et les allier ensemble pourrait donner naissance à une forme nouvelle de la très ancienne et très louable pratique de "l'adoration eucharistique".

Bien entendu, cette forme nouvelle d'adoration eucharistique serait d'autant plus possible et signifiante parallèlement aux autres formes, si elle est vécue dans les contextes culturels dans lesquels le zazen est connu et pratiqué aussi par des chrétiens.

Mais avant que nous puissions rapprocher l'une de l'autre ces deux formes d'expériences religieuses apparemment si différentes et même opposées, il nous faut d'abord décrire chacune séparément et nous approcher graduellement de ce que leur rencontre pourrait avoir de signifiant pour le dialogue interreligieux et pour l'inculturation de la liturgie au Japon.

 

 

 I – Le zazen (assise silencieuse)

 

Le zazen est la principale, et on pourrait même dire la seule pratique religieuse dans la tradition du bouddhisme zen. Cette pratique est bien connue aujourd'hui, même en Occident, non seulement par les spécialistes ou ceux qui étudient du bouddhisme, mais même au niveau des gens ordinaires.

Le mot zazen est souvent traduit par "méditation". Mais tandis que la méditation implique une activité mentale (celle d'un sujet à propos d'un objet), le zazen consiste plutôt à dépasser cette opposition entre sujet et objet et à refréner le "penser à quelque chose". Je préférerais traduire le mot japonais zazen par l'expression "assise silencieuse". Et dans ce cas-là, le silence ne désigne pas seulement l'absence de parole (le silence des lèvres), mais même l'absence de pensée (le silence du mental). C'est un silence profond, un silence qui vide notre être tout entier de notre ego au point qu'une nouvelle et plus profonde manière d'être conscient (awareness)  de se développer : la manière d'être conscient de (ou d'être éveillé à) notre vrai moi (true self). Si l'on dit que le zazen est une assise silencieuse, cela vient du fait que la position (ou la posture) du corps est vraiment importante pour atteindre ce but. Le corps et le mental ne peuvent pas être envisagés comme deux réalités séparées : le corps et l'âme sont deux éléments d'une seule et même "substance", une seule et même réalité. C'est pourquoi la posture du corps est très importante, même si elle n'est pas essentielle, pour la pratique de zazen. La posture classique consiste à s'asseoir bien droit sur un coussin rond, en croisant les jambes (c'est-à-dire la posture du "lotus" dans sa forme complète) ou bien seulement un pied (habituellement le pied gauche) posé sur la cuisse opposée (c'est-à-dire la posture du demi-lotus). Ceux qui trouvent ces postures trop difficiles peuvent adopter la "posture birmane" dans laquelle le pied gauche se pose le long de la cuisse droite et non pas sur elle. Cette posture a pour but de répartir équitablement le poids du corps sur trois points : les deux genoux et le bas du dos. Le corps devient "une pyramide stable et immobile" parfaitement silencieuse et pourtant intensément vivante. Lorsqu'on a appris à s'en servir, cette posture s'avère être une façon très confortable et très naturelle de s'asseoir ! Pourtant il ne s'agit encore que du commencement sur la voie du profond silence spirituel, de devenir vide de son "ego" (mu) et de s'éveiller à son véritable "moi" (satori).

 

II – L'adoration du Saint-Sacrement

 

La forme ancienne de la dévotion chrétienne envers le sacrement du corps du Christ s'est développée durant le XIIIe siècle et on a assisté davantage encore sur elle entre le XVIIe et le XIXe siècle. Pourtant, à l'origine, dès les tout premiers temps, lorsqu'on se ménageait une réserve de Saint-Sacrement, c'était dans l'intention de pouvoir en apporter aux malades qui ne pouvaient plus assister à la célébration eucharistique, et spécialement aux croyants agonisants. Puis très vite la présence du corps du Christ devint un objet de respect et d'adoration. À partir du XIIIe siècle cela développa une importante dévotion à l'intérieur de l'Église catholique, aussi bien comme forme de prière privée que comme célébration publique et liturgique.

Cette dévotion prit une telle importance dans la vie de l'Église qu'elle sembla parfois prendre le pas sur la célébration effective de l'Eucharistie. Le second concile de Vatican a demandé que la dévotion envers le sacrement de l'eucharistie redevienne plus équilibrée, que l'on place au centre de la dévotion à l'Eucharistie la célébration effective de la Sainte Cène par tous les croyants rassemblés autour du prêtre qui préside. En conséquence de cette plus grande insistance sur la messe elle-même, l'adoration du Saint-Sacrement et d'autres formes de dévotion à l'Eucharistie en dehors de la messe ont été mises de côté dans les années récentes. C'est donc aisé pour les enfants des hommes de passer d'un extrême à l'autre ! En ces matières, la position catholique a été exposée dans l'instruction Eucharisticum mysterium de 1967 et par le nouveau rituel « pour la Sainte Communion et la Dévotion Eucharistique en dehors de la Messe » publiée en 1973 (Marietti 1976: I, 899-965).

