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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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8 avril 2019

Par J. BRETON : Vivre la Pâque par les grands symboles, 1er symbole : LE CORPS

Dans cet enseignement Jacques Breton, en 1ère partie parle de notre corps en un sens large : « Quand je dis "corps"... cela concerne ce qui est relié à notre corps, c'est-à-dire nos sens, notre respiration, notre regard, notre affectivité, notre sensibilité, notre sexualité... Il s'agit, pour nous, de faire que ce corps devienne symbole. Or il est symbole quand il est présence… Je vais développer trois points à ce sujet. 1) Apprendre à accueillir son corps 2) Faire vivre son corps 3) Le corps comme relation. » En 2ème partie il aborde le corps mystique, et en 3ème partie il précise le symbolisme de parties du corps (bouche, bassin, colonne vertébrale, mains, pieds).

 Il s'agit d'un enseignement qu'il a donné tous les matins lors de la semaine sainte où il a abordé les principaux symboles (corps, souffle, eau, croix, feu…). L’après-midi il y avait reprise de ce symbole dans un travail dans l’esprit de K. Graf Dürckheim, à travers un texte mythique ou un conte, le dessin méditatif et l’argile. Il y avait par ailleurs des temps  de zazen (assise zen). Comme prêtre J. Breton célébrait les offices du jeudi saint et du vendredi saint ainsi que la veillée pascale. Mais J. Breton est décédé en 2017 et cette session n'est plus proposée.

Le premier enseignement portait toutjours sur le corps. La trame de fond vient de la session 1989, des choses proviennent aussi des sessions 1988 et 1990.

Remarques : Tous les titres secondaires ont été ajoutés pour publication sur le blog. À noter que J. Breton évite souvent de prononcer le mot "Dieu" et lui substitue le mot "Être" comme le faisait Graf Dürckheim et d'autres.

Liens vers quelques messages du blog :

Pour  les autres enseignements de Jacques Breton sur les symboles de Pâques, voir :

 

 

LE CORPS

 

 

Introduction

 

Le corps est le premier symbole, c'est sur lui que reposent tous les autres. C'est d'autant plus étonnant que, dans la tradition chrétienne, le corps a été méprisé, rejeté. Et je pense que ce n'est pas pour rien que la religion chrétienne est tombée dans une espèce de sentimentalisme, d'idéologie, d'intellectualisme, de moralisme, parce que le corps n'a plus joué son rôle symbolique. C'est par l'Orient où le corps n'a pas la même fonction, que nous avons retrouvé la symbolique du corps, ce qui est quand même assez extraordinaire !

 

statueEt quand je dis "corps", je ne parle pas seulement du corps physique. Cela concerne ce qui est relié à notre corps, c'est-à-dire nos sens, notre respiration, notre regard, notre affectivité, notre sensibilité, notre sexualité. Tous nos sens reposent sur le corps, même notre pensée repose sur le cerveau. En nous, tout repose sur des organes sur lesquels notre personnalité se construit. Et pourtant, nous avons la possibilité de créer cette rupture, c'est cela qui est cause de nos désordres.

 Il faut comprendre que c'est le corps qui nous relie profondément à l'Être, à ce que nous sommes, et je dirais, à la limite, à la réalité. Car, en fait, ce qu'il y a de plus réel dans ce monde, c'est l'Être divin sur qui repose toute la réalité. Si je me coupe de l'Être divin, je me coupe de la réalité.

Donc vivre mon corps en tant que symbole, c'est ce qui va me permettre la réconciliation.

 

En fait, la manière dont je me situe par rapport au réel, c'est la manière dont je me situe par rapport à mon corps : si vous rejetez votre corps, vous rejetez la réalité quelle qu'elle soit. Si vous vous méprisez, si vous vous révoltez contre votre propre corps, vous vous révoltez aussi contre ce que vous êtes dans votre profondeur d'être. Quand vous entrez en conflit avec votre corps, c'est identique.

