Par J. BRETON : Vivre la Pâque par les grands symboles. 5e symbole : LA CROIX
La croix est un symbole universel du fait qu'elle est composée d'une verticale et d'une horizontale. C'est seulement dans le christianisme qu'elle est mise au cœur de la tradition avec des connotations assez diverses. Le plus souvent elle y a été identifiée à la souffrance. C'est pour cela qu'une assez grande partie de l'enseignement de Jacques Breton lors de la semaine sainte a porté sur la souffrance mais aussi sur l'amour victorieux du Christ. Il a peu abordé le symbolisme vertical puisqu'il l'avait fait la veille (cf. message précédent ).
En fait, au niveau des représentations, dans les premiers siècles, il n'y avait que la figure de l'Orant(e) qui tenait lieu de croix, en l'identifiant à un homme victorieux de la mort. C'est seulement au XIIe siècle (au moment des grandes pestes) qu'on a commencé à représenter un Christ douloureux sur la croix. Depuis ce moment elle est devenue figure de souffrance. Aujourd'hui on redécouvre qu'elle est une croix de gloire puisque c'est sur la croix que le Christ ressuscite !
- Liens vers un autre message qui aborde la croix d'une autre manière : Par K. G. Dürckheim : Le symbolisme de la croix, Le coeur comme centre
Pour la présentation et les autres enseignements de Jacques Breton sur les symboles de Pâques, voir
- 1er symbole : LE CORPS et présentation
- 2e symbole : Le SOUFFLE.
- 3e symbole : l'EAU.
- 4e symbole : TERRE - CIEL.
- 6e symbole : LE VIDE (tombeau vide et autres) ;
- 7e symbole : LE FEU ;
- Lettre aux amis écrite par J. Breton au moment de Pâques ;
Introduction : les deux aspects de la croix
La croix est un symbole universel. On la trouve dans toutes les traditions religieuses, mais c'est seulement dans le christianisme qu'elle est mise au cœur de la tradition.
1. Comme symbole universel, qu'est-ce que la croix ? C'est essentiellement une verticale et une horizontale. Elle est inscrite au fond de nous-mêmes, c'est un archétype de l'homme.
- la verticale réunit en nous la terre et le ciel, donc les deux pôles de notre nature. Vivre la verticale, ce n'est pas évident, c'est accepter l'enracinement dans la terre, c'est puiser à la source qui nous fait vivre afin de monter vers le ciel à partir de là.
- L'horizontale, elle, est l'ouverture à tous les points cardinaux. Cette horizontale nous ouvre à toute l'humanité. C'est le côté horizontal de l'homme qui lui permet de communiquer à tout ce qui l'entoure.
Dans le christianisme les deux dimensions sont importantes et présentes.
2. Le christianisme fait aussi de la croix le symbole de la mort et de la vie puisque c'est sur la croix que le Christ est mort, d'une mort donnée, d'une mort qui est pour la vie[1], c'est donc là qu'a lieu la résurrection[2].
La raison d'être de toutes les grandes traditions religieuses, c'est d'aider l'homme à passer de la mort à la vie. Elles se rendent compte que la mort et la souffrance sont inscrites dans la vie humaine, la question étant de voir comment, devant cette mort et cette souffrance, l'homme peut trouver la vie, la joie et la paix. Cependant, quand vous aurez trouvé au fond de vous-même cette joie et cette paix, cela ne veut pas dire que vous n'aurez pas d'épreuves, mais elles n'auront pas la même portée, la même absurdité.
I – Quelles réponses donne la Bible au mystère de la souffrance ?
1) Que dit l'Ancien Testament ?
● Le mystère de la souffrance et de la mort.
Je voudrais davantage insister aujourd'hui sur le scandale de la souffrance et de la mort pour nous aider petit à petit à entrer dedans.
