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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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11 février 2025

Sur la voie du Christ intérieur selon K G Dürckheim

K.G. Dürckheim est l'un de ceux qui ont jeté des ponts entre le savoir de l'Occident et la sagesse de l'Orient, entre la psychologie des profondeurs et la tradition du bouddhisme zen, et aussi sur la voie chrétienne. Gerhard Wehr a réalisé une biographie de Graf Durckheim dix ans après sa mort : Karlfried Graf Durckheim Une vie sous le signe de la transformation. La traduction française de Didier Verne a été publiée en 1997 chez Albin Michel. Cette biographie passionnante aide à faire le point sur les ombres et les lumières de ce personnage atypique qu'est Graf Durckheim.

Vous trouvez ci-dessous des extraits du chapitre intitulé "Sur la voie du Christ intérieur" (p. 232-248).

N. B. Dans le livre, le traducteur a proposé sa propre version pour les citations extraites des œuvres de K. G. Dürckheim. En général, la traduction de D. Vernes est plus intéressante que celle des livres parus en français. Notez qu'il y a plusieurs citations du livre L'appel du maître qui n'existe pas en français.

 

Sur la voie du Christ intérieur

 

Extraits de K-G Dürckheim de Gerhard Wehr

 

Accompagner sur le chemin intérieur : tel est le leitmotiv du travail de Graf Dürckheim. Plus précisément, il s'agit d'un accompagnement sur la voie du Christ intérieur. La personne historique de Jésus de Nazareth n'entre pas réellement en ligne de compte. Il s'agit plutôt d'éveiller en l'homme l'énergie christique qui lui permettra de se trouver intérieurement, de s'engager dans un processus de transformation et d'accéder ainsi à la réalisation de soi, à l'accomplissement :

« Parallèlement à la foi en un Dieu transcendant apparaît aujourd'hui le sens religieux de la voie intérieure. Celle-ci se cultive grâce à la pratique de l'exercice spirituel et permet d'accéder à une transformation libératrice. Parallèlement à la foi en un salut, que nous ne pouvons atteindre par nous-mêmes, apparaît la conviction qu'il nous est possible de nous éveiller à l'Etre divin lové en nous, présent en notre cœur, en notre noyau essentiel : en ce lieu où nous sommes "sauvés" depuis toujours, mais que notre conscience humaine - trop humaine ! - nous empêche de découvrir. Il nous est possible d'explorer intérieurement ce lieu essentiel avec méthode et discipline. C'est là une nouvelle voie de connaissance qui s'ouvre pour l'Occident. Cette forme de religion n'est autre qu'une pérégrination sur le chemin intérieur vers la personne, et ce chemin est inhérent à notre être essentiel. Il se révèle au fil de l'expérience grâce à la discipline de l'exercice. Ce chemin intérieur nous permet de sortir de la nuit de la conscience ordinaire pour nous éveiller à la lumière d'une conscience supérieure » (La voie de la transcendance, pp 91-92)

(…)

Les premiers chrétiens connaissaient manifestement la voie du Christ intérieur. Tout "pèlerin" engagé sur cette voie vivait une expérience ésotérique, proprement intérieure, qui transformait sa vie : c'était un véritable retournement, une métanoia. Grâce à cette expérience, celui qui cheminait sur cette voie se ressentait comme partie intégrante d'une nouvelle créature (kaïné ktisis). Le premier témoin de cette expérience intérieure est bien sûr l'apôtre Paul. On ne trouve aucune autre figure des origines de la chrétienté qui ait autant "témoigné". Avec une certaine emphase, il explique, par exemple dans l'Épître aux Galates, que, s'il a rencontré le Christ, ce n'est nullement par une intervention extérieure : cette rencontre ne lui vient pas des apôtres de Jérusalem, elle ne dépend que du « Christ qui vit en moi » (Gal. 2, 20). Cette voie mystique, ce chemin intérieur qui mène au Christ a toujours existé. (…) car « l'Esprit souffle où il veut ». Le vrai charisme échappe à toute volonté humaine : on ne peut ni en disposer à la commande ni l'organiser.

(…)

Graf Dürckheim fait partie de ceux qui, aux côtés de C.G. Jung notamment, ont inscrit cette voie du Christ intérieur au sein du processus psychothérapeutique. Dès les années cinquante, il écrivait :

« Nous sommes aujourd'hui au seuil d'une phase essentielle dans le développement de l'esprit occidental. Il s'agit en effet désormais d'élargir notre vision au-delà du niveau d'expérience habituel, c'est-à-dire de dépasser les limites de la conscience ordinaire pour l'ouvrir à une vision transcendante de l'expérience surnaturelle. Nous parlons ici de la vision ésotérique. » (Le Zen et nous, Francfort, 1961, p. 13)

Cet ésotérisme ne cherche pas à opposer à la pensée objective une intériorité qui fuirait le monde. Il invite plutôt à acquérir une vision globale de la réalité qui intègre le sens de la profondeur et de la transparence.