Or, il faut bien se dire que beaucoup, non seulement méprisent leur corps, mais, des fois, le brutalisent. Donc non seulement nous le rejetons, mais bien souvent nous le forçons à faire certaines choses qui vont à l'encontre de ce qu'il est en lui-même. Or notre corps souffre, ça nous arrive bien sûr, et nous ne savons parfois pas accueillir la souffrance, et nous n'avons jamais fini d'en découdre avec elle. Il faut vous dire que la pire des dualités – la dualité est toujours quelque chose qui fait souffrir, qui fait mal, qui s'oppose, qui divise –, la première dualité c'est entre notre corps et ce que nous sommes nous-même.

En grec :

  • Sym-bolum c'est ce qui réunit
  • Dia-bolum c'est ce qui divise et qui sépare.

Ou bien le corps va devenir symbolum : il va nous permettre de nous unir à ce que nous sommes ou bien le corps va devenir diabolum : il va nous séparer de notre réalité profonde.

Le corps va donc diviser et opposer, ou au contraire unir.

 

●   La division entre notre corps et ce que nous sommes en profondeur.

Le diable, c'est le prince du mensonge… Je dirais que c'est le prince de l'intellectualité en ce sens qu'il va développer en nous tout un côté intellectuel et abstrait qui va s'opposer à la réalité physique qui nous constitue.

Le diable c'est le mensonge, l'illusion, en ce sens qu'il va aller à l'encontre de votre corps : vous faire fuir votre corps, fuir la réalité dans l'imagination, dans l'intérêt, dans le rêve, dans les fantasmes, dans tout ce qui vous constitue. Et c'est cette division entre votre corps et ce que vous êtes dans votre profondeur d'être, qui va créer en vous l'angoisse. Toute angoisse quelle qu'elle soit, aussi forte soit-elle, a pour cause profonde la division qui s'établit entre ce que vous êtes et votre propre moi.

Pourquoi cette division se crée-t-elle ? Parce que le corps est paradoxal. Il est paradoxal en ce sens que, dans notre personnalité, il est ce qui nous limite : le corps vit dans l'espace et le temps, or, notre être profond, notre personnalité est appelée à la plénitude. Le corps apparaît donc comme s'opposant à notre désir profond, à notre aspiration profonde qui est : « Je voudrais pouvoir vivre la plénitude », mais « J'ai un corps qui est lourd, qui est pesant, qu'il faut nourrir… qui est limité. » Ça, c'est le paradoxe profond qui est le paradoxe de notre vie humaine.

Le paradoxe de notre vie humaine, c'est que nous ne sommes pas encore au terme, que nous nous créons nous-mêmes progressivement, et que le corps participe directement à ce développement de notre personnalité. Le corps, petit à petit, doit s'agrandir, se développer, s'ouvrir ; mais au départ, c'est vrai qu'il est profondément limité dans tous les sens du terme. Et c'est à cause de cela que, trop souvent, nous voudrions tout de suite être au terme, et que nous rejetons notre corps comme s'opposant à la réalisation de ce que nous sommes.

Les drogues qu'on utilise, quelles qu'elles soient, c'est toujours pour essayer de télescoper le corps, pour pouvoir vivre la réalité ou essayer de la vivre. En fait, on détruit alors son propre corps, on détruit le symbole, et on tombe dans la pire des illusions : notre personnalité ne se construit pas, ne se développe pas. C'est la tentation satanique : Satan va aller dans le point faible de notre nature humaine, ce point fragile profond. En effet, nous ne sommes ni du ciel ni de la terre, et nous avons à réunir les deux. Or Satan va aller justement dans la faille pour créer division et opposition : diviser, partager… c'est la dualité. Il n'y a pas de pire souffrance que le dualisme.

Quand j'étais petit et que je me brûlais en jouant avec le feu, je trempais mon doigt dans l'eau. Au moment où je trempais mon doigt dans l'eau, je n'avais plus mal, mais quand je le retirais, j'avais encore plus mal ! Eh bien, c'est un peu ce que nous faisons : pour échapper à la souffrance et à la division, on la fuit ; au moment où on fuit, on n'a plus mal, mais plus on fuit, plus la réalité devient dure, et plus on souffre. On fait l'opposé de ce qu'il faudrait faire.