La Bible n'évacue pas souffrance et mort. Les psaumes sont souvent des supplications et la souffrance est présente tout au long de la Bible suscitant des interrogations : comment se fait-il que l'impie soit heureux et que le juste soit malheureux ? Comment se fait-il que celui qui est fidèle à Dieu passe par tant de souffrance alors que d'autres puissent jouir de la vie ? L'homme a été créé pour être heureux, comment se fait-il qu'il passe par tant d'épreuves ?
Bien sûr, on va dire que la cause de la souffrance et de la mort, c'est le péché, mais la Bible, quand elle se penche là-dessus, parle aussi des causes naturelles, par exemple la sécheresse, les tempêtes et puis les guerres, la maladie, la vieillesse. On a beau dire : « c'est à cause de », finalement il ne faut pas se leurrer, la souffrance et la mort restent un scandale.
● Que dit l'Ancien testament à propos des souffrances, des épreuves ?
La première chose qui apparaît souvent dans l'Ancien Testament, c'est que la souffrance est un grand moyen de purification : « Dans tout le pays, dit YHWH, les deux tiers seront exterminés, périront, Et l'autre tiers restera. Je mettrai ce tiers dans le feu, Et je le purifierai comme on purifie l'argent, Je l'éprouverai comme on éprouve l'or. Il invoquera mon nom, et je l'exaucerai; » (Zacharie 13, 8-9). Le feu permet de dégager toutes les impuretés et de faire apparaître ce qui est essentiel…
Une autre chose qui apparaît lorsqu'il y a une menace de destruction pour le peuple, c'est l'intercession. Par exemple, lors de l'Exode Moïse va dans la montagne recevoir les instructions de Dieu, ce qui va constituer l'alliance, et repart avec les deux tables du témoignage contenant les dix paroles gravées dans la pierre par le doigt de Dieu, dans lesquelles il est dit « Tu n'auras pas d'autres dieux… » Mais comme il reste un peu trop longtemps dans la montagne, le peuple construit un veau d'or pour mettre Dieu à sa portée. Mais Dieu a vu cela et dit à Moïse de descendre en ajoutant : « Ma colère va s'enflammer contre eux, et je les consumerai » (Ex 32, 10). Moïse intervient une première fois et Dieu se repend. Puis Moïse descend, il essaie de mettre de l'ordre, mais ça ne marche pas, et il remonte voir Dieu, et intercède pour de nouveau pour le peuple : « Pardonne maintenant leur péché! Sinon, efface-moi de ton livre que tu as écrit.. » (Ex 32,32). Moïse est prêt à donner sa vie, et à cause de cela Dieu va sauver le peuple.
Le livre de Job est le grand livre de l'interrogation sur la souffrance. Job est l'homme intègre par excellence. Devant les souffrances qu'il endure, ses amis lui disent : « si tu souffres maintenant, c'est que tu as péché… » mais Job n'accepte pas leur interprétation. Là on se rend compte que la souffrance est une épreuve par excellence. Tout le livre de Job est victoire sur la souffrance injuste.
2) Que dit le Christ sur la souffrance et la mort ?
Je voudrais maintenant insister sur : qu'est-ce que le Christ vient nous dire sur cette souffrance ?
Tout d'abord il faut remarquer que dans sa vie il est présent à la souffrance de l'homme : on le voit pleurer quand il découvre la femme qui vient de perdre son fils, il pleure à la mort de son ami Lazare… Mais on voit qu'il est là pour vaincre la souffrance et la mort, il ne se contente pas de pleurer : il ressuscite le fils de la veuve de Naïm, il guérit, il soulage des gens. Le Christ manifeste que Dieu désire que l'homme soit pleinement heureux. Même à la dernière Cène, le Christ dit : « Je vous ai dit ces choses, afin que ma joie soit en vous, et que votre joie soit parfaite » (Jean 15, 11). Donc Dieu veut le bonheur de l'homme, mais il ne dit pas à ses apôtres qu'ils ne vont pas souffrir, on sait d'ailleurs qu'en général ils vont mourir martyrs, donc passer eux aussi par la souffrance. Ce qui est important pour nous, c'est que le Christ va donner à la souffrance et à la mort le sens d'être un moyen de libération, de transformation, d'ouverture à la joie et à la vie.