Saint Sacrement-L'adoration de l'eucharistie en dehors de la célébration de la messe a été et est encore pour beaucoup de chrétiens une partie importante de leur vie spirituelle. Bien que le centre de la liturgie chrétienne et de la vie chrétienne soit la Sainte Cène, l'adoration de l'Eucharistie en dehors de la messe peut grandement contribuer à la fois à la compréhension plus profonde, et à la fois et surtout, à sa présence dans la vie quotidienne. Cela doit être, en fait, le but principal et le fruit principal de l'adoration eucharistique de même que le Christ demeure présent dans les signes sacramentels de ce "pain rompu" en tant que "don de soi" au Père pour le monde, de même aussi ses disciples. Dans la messe, ils se sont unis eux-mêmes au sacrifice du Christ ; après la messe, en prenant encore une fois un contact corporel avec le sacrement de sa mort et de sa résurrection, ils doivent renouveler et continuer la communion avec lui, se donnant eux-mêmes comme lui au Père pour le monde. Théologiquement parlant, l'adoration du Saint-Sacrement doit avant tout être la continuation de la messe elle-même dans la vie du disciple du Christ. Le mot "adoration" comme le mot "culte" ne fait ressortir qu'un seul aspect de la signification profonde de cette prière devant le Saint-Sacrement. Si je fais ici la suggestion de pratiquer le zazen devant le Saint-Sacrement, c'est pour donner un sens plus profond à cette forme de dévotion et essayer de l'inculturer dans un pays dans lequel la tradition zen a atteint son développement le plus élevé, pour offrir du même coup un possible "point de contact" entre l'expérience religieuse chrétienne et l'expérience religieuse bouddhiste.

 

III – Adoration silencieuse

 

Comme je viens de le dire plus haut, au fil des siècles, la tradition catholique de prier devant le Saint-Sacrement a pris différentes formes, tant privées que publiques, et même liturgiques pour celles d'entre elles qui sont devenues en tant que telles des actes officiels de l'Église et pour cela réglées par des normes spéciales et s'exprimant par des rites reconnus. Mais bien évidemment, la suggestion que je vais faire ici ne concerne que la prière privée devant le Saint-Sacrement.

Il est clair que le contexte et la forme de cette sorte de prière sont laissés entièrement au libre choix et selon les besoins des personnes qui s'y engagent. Parfois des suggestions sont proposées, ou même des prières composées pour aider les individus et les groupes dans cette dévotion.

La suggestion que je fais ici pourrait être l'une d'entre elles, mais elle pointe dans une direction différente : l'une des meilleures manières de prier devant le Saint-Sacrement pourrait consister à s'asseoir silencieusement, c'est-à-dire à pratiquer zazen devant le Tabernacle. Le silence en effet a été présenté comme une part importante du culte catholique dans la constitution sur la liturgie du second concile du Vatican (n° 30). On recommande aussi des moments de silence durant le rite liturgique de l'exposition et de l'adoration du Saint-Sacrement (Eucharisticum mysterium n° 62). Mais ici, la signification et le rôle du silence serait beaucoup plus important et, en un sens, radicalement différent. La "prière silencieuse d'adoration" dont je parle ici serait le silence profond, total, renonçant à soi-même, qui est celui du zazen. Ce ne serait pas “un moment de silence entre deux lectures ou entre deux prières”, ni un silence au profit d'une méditation ou d'une réflexion, mais un silence total et profond, amenant le croyant à cette communion de cœur et à cette communion de vie avec le Christ et qui est l'un des buts, et à la vérité le but principal, de la prière devant le Saint-Sacrement (De sacra communione n° 82). Cette sorte de communion, en tant qu'elle est une profonde expérience religieuse et en tant qu'elle est une “manière d'être vivant” (way of living) exige de passer au-delà des mots, exige de passer au-delà des pensées particulières, de passer au-delà de toute représentation subjective d'objets, et de passer vraiment au-delà de toute distinction qui puisse créer une séparation entre sujet et objet, c'est-à-dire d'entrer dans le profond silence de l'esprit, là où la prise de conscience de l'ego produit un complet lâcher-prise contemplatif, ou plutôt une union mystique avec le Christ perçu comme notre véritable "moi", selon les paroles bien connues prononcées par l'apôtre Paul : « … ce n'est plus moi qui vis, mais c'est le Christ qui vit en moi » (Ga 2, 20).

Le silence total et profond du zazen peut devenir une excellente façon d'ouvrir notre cœur à cette communion profonde avec le Christ. Mais est-ce que ce ne serait pas une sorte de "syncrétisme" ? Et est-ce qu'il ne s'agit pas d'une pratique bouddhiste qui entraîne avec elle toute la conception religieuse du bouddhisme, sa conception du monde et sa conception du salut ? Comment est-ce que cela pourrait être une méthode utilisable pour la prière chrétienne ? Et qui plus est, pour une “adoration de l'Eucharistie” plus profonde et plus élevée ? N'y a-t-il pas là réellement une contradiction entre ces deux expériences religieuses si totalement différentes ?

 

IV – Une pratique chrétienne du zazen

 

Les questions qui concernent la possibilité d'une pratique chrétienne du zazen ont reçu des réponses complètes, spécialement après la lettre de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, De quelques aspects de la méditation chrétienne (dans L’Osservatore Romano, 2 janvier 1990). Cette lettre établit à juste titre que les chrétiens ont une manière d'entrer en relation avec Dieu qui est propre à eux, nourrie par leur foi au Christ. Homme ou femme, le croyant ne peut se satisfaire de formes de prière de méditation qui n'expriment pas son expérience religieuse spécifique en tant que chrétien. En ce sens, par exemple, il ne serait pas suffisant pour un chrétien de se contenter de pratiquer une forme d'expérience religieuse comme le zazen, si élevée soit-elle, sans prendre part à la célébration de la Sainte Cène ou à d'autres sacrements de l'Église. Bien entendu, c'est un cas que nous excluons ici. Encore une fois, la lettre de la Congrégation pour la doctrine de la foi met en garde contre les dangers que l'on peut rencontrer quand on pratique des formes de prière ou de méditation empruntées à d'autres religions. Cette mise en garde est donc certainement fondée sur la prudence. Car il existe des formes de prière, de méditation ou d'expérience religieuse qui, à l'évidence, ne sont pas débarrassées d'éléments inutilisables ou même inconciliables avec la foi chrétienne.