Quelquefois ce fossé va s'accentuer. Tous les problèmes psychiques que vous avez depuis votre enfance viennent de cette division qui s'est créée en vous entre votre personnalité et votre propre corps.

 

I –Trois propositions pour que le corps devienne symbole

 

Il s'agit, pour nous, de faire que le corps devienne symbole. Or il est symbole quand il est présence. Si, par tout mon corps, je suis totalement à vous, je suis en communion avec vous. Mais si, vous-mêmes, vous êtes ailleurs, la communion n'est pas possible…

Comment faire pour que le corps devienne présence ? Je vais développer trois points à ce sujet.

 

1) Apprendre à accueillir son corps.

s'accueillirPour que le corps puisse retrouver son rôle de symbole, la première chose à faire c'est de l'accepter, de le recevoir tel qu'il est maintenant. Le corps est une réalité qui se transforme au cours de notre chemin. Au départ, il n'est pas réalisé, et pour se transformer il va passer par des phases. Mais la toute première condition pour qu'il se transforme, c'est de l'accepter. C'est quelquefois ce qu'il y a de plus difficile, et même quand vous l'acceptez, il peut encore vous jouer de très sales tours au niveau de la sensibilité ou de la sexualité. Mais en tout cas, c'est dans la mesure où vous l'accueillerez qu'il pourra se transformer.

 

Saint Paul lui-même nous recommande d'aimer notre corps : « Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l’Église : il s’est livré pour elle afin de la sanctifier… De la même façon les maris doivent aimer leurs femmes comme leurs propres corps. » (Éphésiens 5, 24-28). Vous aussi, vous avez donc à aimer votre corps comme le Christ a aimé l'Église : c'est très fort.

Vous direz : « C'est de l'égocentrisme. » Pas du tout !

Aimer son corps… Il ne s'agit pas de l'idolâtrer, il ne s'agit pas de développer la superficie de votre corps, la sensualité, ce n'est pas ça "aimer son corps" ! Ce n'est pas non plus développer le cerveau au détriment d'autres choses, ou bien développer la sexualité ou la génitalité au détriment du reste. Quand on aime quelque chose, on l'aime dans sa totalité. Mon corps est une totalité. J'ai à l'aimer dans sa totalité, j'ai à l'accueillir dans sa totalité ; et cela d'autant plus lorsque mon corps souffre, qu'il a de la peine, qu'il a du mal. Quand il souffre dans sa sensibilité, dans son affectivité, j'ai à le recevoir, j'ai à l'accueillir, j'ai à l'aimer comme le Christ nous a aimés, j'ai à le recevoir tout entier comme tel. C'est le contraire du rejet, du mépris. Donc s'accueillir dans son corps, se recevoir.

Ici je m'appuie sur des textes authentiques, textes sur lesquels s'appuie la foi chrétienne.

 

●   Le hara, centre vital où puiser les énergies (hara = ventre en japonais, c'est un centre qui se situe juste en dessous du nombril).

Le hara est un premier moyen que j'ai de pouvoir réconcilier toutes les parties de mon corps. Le hara étant un centre vital, il me permet d'être présent à chaque partie de mon corps. Et aussi il est là afin que j'y puise les énergies nécessaires pour faire vivre mon corps de l'intérieur, le faire vivre davantage, lui faire répandre un peu de vie.

Déjà, essayez de détendre les parties du corps qui ont été traumatisées, surtout celles qui ont été traumatisées dans votre enfance ou votre adolescence. Mais il y a souvent tellement d'oppositions et de conflits qui datent de l'enfance, que même avec toute l'énergie que vous pouvez avoir, ce serait insuffisant.

 

●   Le rôle du souffle en zazen (assise zen).

Faire zazen, c'est apprendre à travers le souffle à m'accueillir dans toute ma réalité corporelle, physique, dans ma sensibilité, mes émotions.

 

2) Faire vivre son corps.

Il y a plusieurs manières de faire vivre son corps. Pour cela certains ont recours au sauna, se font bronzer sur la plage, vont voir une esthéticienne… et le risque est d'en rester au paraître, de faire du corps une idole.

