La méditation et la Bible, extrait de la préface de M-A. Ouaknin
« Longtemps on n’a vu dans la méditation hébraïque qu’une invention ou une importation d’autres cultures ; elle a pourtant toujours existé… Dans La méditation et la Bible Aryeh Kaplan montre que cette pratique trouve ses racines dans la Bible elle-même. Transmise de maître à disciple depuis les Patriarches jusqu’à nos jours, cultivée par les prophètes, elle se fonde sur l’interprétation symbolique de textes comme la vision d’Ezéchiel. L’auteur insiste également sur la valeur des Psaumes, qui fonctionnent comme des "mantras" aidant à la concentration et à l’élévation. Devenu un classique aux Etats-Unis, ce livre fondamental ouvre, comme le souligne Marc-Alain Ouaknin, de nouvelles pistes pour la lecture de la Bible. » (Extrait de la 4e de couverture du livre d'Aryeh Kaplan paru chez Albin Michel en 1993 et réédité en livre de poche, la photo de la couverture étant la vision d’Ezéchiel, vision du char céleste, merkava.
La préface est de Marc-Alain Ouaknin, il y dit en condensé des choses qu'on retrouve dans son livre Bibliothérapie au Livre premier, chapitre V, « Vivre, c’est naître à chaque instant… ». Ce qui est mis ici se trouve au début et à la fin de la préface de La méditation et la Bible (sans les notes).
La méditation et la Bible
Extrait de la préface de Marc-Alain Ouaknin
Le livre de Kaplan nous offre des clés lexicales fondamentales qui nous permettent de retrouver dans le texte biblique les traces de la méditation.
Le mot central de cette étude est hitbodédout, qui désigne la méditation hébraïque de manière générale. C'est à Rabbi Nahman de Braslav, grand maître hassidique du XVIIIe siècle, que l'on doit la renaissance de la hitbodédout. Rabbi Nahman insiste sur la nécessité de consacrer au moins une heure par jour (Liqouté Moharan, II. 25).
La hitbodédout est l'expérience d'une montée de degré en degré vers le divin, qui met en jeu les trois parties essentielles de l'être humain : rouah, nefech et nechama, littéralement le souffle, le sang et la respiration.
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Pour l'hébreu, écriture purement consonantique, il faut à chaque fois la présence d'un lecteur pour animer de sa voix les vingt-deux lettres carrées en attente de devenir vocable.
« N'oublie jamais, dit Rabbi Nahman de Braslav, l'existence d'un mot est toujours le fruit d'une rencontre amoureuse entre les voyelles et les consonnes, désir des voyelles pour les consonnes. » Neqoudot hakéssèf, dit le Cantique des cantiques (1, 11), c'est-à-dire « les voyelles du désir »… Voix-ailes d'un désir qui porte l'homme sur le char céleste, merkava ; élévation vers les hauteurs, et ouverture au souffle sacré : le rouah hadoqèch.
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L'homme accède au rouah hadoqèch, au souffle sacré, dans sa capacité à s'élever. Le devenir léger de l'être advient quand l'homme fait de la place en lui-même, comme la mère fait une place en elle-même pour accueillir l'enfant, capacité matricielle, rahmanout ou Tsimtsoum.
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Le but de la méditation est de s'élever et de trouver le meilleur équilibre physique, spirituel et intellectuel : jouissance d'être. Bien-être au monde.
Même si, chez certains maîtres comme Aboulafia, le but de la méditation est l'extase ou ce qu'il nomme l'expérience prophétique, on peut utiliser une autre formulation de ce but, celle de la santé de l'être. Comprendre la signification exacte du mot santé exprimé en hébreu permettra de mieux sentir les buts et le fonctionnement de la méditation
En hébreu, la santé se dit Beriyout (Bèt-rèch, yod-aleph-vav-tav). L’adjectif sain est bari (bèt-rèch-yod-aleph) au masculin et beria (bèt-rèch-yod-aleph-hé) au féminin. Il est important de noter que ces mots sont de la même racine que Beriya, qui veut dire "création du monde", et du verbe bara qui veut dire "créer".
Être en bonne santé, c'est donc, pour la pensée hébraïque, se situer dans une position de "création", de recréation incessante de soi et du monde.
La Beriyout se fonde dans une conscience dynamique de soi, corporelle et mentale. Ce dynamisme est possible si l'homme ne se vit pas comme une structure achevée, mais comme le lieu d'une naissance de soi et corollairement du monde.
La Beriya est le passage du néant à l'être, représenté dans sa manifestation infinitésimale par le point qui va ensuite subir les métamorphoses de la "formation".
La santé vécue comme création rend nécessaire le retour à la situation de l'émergence de l'être. Il ne faut pas voir le monde en ce qu'il est mais dans son en-train-d’être et son en-train-de-naître.