● Le mystère de la mort du Christ.
On ne peut aborder le mystère de la mort et de la souffrance si l'amour n'est pas présent. Le mystère de la mort du Christ est essentiellement un mystère d'amour, et vouloir l'aborder de manière intellectuelle (théologique) ou philosophique, ce serait aller à l'encontre de ce mystère. C'est l'amour profond qui seul peut nous faire entrer dans le véritable sens de la souffrance et de la mort.
L'homme peut échapper à ce problème est en lui : l'homme souffre, l'homme peine, l'homme est en conflit, l'homme vit des ruptures, l'homme vit la mort. Il peut fuir la mort – et c'est ce qu'il fait souvent –, il peut se rebeller, il peut chercher des compensations de toutes sortes, mais il ne peut pas passer à côté de la mort car elle fait partie intégrante de sa vie. Bien sûr, on peut se résigner – et c'est ce qui est arrivé trop souvent dans la vie chrétienne –, « c'est comme ça ! » On se résigne car ça fait partie de notre vie, mais finalement ça reste quelque chose de profondément absurde et à l'encontre de tout ce qui, en nous, est désir et appel. Nous sentons trop bien que notre désir c'est être, notre désir c'est de vivre, notre désir c'est de faire vivre les autres.
● Qu'est-ce qu'aimer ?
J'ai dit qu'on ne peut aborder le problème de la souffrance et de la mort sans l'amour, et on peut se poser la question : qu'est-ce qu'aimer ?
Par exemple, si vous lisez l'évangile de Jean, comment introduit-il la passion, la mort et la résurrection ? La première chose qui vient c'est : « Il nous a aimés jusqu'à l'extrême de l'amour » (d'après Jn 13). C'est cet extrême de l'amour qui allait lui faire vivre cette passion, cette mort et cette résurrection.
De l'amour, on en a quelques idées par les amitiés que nous vivons, par l'amour conjugal, par l'amour d'une mère pour son enfant… Mais l'amour véritable ne peut réellement prendre toute son amplitude que s'il devient un amour divin : « Mon commandement, c'est de vous aimer les uns les autres comme moi-même je vous ai aimés » (Jn 13, 34).
C'est cet amour qui nous est donné, qui est au cœur de nous-même, car nous croyons profondément – et il y en a qui en ont fait l'expérience – que l'Être est au cœur de toutes choses, au cœur de tout homme. L'Être est essentiellement amour, et nous ne pouvons vivre en tant qu'homme, en tant qu'homme réalisé que si nous puisons au fond de nous-même, dans l'Être d'amour qui y est présent. Cet amour, c'est comme un souffle puissant, comme une dynamique profonde qui entraîne, qui unifie tout l'homme, qui rassemble l'homme tout entier pour l'ouvrir de plus en plus, afin qu'il puisse entièrement se donner. Le Christ va jusqu'à dire « Corps livré pour vous ».
Notre corps tout entier, avec son affectivité, sa sensibilité, sa sexualité, tout ce qui nous constitue, il faut qu'il soit complètement repris par ce dynamisme divin pour être disponible. Et nous avons une responsabilité dans cet amour : l'amour nous demande un "oui". En effet l'amour est de l'ordre de notre volonté comme il est de l'ordre de notre intelligence. L'amour est humain dans ce sens-là, et donc notre volonté y a sa part. Il faut nous ouvrir à cette dynamique profonde de l'amour.
Nous ne pourrons nous ouvrir à cet amour lorsque nous serons capables de dire non pas « ce que je veux » en entendant par là "mon être extérieur", mais « ce que tu veux » en entendant par là "mon être profond". Il s'agit d'un "oui" total à ce qui est au fond de moi-même car c'est cela qui va m'aider à réaliser ce que je suis pleinement. Au départ le "oui" à cette "totalité de ce que nous sommes" demande une espèce de renoncement à une volonté intérieure, mais c'est cela qui va nous permettre de vivre la réalité de l'amour divin qui est au cœur de nous-même. Ça peut être quelquefois douloureux.