Ange au sourire, ReimsPour que le corps devienne symbole, il s'agit de le faire vivre dans sa profondeur d'être, de le faire vivre de l'intérieur et non pas de l'extérieur. Il s'agit de l'épanouir et ensuite de le spiritualiser. La résurrection n'est pas autre chose que le corps spiritualisé : cela a lieu lorsque le corps vit de la vie divine qui l'anime de l'intérieur.

Il faut reconnaître ici que le mépris qu'on a pu avoir de son corps dans une certaine forme de spiritualité a été catastrophique pour le développement humain. De même, à un moment donné, l'Église en France a méprisé le corps social, ce qui fait que le monde ouvrier a été complètement rejeté : c'était l'homme qui travaillait.

 

Le corps vivant est relié à la nature, à l'autre, à lui-même et au divin. Quand vous êtes avec l'autre, si vous vivez uniquement sur le plan émotif, affectif, intellectuel, vous n'êtes en relation qu'à une toute petite partie de l'autre alors que, quand vous vivez la vie profonde, vous êtes en relation avec la profondeur de l'autre.

Le zazen permet à l'homme à travers une posture, à travers une respiration, de s'ouvrir à la vie. C'est par la respiration que je fais vivre mon corps, de même par la nourriture. Quand le corps s'ouvre, il s'ouvre à la dimension cosmique. Quand les énergies commencent à se dégager, on a une ouverture, on vit à un autre niveau qu'au niveau étriqué

 

Il faut bien voir que vous ne pouvez aimer votre propre corps que par l'Esprit qui est au cœur de vous-même : il faut tout l'amour divin qui est au cœur de vous-même pour pouvoir vous réconcilier avec votre propre corps, pouvoir l'accueillir, le recevoir afin qu'il puisse vivre véritablement, pouvoir remettre de l'ordre surtout quand il a été traumatisé. Il faut le recevoir comme son propre enfant : vous l'accueillez comme un petit bébé dans vos bras, vous essayez de lui donner un peu de paix, un peu de tendresse. Il faut savoir faire ça avec son propre corps, parce que la manière dont vous agissez avec votre corps, c'est la manière dont vous agirez avec le corps social : si vous brutalisez votre corps, si vous voulez l'assujettir, le maîtriser – « je t'aurai, toi ! » – vous ferez exactement pareil avec le corps social. Si vous ne savez pas vous accueillir, vous ne pourrez pas accueillir le corps social.

Loin d'être un égocentrisme, l'accueil vous permettra, en fait, de vivre cette autre réalité. En effet, le corps social est une réalité, ce n'est pas une espèce d'utopie ou une espèce d'image ou d'idée, c'est une réalité.

 

Dans le christianisme, le corps est le symbole par excellence par lequel Dieu se manifeste à l'homme. D'une part, pour venir à nous, il prend corps, et d'autre part, il continue de venir à nous dans l'Eucharistie par son corps et son sang.

L'Être divin connaissant nos faiblesses, nos fragilités, nos conflits, nos divisions, vient vraiment prendre corps en nous. Il prend corps en nous, il ne veut faire qu'un avec notre corps.

 

Votre corps doit être une expression profonde de votre être, de votre personnalité. Votre personnalité, progressivement, va s'exprimer totalement à travers ce corps que vous êtes.

Quand il y a opposition et conflit, et que vous rejetez votre corps comme un objet, quelque chose d'extérieur, alors vous allez le juger – oui, j'ai les yeux de travers, j'ai le nez tordu, j'ai une affectivité comme cela, j'ai une sexualité beaucoup trop grande… – à ce moment-là vous serez toujours en réaction vis-à-vis de lui. Mais quand vous commencerez à le faire vivre de l'intérieur, par l'Esprit, votre corps lui-même se transformera.

Par exemple, Marie-Madeleine Davy n'avait pas un beau corps, et quand vous lisez ses conférences, il y a chez elle un mépris du corps. Mais quand elle parlait et quand elle s'exprimait, elle était tout entière dans ce qu'elle disait, et son corps se transformait : il rayonnait et on ne faisait plus attention à son apparence. Il y avait une espèce de transformation du corps.

