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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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1 août 2025

L'équilibre en mouvement du kinomichi, Alain Pozarnik

« En kinomichi, tous les gestes dans un même mouvement ne sont que le passage juste, rapide et précis du poids d'un côté lourd à l'autre léger. Dans un cercle continu, dans un rythme infini les ondes basses s'élargissent pour donner vie à la légèreté qui descend vers le lourd dans une vibration plus épaisse pour que naisse une nouvelle note céleste. » C'est ce que dit Alain Pozarnik dans son livre De l'aïkido au kinomichi dont figurent ici des extraits.

A. Pozarnik commence par montrer que cette vision est à l'encontre de la vision occidentale pour qui l'équilibre est un équilibre de mort, c'est-à-dire qui ne tient pas compte du mouvement. Aussi, en 2e partie, figure un extrait de l'avant-propos de Patrice van Eersel pour la revue Question de n° 117, Albin Michel 1999, intitulée "L'esprit du geste" et consacrée au Shintaïdo. Dans cet avant-propos P. van Eersel nous suggère de quitter une certaine vision occidentale de la réalité et de penser mouvement.

De l'aïkido au kinomichi, a pour sous-titre "De l'intention d'amour à l'énergie créatrice au quotidien" et a été publié aux Ed. Présence, 1984. L'extrait est aux pages 111-112.

 

 

L'équilibre en mouvement du kinomichi

 

Alain Pozarnik

 

L'équilibre naturel est un équilibre en mouvement, une transformation continuelle, une composante entre deux tendances. L'équilibre rigide, établi une fois pour toutes est un équilibre cadavérique, un équilibre de mort. Et encore la stabilité apparente d'un équilibre de mort n'est qu'un ralentissement des tendances déséquilibrantes alors que le véritable équilibre est un "rattrapage" perpétuel dû à la rencontre de deux forces. L'équilibre des planètes dans le cosmos ne se traduit pas par un arrêt mais par une giration perpétuelle. L'équilibre d'une toupie ou d'un cycliste n'est dû qu'au mouvement. Un mouvement non équilibré est un mouvement qui n'intègre pas toutes les forces en présence et bascule vers la force la plus violente.

On nous montre souvent l'image d'un homme stable comme un homme solidement campé sur ses deux jambes, un peu comme une statue. Il est vrai qu'à un certain point, il est difficile de déraciner une statue, mais si l'on met en œuvre une force suffisante et si l'on sait l'appliquer au meilleur endroit possible, aucune statue au monde ne pourra résister. Et ce qui est plus grave encore, une fois à terre, elle ne pourra plus se relever. La stabilité d'un homme immobile solidement campé sur ses pieds, ne résistera pas longtemps à la poussée d'un enfant, par contre un homme solidement enraciné sur un pied et qui aura l'autre disponible pour se placer en rapport avec la direction de la poussée, devient comme le roseau de la fable de La Fontaine.

Si cet homme est capable d'enraciner tantôt un pied, tantôt l'autre, et laisse ainsi tout son corps disponible pour se mouvoir en fonction des forces en présence, alors dans son extrême mobilité, cet homme est aussi invulnérable que le vent, aussi vivant que le cosmos.

Un mouvement ou un déplacement en kinomichi est la recherche d'un équilibre en mouvement. Le poids du corps est tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, dans un rythme rapide, en harmonie avec les gestes et les déplacements. Cette bascule d'un côté à l'autre, s'effectue dans un jeu imperceptible et confère au kinomichi son élégance, sa puissance, sa rapidité.

La vie entière est la combinaison du yin et du yang, du flux et du reflux des énergies, de l'actif et du passif, du lourd et du léger. Le côté léger offre l'agilité et l'adaptabilité indispensables aux forces de la vie. La légèreté, c'est aussi l'énergie qui circule, qui régénère le système nerveux et irradie l'énergie à travers tout le corps.

Du point de vue de l'équilibre, le côté léger offre une giration facile autour de l'axe solide du côté lourd. Le côté lourd, c'est l'affirmation et la force, l'axe passif qui consomme beaucoup d'énergie, qui relie le ciel et la terre et va se reposer en devenant à son tour léger et actif. L'alternance a toujours été une notion importante dans la pensée orientale, comme occidentale, et se matérialise, se comprend dans l'alternance que vit notre corps.

Les notes graves émises par un orchestre mettent en relief la légèreté des violons, uniquement lorsqu'elles se sont lentement élargies au moment voulu.

En kinomichi, tous les gestes dans un même mouvement ne sont que le passage juste, rapide et précis du poids d'un côté lourd à l'autre léger. Dans un cercle continu, dans un rythme infini les ondes basses s'élargissent pour donner vie à la légèreté qui descend vers le lourd dans une vibration plus épaisse pour que naisse une nouvelle note céleste.

La mobilité s'effectue autour d'un axe qui va du ciel à la terre, notre pied lourd étant la pointe de cet axe, comme si notre corps était une pyramide inversée ou une toupie en giration.

Le triangle de la force statique est celui des deux pieds en terre et de la tête dans le ciel ; le triomphe de la force dynamique et vivante est celui d'un pied en terre, des bras dans l'air. Cette base pyramidale vers le haut élargie par la sphère énergétique qui émane du corps, renforce notre équilibre dynamique.