Lassalle, Méditaion zen et prière chrétienneDans le cas qui nous occupe, la pratique du zazen a été étudiée et expérimentée par un grand nombre de chrétiens, avec une préparation théologique et spirituelle sérieuse, et l'on a trouvé qu'elle était particulièrement appropriée à la foi chrétienne et à la vie spirituelle chrétienne. Bien sûr, cela suppose que l'on établisse une distinction entre zazen en tant que méthode ou en tant que moyen de vie spirituelle, et zazen en tant que rattaché historiquement et concrètement à la doctrine bouddhiste. Une telle distinction a paru possible, par exemple, au Père Hugo Enomiya Lassalle. Ce grand missionnaire, qui a passé la plus grande partie de sa longue vie au Japon, a été un pionnier en ce qui concerne l'étude et l'expérimentation des possibilités pour un chrétien de pratiquer le zazen[5].

Dans son livre Méditation zen et prière chrétienne (1973), le Père Enomiya Lassalle ne se contente pas de proposer aux chrétiens la pratique du zazen comme une forme de prière chrétienne, il compare les enseignements des auteurs mystiques chrétiens à ceux des maîtres zen, il leur trouve de frappantes ressemblances et il en arrive à la conclusion qu'il peut être profitable pour les chrétiens de pratiquer le zazen aussi bien pour la préparation de la méditation chrétienne que comme forme de méditation chrétienne à son plus haut niveau de "contemplation"[6]. En 1968, le Père Enomiya Lassalle a fondé le premier Centre Zen Chrétien du Japon, Shinmeikutsu, non loin de Tôkyô. Ce centre reste un lieu d'expérience chrétienne du zazen et un lieu symbolique de la rencontre entre zen et christianisme.

À la manière dont le Père Enomiya Lassalle explique et présente la pratique chrétienne du zazen, on ne peut y voir aucun syncrétisme. Le zazen est employé comme une méthode pour purifier le mental de toute pensée objective ou discrimine native, pour ouvrir la voie à la contemplation pure, ce qui n'engage aucune doctrine spécifiquement bouddhique, ni aucune pratique qui seraient opposée à la foi chrétienne. C'est de cette façon que nous proposons qu'il puisse être pratiqué “devant le Saint-Sacrement” en tant que forme particulièrement appropriée à cette dévotion, et même comme une forme capable d'enrichir sa profonde signification de communion avec le Christ, dans son sacrifice consécration de soi au Père pour le monde.

 

V – Expérimentation d'inculturation

 

L'inculturation de la liturgie et de la prière chrétienne n'en est encore qu'à ses débuts. Après la réforme générale de la liturgie décidée par le second concile du Vatican et devenue effective dans l'Église catholique au niveau général et universel, durant plus de 20 ans de renouveau liturgique depuis le Concile, le temps est maintenant venu de passer à une seconde étape de cette réforme, comme c'était déjà prévu par le concile lui-même (Sacramentum Concilium, nos 37-39). Le temps est venu de passer à l'adaptation nécessaire aux cultures et aux situations locales, et, là où c'est nécessaire, à une adaptation "plus profonde" ou "plus radicale" c'est-à-dire procéder à l'inculturation de la liturgie (n° 40)[7]. Un document récent de la Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements reprend à nouveau frais toute la question de la “Liturgie romaine et l'inculturation” (25 janvier 1994). Pour beaucoup de raisons, ce processus d'inculturation sera plus difficile et plus long que la première étape, que la réforme générale de la liturgie romaine. En beaucoup de régions, une recherche longue et progressive est nécessaire. Par exemple, malgré le fait que la constitution du concile sur la liturgie et le rituel romain pour le mariage prévoit explicitement et même demande l'adaptation est aussi l'inculturation de la célébration du mariage selon les coutumes et traditions des divers pays, le comité national pour la liturgie du Japon, l'année dernière, n'a été en état de fournir aucune mesure d'adaptation ou d'inculturation concrète et s'est seulement limité à la simple traduction de la seconde édition du rituel romain du mariage. Quelques suggestions avaient été faites, mais on n'avait pas encore assez de recherche ou d'expérimentation pour permettre de porter un jugement sur elles.

Dans une telle situation de commencements et de recherche, il est prudent et sage de commencer non par le sommet mais par la base pour construire la pyramide. Ainsi, par exemple, la tentative la meilleure (et de loin) pour adapter la liturgie romaine à la langue japonaise et à la situation japonaise a été, sans aucun doute, le Sôgi, c'est-à-dire le rite de funérailles approuvé ad experimentum pour cinq ans par le Saint-Siège et publié en 1993, alors que le plus regrettable échec a peut-être été la tentative d'adapter les rites d'initiation chrétienne en introduisant des changements non nécessaires et parfaitement inutiles dans ce qui est le véritable cœur de la liturgie, le Triduum Pascal.

Ainsi donc, expérimentation et recherche dans le domaine de la prière, des dévotions populaires, des expressions religieuses fondamentales, des gestes et postures corporelles (cf. Liturgie romaine et l'Inculturation n° 41) nous aident à ouvrir la voie vers des tentatives plus signifiantes et plus importantes en vue de l'adaptation et de l'inculturation en tout ce qui concerne les sacrements de l'Église.