Miroku Bosatsu, JaponDans la mesure où le corps devient plus transparent, il se dilate, il s'ouvre, il dégage une espèce de charme, de vie, de joie, de paix. Il retrouve en vous l'expression profonde de ce que vous êtes à travers votre personnalité.

Ce n'est pas en le critiquant, en le jugeant, que vous arriverez à vous le concilier, bien au contraire ! Il est ce qu'il est. « Je ne suis pas encore à l'aise avec lui – il est lourd, pesant… –, mais progressivement je peux arriver à ce qu'il soit davantage à mon service, uni profondément à ce que je vis, à ce que je suis. » C'est ça l'unité.

Le corps, quand je commence à l'accueillir en moi, me permet d'être réellement présent à ce que je vis, à ce que je fais. Si j'ai un mépris du corps, mon geste sera quelconque ; si vraiment j'accueille la réalité de mon corps dans ce qu'elle est, le geste que je vais poser sera l'expression profonde de ce que je suis au moment où je le pose. Poignée de main, sourire. Il y a des sourires faux, purement mannequin ; et il y a des sourires qui sont l'expression d'une joie intérieure, d'une paix profonde, qui expriment ce qu'ils sont à l'intérieur.

 

Tout le travail que nous faisons, tout le chemin que nous avons à vivre, c'est continuellement se réconcilier avec le corps, grandir, se développer avec lui.

Et c'est vrai aussi que la nourriture fait partie de la vie spirituelle en ce sens que la manière dont vous le nourrissez soit vous l'empâtez soit vous lui donnez la légèreté qui lui permettra de vivre ce que vous êtes. Il ne faut pas forcément s'en remettre à la macrobiotique, mais il faut trouver ce qui nous convient pour nous aujourd'hui.

 

3) Le corps comme relation ; corps donné.

Comme nous venons de le voir, faire vivre son corps, c'est d'abord l'accueillir et le recevoir continuellement – dès que je suis touché, qu'il y a quelque chose qui m'atteint, il y a toujours à le recevoir – mais aussi, ce corps est fait pour être communication, don et accueil. Si vous ne vivez votre corps que pour vous même, il ne sera pas symbole.

Graf Dürckheim distingue "le corps qu'on a" et "le corps qu'on est".

Le "corps qu'on est" ne s'appartient plus, il est aux autres, au monde… il est accueil.

Mais attention, ceci est le fruit de toute une transformation du corps qui se fait très lentement, très progressivement. Quelqu'un qui aurait un "corps donné" très vite risquerait de se détruire. Il faut d'abord que je l'habite, que je le fasse vivre.

 

Le Christ lui-même a pu dire juste avant sa mort : « Ceci est mon corps livré pour vous », mon corps donné. Il voulait dire qu'à travers sa mort, il allait faire de sa vie un corps qui se donne, qui ne s'appartient plus, qui se communique.

Le corps du Christ que vous recevez à l'Eucharistie, c'est le corps livré, donné. Ce corps est en continuel état de donation, de service, d'ouverture.

 

Le problème, c'est d'abord d'accueillir son corps. Il faut le recevoir avec tendresse pour, après, pouvoir le donner : il n'est pas à moi.

Pour moi qui suis prêtre, ma main a été consacrée, aussi elle ne m'appartient plus, et quand elle bénit, ce n'est pas moi mais c'est le Christ qui bénit.

Si vous êtes baptisés, par l'huile sainte, votre corps a été consacré à l'Être, il n'est plus à vous. Il est fait pour être instrument de lumière et d'amour pour les autres. Le corps sacré, c'est le corps qui ne m'appartient plus, mais qui devient temple de l'Esprit, porteur de l'Esprit, qui va permettre de livrer aux autres ce que je suis dans ma profondeur, qui va s'exprimer à travers mes paroles, à travers mes gestes, à travers ma sensibilité, mon affectivité…

 

Le corps peut très bien être prison, mais dans la mesure où il n'est plus à moi, il devient un lieu de liberté et de communion.

Quand vous êtes présents dans votre main, par exemple en dessin méditatif, vous dépassez un certain niveau, vous êtes relié.