Et puisque le rapport de l'homme au monde passe essentiellement par une traduction langagière, il faut un langage en train d'éclore pour dire cette création. Dès lors, on comprendra pourquoi il existe un ensemble de techniques de mise en mouvement du langage qui permet dans chaque combinaison de voir naître un nouveau mot.
Être en bonne santé, c'est être une créature se percevant et se vivant comme en-train-de-naître.
C'est dans cette perspective que la kabbale a mis en place la dialectique de Ani et Ayin, du "Je" et du "rien". En hébreu le mot "je" se dit Ani et s'écrit aleph-noun-yod, trois lettres qui écrivent aussi Ayin, aleph-yod-noun, c'est-à-dire le néant. Cette néantisation provisoire est la clé du dynamisme de l'être.
Le but de la méditation est de maintenir la dynamique de l'être qu'on nomme en hébreu ratsone, qui dans le langage courant signifie "volonté". Le ratsone est plus que la volonté. Il est désir de vivre, impulsion vitale profonde, qui se caractérise par une tension interne créatrice qui s'annonce comme pulsion de vie et fonde l'homme comme être-projet.
La beriyout-santé consiste à permettre l'expression du ratsone, expérience renouvelée de l'énergie créatrice, qui permet à l'homme de tendre vers un "plus loin" pour s'élever vers un "plus haut".
Cette énergie intérieure qui pousse l'homme à toujours s'inventer autrement se nomme aussi Simha, c'est-à-dire joie, dont les lettres hébraïques signifient aussi le Messie. En effet le mot hasimha, la joie, se réécrit machiah, c'est-à-dire Messie.
Être porteur du Messie, c'est entendre résonner en soi ce mouvement de l'être qui est désir et vouloir être…
La méditation est un plaidoyer pour une existence joyeuse et heureuse. (…)
En une phrase de Rabbi Nahman de Braslav, nous entendons l'essentiel : « Il est interdit d'être vieux. »
L'éthique du renouvellement est fondée sur une définition de l'homme comme être de désir (ratsone). Cette capacité d'être-autre tend vers la joie et est à proprement parler la joie : Simha.
La joie est à la fois le but et le lieu même du désir ; elle est cette force interne qui pousse l'homme à…, qui tire l'homme vers l'avenir.
« L'existence n'est pas seulement une course indéfinie, une différentialité perpétuelle, elle est aussi orientée vers un but qui se nomme joie d'exister. » (R. Misrahi)
Mais, attention elle n'est jamais plénitude totale car, ici, il nous faut souligner encore que la perfection de l'homme est sa perfectibilité (Neher).
L'ouverture de la méditation est une aventure de la joie.
Rabbi Nahman de Braslav a formulé cet impératif catégorique : « Mitsva guedola liyehot besimha tamid » : « C'est une grande obligation d'être toujours dans la joie. »
« La tristesse, c'est l'exil de la présence divine, disait-il encore. Mais lorsque l'homme fait une action dans la joie, s'ouvre au miracle futur, il délivre les étincelles de saintetés retenues prisonnières dans les êtres. (…) La joie de l'action libère les étincelles, mais la libération des étincelles est ce qui est la source même de la joie. » (Liqouté Moharan, I. 24).
« Lorsque la joie saisit le corps de l'homme, ses mains se lèvent, ainsi que ses pieds. Il ne peut alors s'empêcher de danser. »
Ces quelques aphorismes remarquables de Rabbi Nahman de Braslav que l'on trouve dans son œuvre intitulée Liqouté Moharan, montrent bien le rapport entre la joie et la création ou la libération… « La joie est ce qui permet à l'homme d'innover de nouveaux sens dans la Tora. »
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La joie a une place si importante dans la méditation qu'elle conditionne maladie et guérison. Pour Rabbi Nahman, par exemple, toutes les maladies n'ont aucune origine : la tristesse.
« C’est une grande mitsva d’être toujours dans la joie, de se renforcer et d’éloigner la tristesse et l’amertume de toutes ses forces. Toutes les maladies qui viennent sur l’homme, toutes viennent de la dégradation de la joie… La dégradation de la joie vient d’une distorsion du « chant profond » [nigoun], des rythmes vitaux [defiquim]. Quand la joie et le chant sont abîmés, la maladie s’empare de l’homme. La joie est un grand remède. Il s’agit de trouver en soi un seul point positif qui nous rende joyeux et de nous y attacher. »
La joie est la création d’un espace où la parole peut se donner, exister… Comme le rire, en son éclat, bouleverse l’espace sonore, l’agrandit et lui ouvre son champ de résonance, ainsi la joie est liée à la capacité de s’exprimer, de se dire, pour briser les chaînes de l’enfermement, du cercle des mots et des pensées toutes faites. La joie est cette capacité que l’homme a à s’inventer. La joie, c’est une danse, une ronde qui trouve la force d’ouvrir un maillon pour donner un nouveau souffle à la vie.