"Le moine zen", exposé de Ryôsan, moine zen du Ryutaku-ji (Japon), en présence des moines de St-Benoît-sur-Loire, en 2017
Voici l'intervention de Ryôsan qui fait suite à celle de frère Étienne (voir message précédent). Il parle d'éveil – « L’éveil désigne la paix intérieure que Shakyamuni a obtenue » – et d'entrainements en zazen et dans la vie quotidienne.
Son exposé a eu lieu à l'abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire lors d'une réunion à laquelle les moines de la communauté étaient conviés, donc en présence de presque tous ces moines bénédictins. Était présent aussi le groupe du centre Assise qui était à l'origine de cette rencontre inter-monastique. La rencontre faisait suite à un sesshin zen de 7 jours animé par Ryô-san à Saint-Gervais (Val d'Oise) mandaté pour cela par Eizan Rôshi, responsable du Ryutaku-ji. On apprend ici le nom d'origine de Ryô-san : Seiryo Mizuguchi.
Yuko Murakami, japonaise, était présente lors de cette intervention et c'est sa traduction qui figure ici.
Les messages consacrés à ces rencontres :
- Présentation des rencontres entre les moines de St-Benoît-sur-Loire et Ryô-san, moine zen japonais, en 2017 et 2018
- Frère Etienne (28 août 2017 au matin) : La vie monastique
- Ryô-san (28 août 2017 au soir) : Le moine zen – c'est le présent message
- Frère Benoît (29 août 2017 matin) : La règle de St-Benoît
- Frère Etienne (27 août 2018 au matin) : Le Christ source de vie féconde et heureuse.
- Ryô-san (27 août 2018 au soir) : La Voie du zen, chemin de vie spirituelle.
- Frère Benoît (28 août 2018 matin) : Ruusbroec. Chemin d'union à Dieu.
Bonjour à tous.
Je viens du département Shizuoka au pied du Mont Fuji. Je suis moine zen Seiryo Mizuguchi. Je vous remercie de m’avoir invité à cette rencontre aujourd’hui.
Je viens de vous dire que j’étais un moine zen, plus précisément celui de l’école Rinzaï du bouddhisme japonais.
Le bouddhisme au Japon est classé en 13 grands courants, et ceux-ci sont divisés encore en 56 écoles.
Les enseignements bouddhistes ont été transmis de la Chine au Japon, et si ces enseignements ont été divisés en autant d’écoles différentes en l’espace de 1500 ans, c’est d’abord parce que chacun des moines qui sont allés en Chine pour apprendre le bouddhisme avait une interprétation propre à lui et une manière différente d’exprimer ce qu’il avait appris. Cette diversité vient également de l’époque à laquelle les enseignements ont été transmis, ainsi que de la culture différente de chacune des régions.
Je viens de vous parler de la manière d’exprimer. Dans le cas de notre école Rinzaï, la méditation zazen constitue le pilier central dans la transmission des enseignements. Parmi les 13 écoles du bouddhisme japonais dont je vous ai parlé, trois sont du bouddhisme zen.
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Mon introduction est devenue un peu longue, et comme on me l’a demandé, je vais maintenant vous parler de la vie dans le monastère zen, en vous expliquant un peu l’origine ainsi que l’objectif de cette méditation zen.
Dans l’école Rinzaï à laquelle j’appartiens, pour être reconnu comme moine, chacun est amené à passer les quelques années fixées par la règle dans le temple-monastère où il y a un dôjô consacré à zazen.
Comme chez vous, plusieurs moines vivent en communauté. Mais la vie des moines zen peut varier suivant l’école, et ce dont je vais vous parler n’est que celle de l’école Rinzaï, l’une des trois écoles du bouddhisme zen, d’un point de vue d’un jeune moine en entraînements. Merci de votre compréhension.
Il y a une maxime (qui montre l’importance de l’humilité), transmise à notre école : « Que ce soit Bouddha Shakyamuni ou Maître Daruma[1], ils sont tous en entraînements. »
Shakyamuni est le fondateur du Bouddhisme, et Maître Daruma est celui qui a transmis le bouddhisme de l’Inde vers la Chine. Bien évidemment, ils sont déjà décédés il y a plusieurs milliers d’années. Mais même ces personnes sont encore en cours d’entraînements. Voilà ce que dit la maxime.
Elle dit que notre vie quotidienne toute entière est notre entraînement. En quelque sorte, les entraînements constituent la vie quotidienne des moines zen. Tout à l’heure, je vous ai dit que zazen était le pilier des enseignements de Rinzaï. Zazen, la méditation zen en posture assise est bien sûr un entraînement à effectuer, mais la vie quotidienne est aussi un entraînement de la méditation dans l’action.
Je vais d’abord expliquer l’entraînement dans la posture assise qu’est zazen. Cet entraînement est un moyen de méditation qui aide chacun à atteindre l’éveil.
L’éveil désigne la paix intérieure que Shakyamuni a obtenue.
Shakyamuni est né il y a environ 2500 ans dans un pays qui se trouvait au Népal d’aujourd’hui. C’était un petit pays, où il est né en tant que prince.
Il grandit sans jamais sortir de ce palais luxueux. Adolescent, il commença à méditer sur son environnement où tout était beau et parfait.
Un jour il sortit du palais et vit pour la première fois le monde extérieur. Cette sortie déclencha le changement de sa vie.