La pratique du zazen comme une forme de prière devant le Saint-Sacrement n'est pas un problème liturgique, elle ne concerne pas directement la liturgie de l'Église, mais elle devrait contribuer grandement à l'inculturation de la vie spirituelle chrétienne au Japon. Et elle devrait certainement aider grandement au dialogue entre les différentes traditions religieuses sur ce qui touche à leur expérience religieuse, dialogue que mentionnent et proposent deux documents du Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux.

 

VI – Zazen et adoration eucharistique

 

1) “Le Corps du Christ”

Traditionnellement, le sacrement de l'Eucharistie a aussi été appelé le “sacrement du Corps du Christ”. Aussi bien dans les termes employés que dans la théologie que cela souligne, l'accent est mis ici sur le "Corps du Christ", sur la réalité de son humanité, sur son intime parenté avec notre existence humaine, matérielle, corporelle. De longs siècles de dévotion chrétienne ont souligné cet aspect de présence sacramentelle du Christ mais jamais, je pense, ils n'ont souligné à quel point il est nécessaire et bon que chacun de nous prenne conscience de sa propre réalité corporelle pendant son acte d'adoration de la présence corporelle du Christ. Apprécier en vérité en profondeur le fait que le Fils de Dieu a revêtu notre humanité, notre nature corporelle entraîne pour nous une profonde et joyeuse expérience de ce qui nous est propre : non pas d'avoir un corps mais d'être un corps. C'est dans la pratique du zazen que j'ai découvert la valeur spirituelle de mon corps humain, cet accent sur la participation corporelle dans la quête et l'expérience du salut.

Dans la prière traditionnelle devant le Saint-Sacrement, on employait généralement la posture à genoux autrefois, et naturellement on peut encore l'employer aujourd'hui. Mais, outre le fait qu'une telle posture est inconnue dans la culture japonaise, elle est maintenant devenue difficile dans beaucoup d'églises et chapelles à cause de l'absence de bancs et d'agenouilloirs. De plus, autant cette posture est bien adaptée et utile pour accentuer l'adoration (ce qui manifestement reste un aspect important de cette forme de prière !), autant elle convient moins pour faire sentir l'attitude de communion intérieure avec le Christ et son sacrifice du don de soi, elle qui souligne comme elle le fait la dualité plutôt que l'unité. Une telle posture (à genoux) peut certainement être utile pour souligner l'adoration et on en usera dans ce but, mais la posture du zazen, elle, nous conduit mieux vers la réalisation du devenir intérieurement un avec l'action de se vider de soi, et avec celle de se donner, c'est-à-dire avec la façon d'être du Christ dans le sacrement de l'Eucharistie.

Encore une fois, s'asseoir tout simplement, par exemple sur une chaise, ou adopter la posture accroupie sur un tatami japonais, serait une attitude appropriée pour la prière devant le Saint-Sacrement quand on veut lire ou méditer sur la parole de Dieu. Et dans ce cas-là, le Christ est perçu comme un enseignant, comme la parole de Dieu qui parle à ses disciples depuis le silence de cette présence sacramentelle ; et la posture en zazen peut conduire cette attitude plus loin et plus profond en invitant à parfaire l'unité, l'union, la communion avec le Christ lui-même dans son effacement de soi, dans son existence de don de soi.

L'importance que le zazen attribue au corps et la compréhension en profondeur du zazen lui-même en tant que dépassement de toute opposition sujet-objet (dans l'expérience unifiante du satori) pourrait contribuer grandement au développement de l'adoration eucharistique conçue comme un prolongement de la communion au Corps du Christ, sacrement permanent de sa mort en sacrifice et de sa résurrection corporelle.

 

2) Le silence du Christ dans l'Eucharistie.

tabernacle de la chapelle du Centre AssiseLa forme de prière devant le Saint-Sacrement que l'on suggère est, comme je l'ai dit plus haut, le silence. Mais trop souvent ce bref moment de silence est perçu comme une pause entre deux prières ou comme un moment à consacrer à la méditation et la réflexion. Et ceci est bel et bon, bien entendu ! Mais il existe un silence beaucoup plus profond, un silence total, tel que le silence du zazen, qui pourrait nous conduire à une communion plus profonde et plus pleine avec le "Christ silencieux" de l'Eucharistie.

Nous prenons trop rarement le temps de nous arrêter et d'écouter le silence du Christ dans le sacrement de l'autel mis en réserve dans le tabernacle. Le Verbe éternel de Dieu, qui s'est fait homme, qui nous a parlé pour nous révéler l'amour de Dieu, pour nous révéler Dieu comme amour, ce Verbe, dans sa mort, est devenu silencieux et ce silence profondément mystérieux demeure "audible" dans le signe de sa mort qu'est “le pain rompu” en mémoire de lui. La parole de Dieu est maintenant silencieuse. Le sacrement de son Corps est donc aussi le sacrement de son Silence. Dans ce silence, le Fils nous emmène au-delà de lui-même, jusqu'à son Père. Telle est la mission du Fils : nous conduire au Père, nous et la création toute entière. Par conséquent, si l'on dit que le Fils est la parole du Père, il faut dire aussi que le Père est le silence à partir duquel cette parole est prononcée. Ici, nos mots humains, à cause de leurs limites, sont un support bien faible pour servir le sens infini de la réalité divine, ils ne peuvent que vaguement y faire allusion.

La vraie nature du Fils, comme Fils, est d'être tourné vers le Père et de vivre pour lui. Et c'est sa mission de nous tourner avec lui vers le Père. Ainsi, il fait que le Père devient notre Père dans l'Esprit. D'une certaine manière, la Parole est tournée vers le silence et elle nous invite à nous mettre en route avec elle intérieurement en direction de ce Silence éternel, infini, qu'est le Père.