Le "oui" à l'amour est d'abord de l'ordre de la volonté, mais c'est aussi de l'ordre de l'intelligence. Votre intelligence reste souvent encore trop intellectuelle, en dehors de la réalité, et il s'agit qu'elle prenne sa source dans votre cœur profond. L'intelligence du cœur est seule capable de vous faire connaître qui vous êtes : connaître vos faiblesses, vos fragilités, vos limites, mais aussi connaître vos potentialités. Et c'est alors que vous serez capables de reconnaître chez l'autre ce qu'il est.
Notre intelligence intellectuelle reste sur le plan des apparences, et seule l'intelligence du cœur qui s'enracine dans l'amour est capable réellement de faire découvrir la réalité que nous sommes et la réalité de l'autre. Il n'y a pas d'amour sans connaissance, il n'y a pas de connaissance véritable sans amour.
« Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n'ai pas l'amour, je suis un airain qui résonne, ou une cymbale qui retentit. Quand j’aurais le don de prophétie et que je connaîtrais tous les mystères et toute la science, quand j’aurais la plénitude de la foi, une foi à transporter des montagnes, si je n’ai pas l'amour, je ne suis rien. Quand je distribuerais tous mes biens en aumônes, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai pas l'amour, cela ne me sert de rien. L'amour est longanime ; l'amour est serviable ; il n’est pas envieux ; l'amour ne fanfaronne pas, ne se gonfle pas ; il ne fait rien d’inconvenant, ne cherche pas son intérêt, ne s’irrite pas, ne tient pas compte du mal ; il ne se réjouit pas de l’injustice, mais met sa joie dans la vérité. Il excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout. L'amour ne passe jamais. Les prophéties ? Elles disparaîtront. Les langues ? Elles se tairont. La science ? Elle disparaîtra. Car partielle est notre science, partielle aussi notre prophétie. Mais quand viendra ce qui est parfait, ce qui est partiel disparaîtra. Lorsque j’étais enfant, je parlais en enfant, je pensais en enfant, je raisonnais en enfant ; une fois devenu homme, j’ai fait disparaître ce qui était de l’enfant. Car nous voyons, à présent, dans un miroir, en énigme, mais alors ce sera face à face. À présent, je connais d’une manière partielle ; mais alors je connaîtrai comme je suis connu. Maintenant donc demeurent foi, espérance, amour, ces trois choses, mais plus grande que les trois, c’est l'amour.» (1 Cor 13, 1-13)
Saint Paul exprime là ce que nous avons à vivre.
II – Symbolismes de la croix en christianisme
La question qu'on peut se poser c'est : pourquoi la croix du Christ, si cet amour est là, présent à nous-mêmes ?
Je dirai que, si le Christ est mort sur une croix, c'est entre autres parce que la croix est le grand symbole.
1) À l'image de l'arbre, il faut puiser dans l'amour pour s'ouvrir au ciel.
D'abord la croix c'est l'arbre – l'arbre de la croix. Or l'arbre s'enracine profondément dans la terre, et, à partir de la terre il s'ouvre petit à petit vers le ciel et ouvre ses branches pour qu'elles puissent servir d'ombrage et de paix à ceux qui viennent s'y reposer, y compris aux petits oiseaux.
De même que l'arbre s'enracine, il nous faut puiser dans l'Être, puiser dans l'amour : « Demeurez en moi, et je demeurerai en vous… Comme le Père m'a aimé, je vous ai aussi aimés. Demeurez dans mon amour. (Jean 15, 4 et 8) autrement dit : “Demeurez dans mon amour comme mon amour demeure en vous”.