Un vieillard, un malade épuisé, les funérailles d’une personne décédée, voilà ce qu’il vit dans ce monde extérieur. Pour Shakyamuni qui avait grandi dans un environnement où tout ce qui n’était pas beau lui était épargné, il eut un grand choc. En découvrant que n’importe qui, même lui, devait vivre tôt ou tard la vieillesse, la maladie et la mort, il eut honte de la suffisance avec laquelle il vivait sa vie jusqu’à ce jour-là ; il voulut trouver la voie permettant de donner la sérénité dans le cœur de tout un chacun et décida de quitter la vie laïque.
Ces souffrances ont été classées plus tard en huit catégories : en plus des 4 grandes souffrances de la naissance, de la vieillesse, de la maladie et de la mort, celles de de la séparation d’un être aimé, de faire face à un être que l’on n'aime pas, de ne pas pouvoir obtenir ce qu’on cherche, de ne pas avoir la maitrise sur les attachements produits par les différents sentiments du cœur. Shakyamuni dit que ces huit souffrances empêchent les gens de vivre la sérénité.
Afin de transcender ces souffrances, Shakyamuni continua de pratiquer plusieurs années, mais en vain. Il comprit qu’il ne pouvait obtenir la sérénité ni en s’adonnant uniquement aux entraînements ascétiques, ni avec la vie de plaisirs. Il continua ainsi de méditer durant 7 jours consécutifs, il parvint à résoudre des doutes par rapport aux 8 souffrances, à vaincre les attachements et s’éveilla ainsi à la vérité (absolue).
Nous qui vivons de nos jours aussi, nous avons différentes souffrances ou soucis, y compris les 8 souffrances citées précédemment.
Malgré que ce soit notre corps ou notre esprit, quelquefois nous perdons la maitrise sur ces derniers.
Nous faisons zazen pour nous libérer de ces souffrances et avancer vers la sérénité, non seulement nous-mêmes, mais ensemble avec les autres.
L’explication a été un peu longue, mais pour nous les moines zen, zazen est un entraînement absolument immanquable. Parallèlement, il ne faut pas oublier l’autre méditation, celle dans l’action. Les maîtres ancestraux historiques ont témoigné parfaitement de la possibilité d’atteindre la vérité au moyen de cet entraînement en action dans la vie quotidienne.
Pour cette raison, dans le dôjô où je vis actuellement, nous consacrons autant de temps au nettoyage qu’à zazen.
Il y a là également le sens de marcher sur les pas des maîtres ancestraux.
Et puis je pense que ceci est aussi le cas pour vous tous : en nous mettant dans un environnement propre bien nettoyé, nous nous sentons bien.
Mais au lieu de nous arrêter là, si nous approfondissons ces actes concrets de la vie quotidienne en les appliquant dans notre propre cœur, nous pouvons également polir notre intérieur. Tout en nettoyant le sol avec un torchon, c’est notre intérieur que nous polissons.
Pour exprimer la vérité que l’on peut atteindre avec zazen, nous utilisons quelquefois l’expression « l’unité entre le monde intérieur et le monde extérieur ».
Mais, même si on utilise cette expression, en réalité, ce n’est pas quelque chose que l’on peut apprendre uniquement avec des mots en les écoutant ou en les lisant, mais quelque chose dont on prend conscience à travers les expériences vécues avec notre propre corps. Dans ce sens, l’essentiel est de continuer à agir, que ce soit dans l’entraînement, dans la posture assise ou dans l’action.
Par exemple, supposons que nous nettoyons cette salle ensemble maintenant. Si nous nettoyons partout, d’un bout à l’autre, ce sera agréable. Mais il suffit d’un coup de vent ou d’un passage de quelques personnes pour que les poussières réapparaissent et flottent dans l’air. Il ne suffit pas de nettoyer juste une fois.
De la même façon, essayons d’imaginer que nous avons réussi à atteindre la vérité en allant jusqu’au bout dans zazen. Tout naturellement, ce résultat obtenu après les efforts sincères et concentrés, nous donne une grande émotion sans doute inimaginable. Mais si nous en restons là, l’émotion se transforme en attachement qui, lui, donne un nouveau doute ou souffrance.
Que ce soit le nettoyage ou zazen, il est normal d’accomplir ces actes, l’entraînement le plus important consiste à les continuer et à les accumuler pour nous polir le cœur.
C’est pour cette raison que l’on utilise cette maxime : « Que ce soit Bouddha Shakyamuni ou Maître Daruma, ils sont tous en entraînements. » La vie d’un moine zen consiste à continuer l’entraînement pour polir sans arrêt l’état de cœur de l’éveil et aider les gens en souffrances à trouver la paix intérieure, tout en profitant de ses expériences vécues.
Ceci est une explication complémentaire, mais nous ne pouvons pas vivre uniquement avec les entraînements.
Chaque temple au Japon accueille des familles sous ses ailes protectrices. Ces familles confient la tombe familiale à ce temple, peu importe même si le cimetière se trouve à l’intérieur ou à l’extérieur du site du temple.
Le moine qui vit dans ce temple s’occupe des cérémonies funérailles et aide les membres de la famille du défunt à faire face à l’événement malheureux, et les membres de la famille effectuent un don de gratitude pour ces services.
Nous vivons en recevant ces dons, qui nous permettent de gérer le temple, de le protéger, et d’effectuer nos entraînements.
C’était la présentation de la vie d’un moine zen, d’un point de vue d’un jeune moine en entraînements. Je vous remercie de votre attention.
Ryô-san
Moine du Ryutaku-ji