Lassale, s j, Méditation zen et prière chrétienneLe silence sacramentel du pain rompu et mis en réserve dans le tabernacle, présence de Dieu pour nous, est une invitation à aller au-delà de toutes les paroles, de toutes les imaginations et de toutes les images, au-delà de tout ce qui divise ou sépare, au-delà de tous les objets, vers une parfaite communion de vie et d'amour, celle dont les mystiques nous ont parlé. Par le Fils vers le Père dans l'Esprit, cela veut dire : par la Parole vers le Silence dans l'Amour.

Comme nous l'avons vu plus haut, le silence est la nature profonde du zazen. Le silence de la voix, le silence du mental, le silence de tout notre être dans l'action de nous vider de nous-mêmes, dans la "mort" de l'ego. Et c'est ce silence profond, radical, total qui peut ouvrir notre existence, notre être tout entier, vidé de son "être pour soi" (ou de son égoïsme,) à la parfaite communion avec le Christ silencieux du tabernacle, sacrement de la parole de Dieu qui nous emmène vers le silence du Père, dans une union mystique qui est au-delà des mots, des images et de toutes choses créées. De cette union parfaite, ou de cette communion qui ne sera pleinement possible qu'après la mort pour les êtres humains, nous pouvons avoir un avant-goût, ici sur terre, dans la contemplation mystique. Or, comme le Père Enomiya Lassalle l'a bien expliqué dans son livre Méditation zen et prière chrétienne, cette contemplation mystique peut trouver dans la pratique du zazen une excellente préparation et un début (Cf. Lassalle p. 107-197).

En ce sens, je trouve que la pratique du zazen est une voie très appropriée pour ouvrir notre vie au silence du Christ et à son mystère, et pour ouvrir notre vie à cette forme de prière devant le Saint-Sacrement puisqu'elle conduit à cette contemplation qui, selon les enseignements de tous les auteurs mystiques, est la forme suprême de toute prière, et par conséquent aussi de la prière devant le Saint-Sacrement.

 

3) La grande mort.

La présence du Christ dans le sacrement de sa mort et de sa résurrection est un signe donné au monde, le signe de son sacrifice total et définitif, c'est-à-dire de son "être-pour" Dieu et de son "vivre-pour" Dieu, réalisant le plan divin de « rassembler en lui tous ses enfants dispersés » (Jn 11, 51-52). La mort du Christ sur la croix a été le point culminant de cette "existence qui se donne" et en même temps sa pleine révélation au monde. Dans le sacrement de l'Eucharistie, le Christ est présent en permanence dans son attitude immuable, celle de se livrer pour nous à son Père. Et le signe sacramentel du pain rompu est ici pour nous rappeler cette signification profonde et fondamentale de l'Eucharistie, et pour nous inviter à demeurer dans cette attitude de communion avec la mort du Christ, la même attitude qui nous unit à cette mort lorsque nous célébrons la Sainte Cène.

La mort du Christ est le point culminant de sa "remise de soi" qui est en même temps "don de soi", c'est-à-dire qu'elle est un acte d'amour. Le texte biblique classique à cet égard est Philippiens 2, 6-11. Pour décrire l'incarnation et la mort en sacrifice du Christ, le terme employé est "devenir vide" (kénose). C'est un acte d'amour de “se donner soi-même” et pour cela de “se vider soi-même de tout ce que nous appartient en propre” pour les autres. Dans ce total abandon de soi qui est un total don de soi, le Christ nous a révélé l'amour de Dieu, nous a révélé Dieu comme Amour.

Le texte de saint Paul aux Philippiens est peut-être le texte biblique le plus souvent cité par les maîtres zen qui se sont familiarisés avec la théologie chrétienne. Ce n'est pas étonnant. Cette kénose est très aisément et très directement à rapprocher de l'idée zen de "mu", laquelle n'est autre que le but et le sens ultime de zazen.

Mu est le maître-mot de la formation au zazen[8]. Le silence profond et total de la voix et du mental n'est que le moyen, le commencement, le signe, qui pointe vers le silence radical qui exige qu'on se vide de soi-même (mu), et qui est décrit dans la terminologie zen en tant que daishi, c'est-à-dire la grande mort. Cette grande mort consiste dans le total abandon de soi-même (le faux soi-même, l'ego égoïste) dans le but de s'éveiller (satori) au vrai soi transcendant. C'est l'expérience à laquelle l'apôtre Paul fait référence dans le texte de l'épître aux Galates cité plus haut : « Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi. » Ce texte aussi est cité régulièrement par les maîtres zen qui sont familiers des Écritures chrétiennes !

Pendant le temps de sa vie terrestre, Jésus a invité à cette "grande mort" tous ceux qui veulent suivre, lorsqu'il disait : « Si quelqu'un veut venir à la suite, qu'il se renonce lui-même, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive » (Cf. Lassalle, 87, 95-96 ; et Kadowaki, 127-129). Il faut voir, je pense, dans cette pratique religieuse de la tradition bouddhiste une de ces semina Verbi dont parle le second Concile du Vatican et tant d'autres documents de l'Église après lui, semences présentes comme vraie révélation de Dieu dans les différentes religions (Ad Gentes nos 11 et 15 ; Redemptor Missio, n° 56).