 

********************

 

Avant-propos de Patrice van Eersel à L'esprit du geste

 

Nous vivons depuis quelques siècles dans un monde où l'objectif prime systématiquement sur le subjectif, c'est-à-dire l'objet sur le sujet et en fin de compte l'image arrêtée – trame du cinéma, de la télé et jusqu'aux plus avancés des cybermondes – sur le mouvement. Un siècle après, nous sommes nombreux à tout juste commencer à comprendre pourquoi Henri Bergson parlait avec gravité de l' "illusion cinématographique" : comme le Canada Dry se faisant passer pour du whisky, le septième art nous fait croire que la technologie moderne a su capter l'essence du mouvement et l'enfermer dans des cassettes. Alors qu'il n'en est rien.

Depuis Zénon d'Élée – avec son fameux paradoxe de la flèche qui n'atteint jamais l'arbre si l'on considère sa course comme une somme de situations arrêtées –, l'intellect occidental n'a pas beaucoup progressé en cette matière. Pourtant, les découvertes physiques les plus importantes du XXe siècle, notamment par le truchement de la mécanique quantique – percées qui vous marquent l'avènement d'une civilisation ! – ont démontré, par la théorie et par l'expérience infra atomique, ce que les Grecs avaient déjà vu par l'intuition : le réel est un mouvement. La nouvelle physique raffine l'énoncé et dit qu'il s'agit d'une interférence ondulatoire, ou de la probabilité d'une telle interférence, d'un jeu de cache-cache permanent entre un mouvement effectif et la promesse d'un mouvement… En tout cas, rien à voir avec une collection de particules inertes, que vous les appeliez atomes, protons, quarks ou fermions.

Et voilà le drame : dans nos écoles, nous continuons à en enseigner à nos enfants que la matière universelle est faite de « tout petits, petits objets, appelés atomes. » C'est totalement faux. Mais allez vous amuser à expliquer au petit qu'en réalité il n'y a pas d'objets du tout mais des "probabilités d'interférences ondulatoires" ! Résultat : nous continuons à enseigner des atomes qui n'existent pas. C'est plus commode. Comme si l'on continuait à dire que la Terre est plate, par facilité.

Ce décalage, cette imposture, ce laisser-aller nous atteint plus profondément qu'on ne saurait l'imaginer. Michel Leiris s'amusait à remarquer qu'il ne faudrait pas dire : « Le chien court » mais « La course chienne », ou, pour le paraphraser dans un exemple plus ressenti : « Cette danse femme », plutôt que : « Cette femme danse ».

Quiconque a vraiment dansé, ne fût-ce qu'une seule fois dans sa vie, sait combien, en effet, l'existence ne devient réelle que lorsque nous la laissons couler en nous, lorsque le flux de vie non seulement nous traverse mais devient, momentanément, nous.

Et tout l'Orient applaudit, des yogis indiens aux sages taoïstes. En riant. Qu'il leur a fallu, du temps, à ces Blancs au long nez, pour découvrir la lune !

Oui… Sauf que reconsidérer le monde à sa base, du point de vue du mouvement et non plus de l'objet, suppose en fait une révolution titanesque, à laquelle Rimbaud, ou Proust, Daumal et tous les Occidentaux connaisseurs d'Orient se sont essayés depuis un siècle. Or, le camp de l'inerte et des images arrêtées se tient solidement campé sur sa morbidité. Jusque dans nos têtes, hélas. La partie se déchaîne d'autant plus rudement que l'humanisme lui-même est partagé. « Je bouge donc je pense » ? Oui, mais attention à nos raccourcis. Nijinski aurait pu être nazi, évidemment, et Gandhi vivre paralysé dans une chaise roulante.

Nous parlons d'un paysage total, englobant corps, âme et souffle. Il y a une beauté générale du geste – de l'attitude, du regard… – dans les grandes civilisations, qui savent, humainement, par la culture, retrouver les formes essentielles de la nature. De ce point de vue, l'Occident contemporain se cherche encore. Sa culture – son agriculture ! – ne comprend encore la nature que sous l'angle de la dissection. Mais il y a de l'espoir : nous appartenons à une société qui a pris conscience de la laideur de sa gestuelle quotidienne. Mille écoles de mouvement se sont ouvertes ce dernier siècle – écoles artistiques, sportives, voire spirituelles. À quoi s'ajoute le contact de moins en moins inégalitaire avec les peuples venus d'ailleurs, le plus souvent du Sud, souvent éblouissants de beauté dans le moindre de leurs mouvements de cil ou de doigt.

De ce bouillonnement, souvent confus, émergent quelques axes, quelques perspectives, traits de cohérence conscients de la globalité des enjeux. Ainsi certains arts martiaux, notamment japonais. (…)

Passer d'une technique de combat à un art martial suppose une métamorphose essentielle. Montrer qu'un art martial ne peut véritablement être pratiqué que par un artiste, et plus précisément par un artiste du mouvement, c'est-à-dire de la vie, en suppose une autre….

 

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