(…)

Dürckheim, à ce sujet, donne matière à penser aux défenseurs de la foi canonique :

« Plus les défenseurs de la foi parleront de révélation et refuseront la possibilité de faire l'expérience de la transcendance, plus ils feront le jeu des rationalistes qui, étrangers à toute foi, n'accordent de valeur qu'à l'expérience objective proprement empirique. Nous sommes aujourd'hui à un tournant : le scientifique empiriste est aujourd'hui de plus en plus contraint de reconnaître la réalité d'une dimension transrationnelle de la vie. Cette dimension existe : elle est manifeste, effective, bien qu'on ne puisse l'expliquer rationnellement en invoquant l'existence de "conditions limites". Ni les psychologues et psychothérapeutes de la vieille école, ni les prêtres fermement établis dans leur tradition ecclésiale ne sauront répondre aux fougueuses exigences et aux aspirations impérieuses de la jeunesse actuelle. Les jeunes d'aujourd'hui sont en effet étrangers à la "foi ", mais ils sont sensibles à la "transcendance", à l'esprit scientifique et au sentiment religieux émanant de l'être profond. Dans la conscience humaine, la réalité supraterrestre s'exprime de nos jours avec une puissance incontestable : elle aspire implacablement à se manifester dans la vie et à s'incarner dans des actes responsables. » (L'appel du maître, p. 6)

 

Quand on considère l'évolution de l'œuvre de Dürckheim, on s'aperçoit qu'il lui a fallu un long temps de maturation avant d'acquérir cette vision du Christ intérieur. (…)

Dans son livre intitulé Sous le signe de la grande expérience, il expose les rudiments d'une « anthropologie métaphysique » en mettant en relief l'aspiration de l'homme au « grand accord ». Il y insiste également sur « l'appel de l'être » et sur la « nouvelle vie » à laquelle conduit la « percée de l'être » et que prépare le changement d'orientation décisif vécu dans « l'expérience de la transcendance ». Par contre, toute référence christologique est encore absente. Il est simplement question d'expériences participant à la maturation de l'homme où se manifestent progressivement des "percées" de transcendance. (…)

La nature de cette expérience et de ce cheminement se situe au-delà de toute confession. Elle est « trans-religieuse » : on ne peut lui mettre aucune étiquette, qu'elle soit "bouddhiste" ou "chrétienne".

« On peut affirmer néanmoins que cette grande expérience fondamentale est une expérience religieuse. Par cette expérience, l'homme entre en contact avec une dimension supraterrestre qui se situe à l'arrière-plan de son existence terrestre. Il s'agit soit d'une expérience numineuse - un événement bouleversant vécu dans la jubilation-, soit de la manifestation d'une force à la fois rédemptrice, créatrice et libératrice qui élève l'homme au-dessus de son existence ordinaire et le relie à la dimension surnaturelle présente en son être essentiel. » (Op. cité p.66.)

(…)

Sa transformation intérieure s'est poursuivie durant les années suivantes. Ce lent processus de maturation lui a alors permis de rendre manifeste la tendance christique qui jusque-là était restée implicite dans son œuvre : il va désormais l'exprimer ouvertement. A la fin des années soixante, ses affirmations « anthropologiques » traitant de la maturation de l'homme révèlent au grand jour leur dimension christique. « Quand l'homme est-il en son centre ? » Tel est le titre d'un article que Dürckheim publie en hommage à August Vetter. Sa réponse ne souffre aucune ambiguïté : « L'homme est en son centre lorsqu'il est en Christ. »

On trouve alors de nombreuses phrases où l'auteur remplace les termes impersonnels ("cela", "supraterrestre", etc.) par des noms plus explicites : le "Toi divin" relie la personne du Christ au "transpersonnel". Le Christ est défini comme "le vrai Soi de l'homme" (on pense à Jung) : sa réalité devient plus proche, sa "corporéité" plus tangible. A partir de cette période, Dürckheim manifeste sans plus aucune retenue sa nouvelle vision christique. (…)

« L'homme se situe dans son centre lorsqu'il se sent en unité avec le Christ, lorsqu'il vit à travers lui. Il se sent appelé à s'enraciner dans ce centre par la voix du maître intérieur, qui est la personne du Christ. Le Christ n'est pas seulement la "source de tout être et de toute chose", il n'est pas seulement le noyau du devenir lové dans l'être essentiel : il représente l'instance supraterrestre qui invite à l'union avec le monde "manifesté". Dans le monde, l'homme n'est jamais pleinement uni à son être essentiel : c'est dans l'expérience qu'il fait corps avec lui, dans la rencontre. Dans cette rencontre, l'homme éprouve combien, dans sa réalité de personne livrée à la souffrance, il relie ciel et terre, et le Christ ne lui apparaît plus alors comme un principe, mais comme un "tu divin". » (L'appel du maître, p. 162)

 

A partir de là, Dürckheim reconnaît dans le Christ le « maître éternel », le « maître intérieur » dont on fait l'expérience dans la foi. (…)

L'initiation au mystère du Christ connaît plusieurs voies :