La célébration de l'Eucharistie est le sacrement de la mort et de la résurrection du Christ. En elles nous sommes unis à son sacrifice, c'est-à-dire à la remise qu'il fait de lui-même au Père pour le monde. L'adoration du pain eucharistique ou prière devant le Saint-Sacrement a comme but principal de nous garder dans (ou de nous faire revenir à) cette attitude de communion intime avec le Christ et son don de soi. La pratique du zazen comme l'une des formes de prière devant le tabernacle devrait nous aider grandement à aller au-delà de l'attitude d'adoration, vers l'attitude de communion avec le Christ dans son renoncement à lui-même ininterrompu, aimant et salvifique, dans sa remise de soi au Père pour le salut du monde.

 

4) S'asseoir aux pieds du Rabbi Jésus.

Dans la tradition zen, le rôle de l'enseignant du maître (rôshi) est fondamental. L'une des caractéristiques les plus frappantes de la tradition zen, si on la compare aux autres branches bouddhistes, c'est son dédain apparent non seulement pour les autres formes de rituels ou de prières parlés, mais même pour les sutras ou les écritures sacrées du bouddhisme. Celui qui tient le rôle central, c'est l'enseignant. C'est lui qui fera réussir à ses disciples l'expérience de l'illumination, celle-là même qui est transmise par l'intermédiaire d'innombrables générations depuis l'Éveillé (Enlightened One, c'est-à-dire le Bouddha Sakyamuni).

La pratique du zazen exige que la relation entre le disciple (homme ou femme) et son enseignant soit vraiment personnelle et vitale. Cette guidance ou ce lien pourront prendre différentes façons de s'exprimer[9], mais la relation "maître à disciple" est absolument essentielle. Il ne s'agit pas d'un simple lien d'enseignant à enseigné, il faut que ce lien soit la transmission vitale par le maître de son expérience à son disciple.

Dans la pratique de la prière devant le Saint-Sacrement, on parle surtout des attitudes d'adoration et de dévotion, on ne parle pas tellement de l'attitude du disciple assis aux pieds de son maître. Et même lorsque cela arrive, lorsque nous nous plaçons nous-mêmes mentalement dans cette attitude, la plupart du temps nous adoptons l'attitude du disciple qui, à partir des paroles de son enseignant, apprend ce qu'il doit savoir et ce qu'il doit faire. Il peut arriver parfois peut-être, que nous aimions nous contenter de prendre l'attitude d'être là avec le Christ, dans un silencieux et simple échange d'amour et de communion du cœur. Mais il est probablement rare que nous nous asseyions au pied de notre enseignant Rabbi Jésus en adoptant l'attitude du disciple de la tradition zen, je veux dire l'attitude de recevoir le vrai chemin de l'être de notre rabbi, de notre enseignant, de sentir l'expérience intérieure du Père qui est la sienne et de la sentir devenir nôtre !

La relation profonde, existentielle et vitale du disciple zen assis auprès de son maître pourrait être un excellent modèle pour configurer notre attitude en prière devant le Christ dans le sacrement de son Corps.

L'Évangile nous dit que Jésus reconnaissait explicitement son rôle d'enseignant (rabbi) au milieu de ses disciples (Jn 13, 13-14 ; Mt 23, 5). Une recherche théologique récente en Asie a souligné combien ce "titre messianique" du Christ convient particulièrement bien aux cultures et aux spiritualités asiatiques. La pratique du zazen devant le Saint-Sacrement pourrait aider les chrétiens du Japon à expérimenter et à exprimer leur lien au Christ à travers un concept aussi fondamental pour la tradition religieuse d'Asie.

Pratiquer le zazen dans cette optique soulignerait le fait qu'être disciple de Jésus signifie beaucoup plus que connaître son enseignement avec sa tête ou même croire en son enseignement avec le cœur. Cela signifie devenir un avec lui, vivre l'expérience intime du Père qui est la sienne, vivre "l'amour-don-de-soi-pour-le-monde" qui est le sien. Une telle conception de la manière d'être disciple dans la tradition chrétienne, plus existentielle, plus tournée vers la pratique, pourrait très bien être l'un des principaux thèmes de l'inculturation chrétienne en Asie.

 

5) Se lever de son coussin comme bodhisattva.

Prier devant le sacrement du corps du Christ devrait nous maintenir uni à lui en prolongeant, pour ainsi dire, cette union sacramentelle, cette communion, qui est le point culminant de la messe, de la Sainte Cène. À travers la prière, la méditation, l'adoration et spécialement l'assise silencieuse (zazen) devant le tabernacle, les disciples de Rabbi Jésus continuent ou renouvellent leur communion avec le don-de-soi du Christ, avec son sacrifice, avec sa mort-et-résurrection. De la même manière qu'à la fin de la messe, ils sont envoyés pour annoncer ce qu'ils ont vu, ce dont ils ont fait l'expérience, et pour manifester dans leur vie quotidienne le mystère qu'ils ont célébré, de la même manière, lorsqu'ils se relèvent après leur prière devant le Saint-Sacrement, ils peuvent retourner sur leur lieu de travail, dans leur vie de famille, dans la vie sociale, pour vivre la communion avec le Christ dont ils ont fait l'expérience et qu'ils ont approfondi pendant leur prière.