 

II – Le Corps mystique

 

Il faut aller plus loin encore. Quand saint Paul ou les évangiles parlent du corps du Christ, ils ne parlent pas seulement du corps de Jésus de Nazareth ou de mon propre corps, mais ils parlent d'un autre corps, ce qu'on appelle le "corps ecclésial" ou "corps mystique". C'est une donnée extrêmement importante pour nous, parce qu'elle fait partie du symbole que je suis en train de vivre.

Quand le Christ vient à nous dans ce "corps livré pour vous" où il fait corps avec vous, ce n'est pas Jésus de Nazareth, c'est le Christ, celui qui est uni à tous ceux qui sont, par leur propre corps, reliés à lui.

Il y a un "je" qui s'exprime dans la personnalité que je suis, mais par mon corps, je suis complètement relié au sol, à la terre et aux autres. Le corps fait partie intégrante de ce cosmos dans lequel je me situe et me trouve, cette réalité qui est là, à laquelle je me rattache et me relie. Par mon corps, je me sens en communion avec vous, c'est par mon corps que je me relie à vous.

Saint Paul développe cette idée que notre corps nous relie au Corps tout entier, c'est-à-dire à tous ceux qui sont actuellement rattachés à lui. C'est pour cela que l'on dira : « Vous êtes devenus membres d'un seul corps, chacun pour sa part ». Je sais que je suis relié à tous les autres hommes par ce corps qui me constitue, et je suis moi-même une richesse du Corps entier.

 

tous les saints●   La communion des saints.

Quand vous communiez au Corps du Christ qui s'incorpore à vous, c'est la "communion des saints". La communion des saints, c'est cette communion profonde : à ce moment-là, je ne suis plus seul dans la réalité, mais je suis relié à toute cette communion de tous les saints de tous les temps, de tous les âges, de toutes les époques et de toutes les religions. Nous sommes tous réunis réellement en un seul Corps, et je suis riche de toute cette richesse, et je peux y puiser.

Le plus formidable pour moi, c'est quand je me sens très pauvre car alors j'ai tous les saints sur lesquels je m'appuie vraiment, ils sont là présents, pour m'aider…

Dans la réconciliation avec nous-même, on a besoin de tout cet apport fraternel, apport de tous ceux qui sont autour de nous, et auquel nous sommes reliés par notre propre corps.

 

Nous sommes comme une feuille sur un arbre, c'est un symbole que Graf Dürckheim a utilisé (La percée de l'Être, p. 56)

feuille sur l'arbre« La petite feuille du grand arbre ! Si la feuille était douée de conscience, ne serait-elle pas, en automne, sous l'emprise du sentiment de sa mort prochaine? Assurément, si sa conscience ne contenait rien d'autre que la feuille, la feuille en soi, alors elle sentirait qu'elle jaunit, qu'elle commence à sécher, qu'elle va bientôt tomber, jouet du vent, victime de puissances destructrices.

Supposons maintenant que la feuille puisse avoir conscience que ce qui vit en elle n'est pas seulement la feuille mais en même temps l'arbre. Elle saurait alors que sa vie et sa mort annuelles sont un mode d'être de l'arbre, elle serait consciente que la vie de l'arbre est en elle, que la Vie inclut non seulement sa petite vie mais sa petite mort. Et instantanément, l'attitude de la feuille, face à la vie, et face à la mort serait transformée; l'angoisse disparaîtrait et tout prendrait un autre sens.

Les angoisses de l'humanité correspondent à celles de la feuille qui s'arrête à sa conscience de feuille, c'est-à-dire qui est prisonnière de la petite réalité immédiate, des sens, de la raison et, qui est incapable de sortir de ses frontières. A la conscience que nous avons en général de la vie, manque la conscience de notre être profond. Pour que celle-ci puisse percer, il nous faut réviser celle-là, reconnaître combien elle est bornée ; il nous faut prendre au sérieux les heures privilégiées de notre existence, c'est-à-dire en reconnaître les signes, et laisser s'épanouir la grande Vie qui est en nous. Seulement ainsi, pouvons-nous entrer en contact avec notre être vrai. Car cet être est notre façon individuelle de participation à la Grande Vie ; et la maturité, qu'est-elle d'autre que la manifestation de notre participation à travers notre vie quotidienne?