Pour moi, l'enracinement, c'est, à certain moment de votre journée, être comme un petit enfant qui se repose dans le cœur de sa mère : être ce petit enfant qui se repose dans le fond de lui-même, dans cet être d'amour qui est en lui, s'en imprégner ; c'est se laisser aimer, c'est faire que tous les êtres puissent vivre de cet amour divin… demeurer dans cet amour, s'y plonger comme on plonge dans l'eau de la mer, se baigner dans ce feu de l'amour divin qui petit à petit va transformer votre cœur. L'enfant s'abandonne tel qu'il est, avec ses limites, avec sa pauvreté, avec sa misère, avec tous les conflits, avec tout ce qu'il est… Avec tout ce qui pèse en vous, soyez capables de vous remettre entièrement dans ce feu de l'amour divin pour qu'il puisse consumer en vous tout ce qui empêche, fait obstacle à votre vie profonde.
Voici ce que dit le prophète Osée :
« Quand Israël était jeune, je l’ai aimé, et d’Égypte j’ai appelé mon fils. Ceux qui les appelaient, ils s’en sont écartés ; c’est aux Baals qu’ils ont sacrifié et c’est à des idoles taillées qu’ils ont brûlé des offrandes. C’est pourtant moi qui avais appris à marcher à Ephraïm, les prenant par les bras, mais ils n’ont pas reconnu que je prenais soin d’eux. Je les menais avec des attaches humaines, avec des liens d’amour, j’étais pour eux comme ceux qui soulèvent un nourrisson contre leur joue et je lui tendais de quoi se nourrir. […] Mon cœur est bouleversé en moi, en même temps ma pitié s’est émue. Je ne donnerai pas cours à l’ardeur de ma colère, je ne reviendrai pas détruire Ephraïm ; car je suis Dieu et non pas homme ; au milieu de toi, je suis saint : je ne viendrai pas avec rage.» (Osée 11, 1-9)
2) Notre chemin éclairé par la croix du Christ.
● La croix comme scandale pour le Christ.
Par ailleurs, du temps du Christ, la croix est aussi le supplice, le gibet, le scandale par excellence. Le Christ est mort sur une croix, prenant ainsi ce qu'il y a de plus douloureux, et aussi de plus infamant puisque seuls les esclaves mouraient sur la croix, les citoyens moins par l'épée. De plus c'est la mort du Christ et la mort la plus injuste qui soit puisque c'est la mort de l'innocent par excellence, la mort de l'enfant du Père, la mort de celui qui vient nous sauver.
Pourquoi le Christ n'est-il pas mort comme les prophètes ? Par exemple Elie a été emporté au ciel… Je dirais que le Christ est l'image de Dieu lui-même, il a voulu non seulement partager toutes les souffrances de l'homme, aussi prendre sur lui-même toutes les souffrances de l'homme. Vous connaissez le passage du serviteur souffrant qui se trouve dans le livre d'Isaïe :
« Qui donc a cru à ce que nous avons entendu dire ? Le bras du Seigneur, en faveur de qui a-t-il été dévoilé ? Devant Lui, celui-là végétait comme un rejeton, comme une racine sortant d’une terre aride ; il n’avait ni aspect, ni prestance tels que nous le remarquions, ni apparence telle que nous le recherchions. Il était méprisé, laissé de côté par les hommes, homme de douleurs, familier de la souffrance, tel celui devant qui l’on cache son visage ; oui, méprisé, nous ne l’estimions nullement. En fait, ce sont nos souffrances qu’il a portées, ce sont nos douleurs qu’il a supportées, et nous, nous l’estimions touché, frappé par Dieu et humilié. Mais lui, il était déshonoré à cause de nos révoltes, broyé à cause de nos perversités : la sanction, gage de paix pour nous, était sur lui, et dans ses plaies se trouvait notre guérison. Nous tous, comme du petit bétail, nous étions errants, nous nous tournions chacun vers son chemin, et le Seigneur a fait retomber sur lui la perversité de nous tous. Brutalisé, il s’humilie ; il n’ouvre pas la bouche, comme un agneau traîné à l’abattoir, comme une brebis devant ceux qui la tondent elle est muette ; lui n’ouvre pas la bouche. Sous la contrainte, sous le jugement, il a été enlevé, les gens de sa génération, qui se préoccupe d’eux ? Oui, il a été retranché de la terre des vivants, à cause de la révolte de son peuple, le coup est sur lui. On a mis chez les méchants son sépulcre, chez les riches son tombeau, bien qu’il n’ait pas commis de violence et qu’il n’y eut pas de fraude dans sa bouche. Le Seigneur a voulu le broyer par la souffrance. Si tu fais de sa vie un sacrifice de réparation, il verra une descendance, il prolongera ses jours, et la volonté du Seigneur aboutira. … » (Isaïe 53, 1-10)
Donc le Christ en croix c'est Dieu lui-même qui prend sur lui la souffrance du monde entier.