Dans la tradition zen, il existe une expression qui signifie à peu près : « …après l'assise, levez-vous de votre coussin avec un cœur de bodhisattva ! » Le bodhisattva (bosatsu en japonais) est le symbole bouddhiste qui sert à désigner l'infinie miséricorde du Bouddha, sa volonté de sauver tous les "êtres doués de sensibilité". Habituellement le bodhisattva le plus connu est Amithâba ou Amitâyus (en japonais : Amida) qui, devenant un Bouddha, atteignant les pouvoirs infinis d'un Bouddha, fit le vœu de ne jamais entrer dans l'état parfait de nirvâna avant que tous les "êtres doués de sensibilité" soient sauvés. Ce souci et cet amour pour tous les êtres humains, et même en réalité pour toute la création, est pour un chrétien un beau symbole de l'amour de Dieu, celui que le Christ nous révèle et nous donne. Ici, une fois encore, les chrétiens pourraient se réjouir de découvrir des semina Verbi, une révélation du plan de Dieu pour le salut du monde, dans la tradition bouddhiste.

En fait, la référence à Amida n'est pas propre au bouddhisme zen. L'école bouddhiste qui fait d'Amida et de son vœu de sauver tous les "êtres doués de sensibilité" le centre de sa doctrine et de sa tradition religieuse, c'est l'École Jôdo (l'École de la Terre Pure). Une branche particulière et en quelque sorte extrême de cette école, est le Jôdo Shinshû (la Vraie École de la Terre Pure) du moine Shinran. Mais d'une manière ou d'une autre, dans la pratique commune du bouddhisme, on trouve souvent un mélange des éléments de ces différentes traditions.

Il y a un reproche que l'on fait souvent au bouddhisme en général et au bouddhisme zen en particulier, c'est celui de sembler (et historiquement cela a été souvent été le cas) davantage préoccupé de son propre salut que du salut des autres, du salut de la société ou de l'engagement social. Souvent les bouddhistes admettent à cet égard qu'ils ont à chercher un peu d'inspiration du côté des chrétiens.

Si la pratique du zazen par des chrétiens peut être une voie pour un dialogue et pour un échange d'expériences spirituelles avec les bouddhistes, et spécialement avec les bouddhistes de l'École Zen[10], alors les chrétiens invitent les bouddhistes à leur chemin vers l'illumination : le chemin du Christ pour se vider de soi et entrer en totale communion avec la Réalité absolue, cette Réalité qu'il nous révèle comme l'Amour absolu, vivant et personnel. En d'autres termes, des chrétiens qui sauraient "s'asseoir" pour "se lever" avec le cœur du Christ seraient capables de communiquer le message chrétien aux bouddhistes zen avec une particulière efficacité. Car dialoguer implique échange mutuel de témoignage et offre mutuelle des dons de chaque religion, offre des trésors de leur tradition. Et c'est le Christ qui est le grand trésor que les chrétiens souhaitent partager avec tous les êtres humains.

Dans le climat de dialogue interreligieux, l'expérience que certains chrétiens font du zazen approfondit et enrichit leur façon de prier devant le Saint-Sacrement. Cette expérience pourrait les inviter à s'approcher plus près de leurs frères et soeurs bouddhistes, elle pourrait les aider à s'engager dans ce dialogue de vie et d'expérience spirituelle tel qu'il leur est proposé par le Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux dans le document intitulé "Dialogue et Annonce".

Une chose est certaine, l'homme ou la femme qui, grâce à l'expérience d'une prière profonde et vraie, rencontre Dieu comme Moïse devant le buisson ardent sur le mont Sinaï, redescendra de cette montagne avec dans son cœur le feu de l'amour de Dieu, et deviendra un instrument de Dieu pour conduire son peuple à travers le désert, hors de l'esclavage et loin de la mort, vers le pays que Dieu lui a préparé et promis. Ce qui est nécessaire, c'est une prière qui soit vraie et profonde, c'est-à-dire une rencontre mystique avec Dieu. Et la pratique du zazen peut aider la prière devant le sacrement du Corps du Christ à être plus profonde et plus signifiante.

Cette pratique pourrait avoir aussi des conséquences significatives pour l'inculturation de la vie chrétienne au Japon et pour le dialogue avec la tradition religieuse du bouddhisme zen.



[1] « A l’époque de la création du Seimeizan Katorikku Betsuin, Franco Sottocornola venait de vivre un an avec la famille du bonze bouddhiste Tairyu Furukawa, non loin de là, dans le temple de Seimeizan-Schweitzer (Seimeizan signifiant "la montagne de la vie") dédié à… Albert Schweitzer (musicien, médecin et théologien français, Prix Nobel de la paix en 1952) ! Le P. Franco et le bonze Furukawa ont à l’époque conçu la maison de prière, Seimeizan Katorikku Betsuin, comme "la branche catholique du temple bouddhiste" éponyme. […] Les catholiques ne sont même pas 0,3% au Japon ! “C’est pour cela qu’il fallait que cette maison de prière soit ouverte à tous”, nous explique-t-il. “Les hôtes qui viennent là sont de tous horizons.” […] “On cherche à faire de l’inculturation, poursuit-il, vivre notre religiosité chrétienne dans des formes japonaises tel que le zazen inspiré par le bouddhisme, ou la nature comme lieu d’expérience spirituelle inspiré du shintoïsme.”» (D'après un article de visiteurs : http://faithbooktour.blog.pelerin.info/index.html%3Fp=985.html)