Devenir un avec la source de notre être : tel est le chemin de la maturité intérieure. Le tout est de comprendre les signes, de les écouter et de les suivre fidèlement.»

Jésus lui-même a utilisé le symbole de la vigne :

« Je suis la vigne véritable et mon Père est le vigneron. Tout sarment en moi qui ne porte pas de fruit, il l’enlève, et tout sarment qui porte du fruit, il l’émonde, pour qu’il porte encore plus de fruit. Déjà vous êtes purs grâce à la parole que je vous ai fait entendre. Demeurez en moi, comme moi en vous. De même que le sarment ne peut de lui-même porter du fruit s’il ne demeure pas sur la vigne, ainsi vous non plus, si vous ne demeurez pas en moi. Je suis la vigne ; vous, les sarments. Celui qui demeure en moi, et moi en lui, celui-là porte beaucoup de fruit ; car hors de moi vous ne pouvez rien faire. » (Jean 15, 1-5)

 

Je sais que nous sommes branchés sur le même tronc, c'est-à-dire que mon corps se trouve relié par le tronc à tout cet ensemble, et si je suis une petite feuille au bout d'une branche, la feuille c'est que non seulement tout l'arbre est avec elle, mais qu'elle fait vivre aussi cet arbre tout entier. Elle peut dire : « Je suis l'arbre. »

De même, à propos de mon propre corps, quand je suis relié totalement, je peux dire : « Je suis tout le Corps, je suis toute l'humanité, je suis tout le cosmos qui est en moi ; mais aussi, moi-même, petite chose que je suis, je sais que je suis indispensable pour faire vivre l'entièreté du corps de l'humanité. »

Dans la mesure où vous rejetez votre propre corps, ce n'est pas votre propre corps que vous rejetez, mais c'est le Corps tout entier de l'humanité que vous rejetez ou que vous méprisez. Au contraire, si vous vous réconciliez avec votre corps, c'est toute l'humanité que vous réconciliez à travers vous. C'est donc une chose qui va très loin !

Aimer son propre corps, c'est l'accueillir, le recevoir, c'est aussi se rendre compte que dans le corps chaque partie a un rôle à jouer. Il faut savoir lui faire vivre son propre rôle. Par exemple c'est grave de mépriser sa sensualité, son affectivité. Au contraire, il faut la recevoir, l'accueillir pour la transformer, redonner cette unité.

 

III – Symbolismes de parties du corps :

Bouche, bassin, colonne vertébrale, mains, pieds

 

Déjà la bouche est quelque chose d'extraordinaire. Vivre sa propre bouche…

D'abord il y a les lèvres : il y a comme un voile sur les lèvres et je vais me dé-voiler dans la mesure où je vais ouvrir mes lèvres.

Ensuite, dans la bouche, il y a une muraille, ce sont les muscles les plus forts qui soient : quand quelqu'un meurt, si on ne lui met pas quelque chose entre les dents, c'est fini, on ne peut plus ouvrir sa mâchoire ; il arrive parfois qu'à un malade, on soit obligé de lui casser les dents tellement ces muscles sont forts ! C'est une muraille : ou je la ferme ou bien je l'ouvre… Je l'ouvre pour recevoir la nourriture mais aussi pour donner. Je parle par ma propre bouche et si ma bouche est fermée, il n'y a plus d'expression possible.

Vivre sa propre bouche, c'est donc apprendre à se dévoiler, ouvrir ses propres murailles, ses propres défenses.

 

C'est pareil pour le bassin qui est quelque chose de magnifique. Le bassin a un rôle primordial : c'est en lui que je peux me recevoir. Il faut savoir d'ailleurs que les épaules ne sont pas faites pour porter, en fait, elles sont des ailes alors que bassin, lui, est comme une coupe qui nous reçoit, un calice dans lequel on se dépose, où on se repose véritablement. C'est même une coupe qui peut se retourner de sorte qu'il peut recevoir et accueillir tout ce qui vient du fond. C'est une coupe maternelle ou une coupe cosmique.