● Notre croix à nous…
Mais nous-mêmes, ou est-ce que nous en sommes ?
Très souvent nous sommes dans les conflits de toutes sortes. Or, si nous étions fidèles à ce qui est au fond de nous-mêmes, si nous étions fidèles à cette dynamique qui est le divin en nous, si nous étions ancrés en lui, nous n'aurions peut-être pas tous ces conflits qui nous traumatisent, qui nous conduisent loin de lui dans la peine ou même au-delà. Il faut comprendre que, dès que nous quittons cet enracinement dans notre fonds, nous sommes repris par notre volonté propre, par le côté extérieur de nous-mêmes, par notre affectivité, par tout ce qui en nous n'est pas encore en place. Et à ce moment-là nous devenons conflictuels pour les autres car une volonté qui ne s'enracine pas au cœur, une intelligence qui ne puise pas au cœur, devient possessive, dominatrice, indifférente, et finalement est cause pour nous de souffrance.
Ce que je voudrais surtout vous dire aujourd'hui, c'est que quand on commence à s'ouvrir à l'amour divin, quand on commence à aimer véritablement, c'est amour n'a pas de fin. Autrement dit, plus vous aimerez et vous aurez encore soif d'aimer davantage. L'amour n'est pas une chose qui se limite, l'amour divin est illimité, il prend l'être tout entier. Quand on commence à vivre l'amour à la suite du Christ, on n'a plus qu'un désir, c'est que tous les hommes soient sauvés, que tous les hommes soient capables d'aimer, qu'ils puissent retrouver en eux la paix profonde, la joie de sentir qu'il y a en eux une présence continuelle qui peut leur donner ce qu'ils attendent... savoir que lorsqu'on s'ouvre à cet amour, on retrouve sa place, son sens.
Et on ne peut contempler la croix du Christ, on ne peut vivre l'enracinement dans la croix du Christ si on ne se laisse pas saisir de l'intérieur par ce désir et cette soif du Christ pour les autres. Si nous nous laissons saisir, cela nous donnera une joie immense, la joie de pouvoir être pour les autres une source de paix, d'unité, de vie, de vérité.
À ce moment-là on est prêt aussi, à accueillir un peu la souffrance. Et d'ailleurs, quand vous commencez à vivre davantage une vie plus vraie, vous rencontrerez la haine, l'incompréhension, l'injustice, et vous serez beaucoup plus sensible à tout ce qui se passe dans le monde qui nous entoure. Tout cela vous fera souffrir jusqu'au fond de vous-même, mais loin de rester enfermé dans votre souffrance au plan émotif, au plan de votre sensibilité, vous l'accueillerez par le Christ, puisque lui-même a tout pris. Donc ne pas s'enfermer dans la souffrance des autres, mais essayer de la vivre jusqu'au fond pour que, par le fond et dans le Christ qui est mort, vous puissiez être ainsi pour les autres une source de salut. La souffrance et la mort ne peuvent retrouver leur sens que si elles sont vécues jusqu'au fond dans l'Être divin, et alors, à ce moment-là, elles deviennent sources de résurrection, sources de vie. Mais tant que vous restez enfermés dans la souffrance du monde, vous êtes obstacle, vous n'êtes pas le canal par lequel la vie peut passer. Le Christ a pris sur lui la souffrance du monde, il a pris sur lui les refus du monde, et vous, à partir du moment où vous vous ouvrez, vous ne pouvez plus rester indifférents à cela.