« Il est important de faire la distinction entre l'expérience mystique et le chemin initiatique : le second inclut le premier. "L'appel du maître" n'est pas simplement l'expression d'une aspiration à l'expérience mystique. Il correspond au désir profond d'être guidé sur la voie d'une transformation. Cette transformation conduit l'homme, lorsqu'il accède à cette percée de l'être dans l'absolu, à témoigner du divin dans le monde, à manifester le divin dans son incarnation terrestre. La condition : percevoir le monde in Christo et aimer l'autre in Christo - et cela s'accomplit tout naturellement dans la vie d'un homme qui mûrit à la lumière de la vérité de son être essentiel et s'enracine en lui. » (L'appel du maître, p. 96)

(…)

De nombreux religieux et prêtres catholiques ont rendu visite à Graf Dürckheim et à Maria Hippius à Rütte afin de vivre un renouveau dans leur vie spirituelle. (…)

Voici par exemple la confession d'un moine bénédictin très âgé. Après une longue pratique de la méditation suivant les directives des autorités spirituelles de son ordre, il exprime ce qu'il a appris en la matière de Graf Dürckheim, de « cet homme du monde » :

« Durant plusieurs décennies, je me suis donné beaucoup de peine sans parvenir au moindre résultat. Grâce à vos instructions, j'ai ressenti ... que la méditation n'est pas quelque chose qui s'acquiert, que l'on peut obtenir, faire ou saisir par une discipline méthodique (comme celle d'Ignace de Loyola). C'est plutôt quelque chose qui nous est offert. Un peu comme "l'expérience de la tour" que Martin Luther met en évidence pour justifier l'origine de la Réforme. Dans cette expérience, Luther, se référant à l'Épître aux Romains, découvre que la libération de la culpabilité représente une percée décisive pour le chrétien en chemin vers Dieu : ce n'est pas le fruit de ses efforts, de sa bonne conduite ou de ses bonnes actions ... C'est vraiment ce que j'ai ressenti grâce à vos instructions : la méditation est un processus éminemment intérieur. Ce n'est pas le fruit d'une méthode, ni le résultat d'efforts ou de contraintes. Il faut simplement faire silence et s'ouvrir à l'essentiel, comme le dit merveilleusement Gerhard Tersteegen dans son chant Dieu est présent :

... Tout comme les tendres fleurs

qui s'ouvrent naturellement

pour accueillir la lumière du soleil

Laisse-moi accueillir ta lumière dans la paix et la joie

afin que Tu agisses en moi[1]. »

(…)

Graf Dürckheim eut plusieurs fois l'opportunité de présenter son travail et ses idées dans la revue Geist und Leben, notamment dans un autre article intitulé « La pratique de l'exercice : une grâce. » Son exposé met l'accent sur la méthode de la thérapie initiatique :

« Pour l'homme ordinaire, la grâce est un cadeau qui vient du Dieu-extérieur. Pour l'homme initiatique, il lui vient du Dieu-intérieur qui s'éveille à la conscience, de l'être essentiel présent en lui-même et inhérent à toute réalité objective du monde. Pour l'homme ordinaire, l'exercice se limite à des effets physiques, psychiques ou moraux : ils répondent au désir et à la volonté du moi existentiel qui jamais n'accède à la grâce divine. Pour l'homme initiatique, la pratique de l'exercice revêt un tout autre sens : il s'agit de devenir conscient de la grâce innée présente en son être essentiel et de lui demeurer fidèle. En matière d'exercice et de grâce, l'homme initiatique n'oppose plus ce qui lui est offert et ce qu'il fait. Il distingue, d'une part, ce dont il est inconscient dans ce qui émane de l'être essentiel et, d'autre part, ce dont il peut devenir conscient par la pratique de certains exercices : c'est-à-dire ce qui le rend fidèle au principe de vie et favorise l'accomplissement de la personne. »

(…)

Outre Graf Dürckheim, on rencontre une foule de gens de toutes confessions - et même issus d'autres traditions spirituelles - qui ont trouvé par le biais du « chemin initiatique » une nouvelle ouverture sur la vie chrétienne. Une parole appelle son contraire : c'est dans la nature des choses, d'autant plus en matière d'expérience et d'épreuve. Quand il est question pour l'individu de trouver son chemin en toute liberté, quand il s'agit de s'engager sur la voie du retournement (métanoia), d'opérer une profonde transformation et d'avancer sur le chemin du Christ intérieur, peu importe finalement que l'on parle de «chemin» ou de « travail d'avant-garde» : la carte n'est pas le territoire.

On citera pour terminer une parole que Dürckheim a prononcée à la fin de sa vie, à l'occasion de l'un de ses derniers entretiens télévisés. Il s'agissait sans doute pour lui d'une conception toute nouvelle :

« On ne peut pas réellement chercher le Christ intérieur, on doit surtout se laisser trouver : en fait nous sommes cherchés ! »

 

 

[1] Lettre d'un moine bénédictin allemand à Graf Dürckheim.

 

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