[2] « À la suite d’une tradition chrétienne très ancienne, la prière du matin à Seimeizan se déroule toujours au moment du lever de soleil : une demi-heure de prière, à l’extérieur, face à l’Orient dans l’attente du soleil levant derrière la magnifique chaîne montagneuse du volcan Aso et des collines alentour. L’été, la prière du matin commence à cinq heures et l’hiver à six heures. La prière du matin est toujours précédée ou suivie par une demi-heure de méditation assise dans la tradition zen, mais avec une explication qui permet aux participants chrétiens de lui donner une dimension chrétienne particulière. La messe est ensuite célébrée dans le hall de la prière. Elle s’inspire de la cérémonie traditionnelle du thé qui s’allie si bien à la signification et à l’esprit de l’Eucharistie. A midi, dans le hall de la prière, un court service est organisé. Dans sa structure, cette prière ressemble à un typique o-kyo ou récitation de sutras telle qu’elle est faite dans les temples Jodo Shinshu : après la récitation commune d’un texte biblique (Jn 1, 1-18), le prêtre proclame le pouvoir salvateur de l’invocation du nom de Jésus faite dans la foi (Rm. 10, 8-13). Une prière litanique est récitée ensuite avec invocation de l' "Emmanuel-Amen" d’une manière qui rappelle les nenbutsu si appréciés dans les traditions bouddhistes jodo et jodo shinshu. La réunion de prière suivante se déroule au coucher du soleil. Cette fois, nous prions face à l’ouest. Si le temps le permet cela se passe toujours à l’extérieur afin de contempler le coucher du soleil sur la mer Ariake. Avant le repos au commencement de la nuit, la communauté se rassemble une fois encore dans la petite chapelle pour la prière de la nuit et à la fin de celle-ci, sur le petit porche devant la chapelle, avec une seule chandelle éclairant la statue de bois de la Vierge Marie, nous chantons le Salve Regina. Après cela, commence le silence strict qui durera jusqu’au matin suivant après le premier repas pris ensemble et le travail du jardin ou samu fait en commun dans la tradition des temples zen. » (https://missionsetrangeres.com/eglises-asie/1993-11-16-seimeizan-1987-1992-cinq-ans-dexperimentation/)

[3] "Pro dialogo" est une publication de Pontifical Council for Interreligious Dialogue Il existe aussi une traduction italienne de cet article (Cf. http://www.shinmeizan.com/en/new/11-bibliografie/51-bibliografia-su-religioni-e-dialogo-interreligioso)

[4] Pour plus d'informations sur le centre de prière on peut se reporter à l'article de F. Sottocornola “Seimei­zan 1987-1992: five years of interreligious experience” paru dans The Japan Mission Journal, 47/2 (été 1993): 119-129.

[5] Les deux livres qu'il a publié et qui sont traduits en français sont Méditation zen et prière chrétienne, Cerf 1973 ; et La méditation comme voie vers l'expérience de Dieu (Introduction à la prière mystique), Cerf 1982.

[6] P. 224-240 de Méditation zen et prière chrétienne, Cerf 1973, ch. 10 « Le zazen comme méditation chrétienne ».

[7] À propos de l'inculturation de la liturgie avec une référence spéciale à la situation du Japon, on peut se reporter à mon article « La cérémonie du thé et la messe » dans The Japan Missionnary, Bulletin 44, printemps 1990, p. 11-14 et 24-25.

[8] "Mu" : prononcer "mou", ce terme japonais signifie "rien, vide, il n'a pas…. Ce terme est particulièrement travaillé à partir du kôan du "Mu" de Jôshû (cf. Le kôan Mu et les enseignements d'Eizan Rôshi qui est la référence au niveau de zen pour le Centre Assise à qui est dédié le blog des "Voies d'Assise" : Enseignement Eizan Rôshi). Voici ce qu'en dit le P. Lassalle : « Prenons un kôan traditionnel qu'on peut employer aussi sans difficulté pour le zazen chrétien. Il s'agit du "Mu" (rien) de maître Jôshû. Le "Mu" ne signifie ni "oui", ni "non". On le prend en ce sens contradictoire et on essaie de le comprendre. On constatera bientôt qu'il n'y a là rien à comprendre au sens logique. Dans cette contradiction, on doit à chaque souffle faire descendre de la tête dans le ventre le "Mu" et en même temps tout ce qui est encore dans la tête ; car la tête doit être vide. Cependant, cette poussée vers le bas ne se produit pas, comme on pourrait le penser, lors de l'inspiration qui est relativement courte, mais dans la longue expiration où le "Mu" est longuement prolongé : Muuuuuuuuuu, jusqu'à ce que l'air soit presque complètement sorti. […] Pour parler clair, il ne s'agit pas de comprendre ce "Mu" mais de devenir le "Mu". […] Celui à qui c'est utile peut se référer, à titre d'arrière-plan chrétien, à l'idée qu'eu égard à l'ultime et à l'absolu, Dieu est tout et le reste rien. Grégoire de Nysse dit ainsi, à propos de Ex 3, 14 “Je suis qui je suis” : “Ce que Moïse, à la lumière de la théophanie, me paraît avoir compris alors, c'est précisément qu'aucune des choses qui tombent sous les sens qui sont contemplées par l'intelligence ne subsiste réellement, mais seulement l'être transcendant et créateur de l'univers à qui tout est suspendu.” Cette manière d'employer le kôan du "Mu" ressemble aux conseils donnés dans le Nuage d'inconnaissance de prendre un mot court, qui doit être le bouclier grâce auquel on repousse profondément sous le nuage de l'oubli toute pensée qui se présentera » (Méditation zen et prière chrétienne, p. 206-207).

[9] Cf. Hugo Lassalle, Méditation et prière chrétienne, p. 89. L'une des principales différences sera si l'on utilise ou non la pratique des kôan, cf. Lassalle, Méditation p. 240-246.

[10] Des échanges ont commencé en 1979 entre moines bouddhistes du zen japonais (et d'autres bouddhistes) et moines européens. Cf. Voyage de chrétiens (J. Breton…) dans les monastère zen au Japon en 1983 dans le cadre du Dialogue Interreligieux Monastique.

 

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