Dans le Psaume 50 il est dit : « Le sacrifice qui plaît à Dieu, C’est un esprit brisé ; Tu ne repousses pas, ô mon Dieu, un cœur brisé et broyé. » Que signifie ce cœur brisé et broyé ? C'est que votre cœur est actuellement encore limité, refermé et votre corps aussi ; alors il faut que tout cela se déchire, s'ouvre, s'ouvre de plus en plus, et cela ne se fait pas sans peine. Mais quand vous serez pris par la dynamique profonde, toutes ces souffrances vous paraîtront superficielles par rapport à la réalité que vous êtes en train de vivre.
Cependant il est impossible de vivre la souffrance et l'amour si on n'est pas animé de l'intérieur.
Et justement la croix est là simplement pour vous rappeler que vous êtes habité intérieurement par cet amour du Christ qui est là présent en vous. C'est lui qui va vous imprégner de plus en plus pour vous donner la vie, pour vous ouvrir. Et à ce moment-là, votre corps, votre cœur, votre intelligence, votre volonté seront animés par le feu de l'amour divin qui pourra se répandre dans les autres. C'est seulement à ce prix-là que vous pourrez remettre de l'ordre en vous, remettre de l'unité en vous, remettre de la paix en vous, et tout prendra sens.
L'Être vous prend tel que vous êtes, comme un petit enfant. C'est avec vous qu'il veut vous aider à retrouver ce que vous êtes profondément, à savoir "fils de l'amour". Et alors, là où il y a de la haine, essayez de mettre de l'amour ; là où il y a de l'injustice, essayez de mettre plus de justice ; là où il y a de l'incompréhension, de l'ingratitude, essayez de mettre un peu de connaissance ; là où il y a du mensonge, essayez de mettre un peu de vérité. À travers votre travail, à travers votre quotidien, essayez de mettre un peu de cet esprit-là.
Voici pour finir un passage de saint Paul qui est magnifique.
« C'est pourquoi je fléchis les genoux devant le Père de qui toute paternité dans les cieux et sur la terre tire son nom. Qu’il daigne, selon la richesse de sa gloire, vous armer de puissance, par son Esprit, pour que se fortifie en vous l’homme intérieur, qu’il fasse habiter le Christ en vos cœurs par la foi ; enracinés et fondés dans l’amour, vous aurez ainsi la force de comprendre, avec tous les saints, ce qu’est la largeur, la longueur, la hauteur, la profondeur... et de connaître l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance, afin que vous soyez comblés jusqu’à recevoir toute la plénitude de Dieu. À celui qui peut, par sa puissance qui agit en nous, faire au-delà, infiniment au-delà de ce que nous pouvons demander et imaginer, à lui la gloire dans l’Église et en Jésus Christ, pour toutes les générations, aux siècles des siècles. Amen.» (Éphésiens 3, 14-21)
[1] « Pour cela le Père m'aime de ce que je pose ma vie en sorte que je la reçoive à nouveau Personne ne me la prend mais je la pose de moi-même. J'ai l'accomplissement de la poser de moi-même, et j'ai l'accomplissement de la recevoir de nouveau ; j'ai reçu cette disposition d'auprès de mon Père» (Jean 10, 17-18)
[2] C'est surtout dans l'évangile de Jean qu'il est indiqué que la résurrection a lieu sur la croix. En effet Jésus l'annonce : « Quand j'aurai été élevé de terre (donc sur la croix), je tirerai tout à moi…. Il parlait du mode dont il allait mourir » (Jn 12, 32-33) Et à la croix pour dire qu'il meurt saint Jean dit :: « Il livra) le souffle (l'esprit)» (Jn 19, 30) Dans les premiers siècles la croix n'est pas représentée comme telle, elle est implicite dans les représentations de l'Orant, que ce soit les trois enfants dans la fournaise ou Daniel dans la fosse aux lions… cela illustre le fait qu'on ressort indemne d'une situation périlleuse ; la situation périlleuse c'est la condition de notre quotidien. Elle a donc le double sens de croix de souffrance et de croix glorieuse.