 

La colonne vertébrale relie la terre et le ciel en nous. Dès qu'il y a des blocages, c'est fini. Il faut donc arriver à la faire vivre. C'est comme l'échelle de Jacob où les anges montent et descendent vers le ciel, vers la terre (Cf. Genèse 28, 11-19 repris en Jn 1, 51).

 

massage du piedLa main et le pied eux-mêmes sont extraordinaires. Apprenez à aimer votre pied, prenez-le avec beaucoup de tendresse. Le pied, c'est ce qui vous relie à la terre, à la réalité. La plante du pied, c'est la plante qui s'enracine dans la terre et qui permet à la sève de monter et de l'alimenter. Je me rappelle que dans un couvent de religieuses où j'ai travaillé, j'avais fait faire un massage des pieds ; l'une d'elle est sortie furieuse en disant : « la spiritualité, ça ne passe pas par les pieds. »

 

Or c'est tout votre corps qui doit se spiritualiser : tout votre corps est animé par la vie divine, par l'amour. Et même la génitalité : si vous saviez bien l'accueillir pour pouvoir la vitaliser dans la profondeur, elle vous donnerait une espèce de grande joie et de grande paix, une énergie considérable, une force extraordinaire. Quand c'est trop bloqué, ça empêche de faire vivre votre spirituel. Il faut donc aimer de façon juste cette région de nous-mêmes pour qu'elle joue son rôle de revitalisation de toute notre personne.

 

Si vous rejetez votre corps, vous êtes dans une spiritualité complètement fausse, vous n'êtes plus en communion avec le divin.

Saint François d'Assise lui-même a tellement aimé le divin que, dans son corps même, il a eu les mêmes stigmates que le Christ  – mais cette rencontre avec l'Être à travers son propre corps est unique – et cela ne veut pas dire qu'il n'était pas dans la joie. C'était un corps livré.

 

●   Des obstacles éventuels sur le chemin.

Tout le monde a l'expérience que, sur un chemin quel qu'il soit, nous nous heurtons à toutes sortes d'obstacles qui viennent de nous-mêmes, qui viennent des autres ou qui viennent du monde. Ces obstacles sont de toutes sortes : la peur, l'angoisse, les contrariétés, tous les conflits qui peuvent naître en nous. Nous avons un profond désir de liberté mais continuellement nous nous sentons arrêtés dans tous les sens. Parfois tout ce qui nous heurte nous fait douter de la possibilité de vivre, d'exister, et même douter de la bonté divine.

 

Mais au fond, il y a toutes sortes de désirs en nous-mêmes qui sont l'expression d'une espèce de dynamique intérieure et qui ne demandent qu'à se développer. Il y a toutes sortes de désirs qui sont l'expression d'une énergie qui ne demande qu'à se développer, à exister.

Parfois cette énergie se heurte à des interdits, des tabous, des règles, des consignes, et face à cela il y a, entre autres, deux possibilités un peu extrêmes : ou bien on fait fi des interdits, des tabous et on essaie de vivre ses désirs comme expression de la liberté… mais souvent cela produit des catastrophes car, loin d'être libre, on devient totalement esclave de ses instincts ; ou bien on essaie d'éteindre tous ces désirs nous pensons qu'alors on sera tranquille, mais le danger c'est qu'en voulant les éteindre, on risque de détruire l'homme lui-même en l'empêchant d'exister. Par ailleurs, il peut se lier à cela une espèce de peur : peur de ce dynamisme quand est très fort car on ne sait pas où il va nous mener si on lui laisse un peu trop de place, et peur de tout le chaos qui est encore en nous, de ces instincts qui sont là et qui finalement n'arrivent pas à vivre. Il faut savoir que le refoulement des énergies peut entraîner des traumatismes profonds et finalement détruire. Et c'est vrai que, quand on fait un travail sur soi qui va très loin, on s'aperçoit qu'on est loin d'avoir laissé vivre toute la richesse dynamique intérieure.

 

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