Chant de la rue, maître HAKUIN
« L'existence de Hakuin nous offre l'exemple d'une recherche remarquable en vue d'un éveil authentique et complet. Le domaine de liberté auquel il a fini par s'ouvrir se retrouve dans la diversité de son inspiration. Il a peint des dieux, des démons, des moines et des acrobates, des animaux et des ustensiles domestiques. Il a calligraphié de sévères avertissements, il a cité les écritures, il a composé des poèmes absurdes et émaillés le tout de plaisanteries. Fraîcheur, originalité, liberté : ces qualités caractérisent l'art de Hakuin et on peut dire aussi qu'elles caractérisent la perspective zen. »
Ce qui précède est un extrait du 4e de couverture du livre Rien qu'un sac de peau - Le Zen et l'art de Hakuin publié chez Albin Michel en 1987 sous la direction de Kazuaki Tanahashi, traduit en français par Evelyne Smedt et Vincent Bardet
Le monastère du Ryutaku-ji auquel le Centre Assise est lié a été créé par Hakuin. D'autres textes de Hakuin figurent sur le blog
- HAKUIN ZENJI ZAZEN WASAN Le chant de Maître Hakuin à la louange de Zazen ;
- L'éveil d'Hakuin raconté par Hakuin, par Eizan Rôshi, par Christiane Singer ;
- La méthode de l'introspection. Début d'une lettre écrite par Hakuin et publiée dans l'Orategama .
"Chant de la rue" est le dernier texte de Rien qu'un sac de peau, p. 134-137.
Chant de la rue
Maître Hakuin
Allons-y. Allons-y. Allons-y maintenant. D'accord on y va.
C'est une occupation unique, je ne vous le dirai pas deux fois.
Mais par Bouddha, je vous en prie – écoutez donc !
Ce que l'on appelle "esprit", ce que chacun possède, n'a ni yeux, ni nez, ni mains, ni pieds.
Mais je vous le dis, cet esprit est un type complètement libre.
Peut-être n'est-il pas nécessaire de vous le présenter, mais croyez-vous vraiment que vous allez vivre dans ce monde durant des milliers et des milliers d'années ?
Avant même que vous vous en rendiez compte le messager de l'impermanence sera là.
Prenez garde !
Ce sera comme au moment de payer la facture, et vous vous agiterez confus et affairé.
Bien que vous voyiez souvent emmener des cadavres, vous croyez encore qu'une personne qui a de l'argent est réellement quelqu'un. C'est une erreur.
Vil mercenaire ! Depuis le sommet de votre tête jusqu'aux extrémités de vos orteils, vous n'oubliez jamais votre intérêt – debout ou assis – tout le temps !
Vous avez eu la chance de venir dans le monde humain – une rare réalisation.
En outre, une foule de nobles saints ont profondément enseigné les grands sentiers des cinq vertus cardinales et les relations sociales – signalant le bien et le mal, le vrai et le faux.
C'est épouvantable !
Depuis des temps très très anciens, même avant que le monde soit fait, jusqu'au jour de ce mois de cette année, un nombre incommensurable d'années se sont écoulées…
Tandis qu'ils ne décroissaient ni ne croissaient d'un pouce, les dieux et les bouddhas furent plus vénérés et adorés par le peuple.
Leur pouvoir brille même plus lorsque le monde est en train de s'écrouler.
Je pense, je pense réellement que ce sont des gens formidables.
Hé ! vous, si vous pouvez compter les racines de vos tendances erronées et réveiller votre esprit, ne serait-ce qu'un peu, pour rechercher un éveil pur et droit, vous avez de la chance, car les dieux et les bouddhas aiment ça.
Efforcez-y-vous sans relâche !
Vous vous vantez sans cesse :
« Je ne fais jamais de mauvaises choses, je ne tue pas, je ne mets pas le feu ou ne vole pas.
Aussi pourquoi dois-je entendre ces paroles oiseuses au sujet de la mort, de l'enfer, des démons bleus, des démons rouges et des démons à pois ? »
Puis vous couvrez vos yeux et dites :
« L'innocent, l'individu ordinaire, la personne qui n'est rien de particulier est une noble chose. »
Ainsi vous continuez à manger vos trois bols de riz à chaque repas et à jacasser comme un perroquet ou un singe au nez rouge.
Vous ne rêvez même pas de détails et de faits exacts.
Théories, ego… vous parlez seulement avec des mots sans même savoir quoi est quoi.
Même si vous arrivez à la solution, c'est sans effet si vous continuez à faire n'importe quoi.
En face des gens malades qui refusaient leurs médicaments, des docteurs légendaires comme Bianque et Jivaka jetaient leur cuillère et leur tiraient les cheveux.
De la même manière, le Bouddha ne peut éveiller les êtres sensibles sans leur coopération.
Le bouddha appelait ces gens-là "icchantika" et n'arrêtait pas de répéter cela.
Qui sont les icchantika[1] ?
Si vous me le demandez, je vous dirai : icchantika n'est rien d'autre que vous, celui qui se demande ce que c'est.
Ceci est important – un plus grand trésor que la bouilloire à thé dorée transmise à travers dix générations.
Mais vous le prenez à la légère, et essayez une théorie et puis l'autre, faisant un grand tapage.
Cela sera complètement inutile au moment de la grande affaire.
Ce que j'appelle la grande affaire est juste ce que j'ai dit auparavant : lorsqu'un envoyé du royaume des morts vient vous voir, vous pouvez toujours essayer une de vos théories.
C'est alors qu'il vous la coupera tout net.
Lorsque votre temps sera révolu il vous dira : « Le roi Yama te fait un petit clin d'œil », et vous entraînera.
Les amis, ceci est une fâcheuse condition.
Du début à la fin vous vous débattez et paniquez. Si vous en êtes là, la prochaine vie ne risque guère d'être meilleure.
Les dieux et les bouddhas pensent : « Quelle honte ! J'aimerais bien pouvoir les aider d'une manière ou d'une autre », et ils versent des larmes ; mais vous ne pouvez pas échapper aux erreurs que vous avez commises.
Puisque c'est ainsi, mes amis, ne soyez pas insouciants.
[1] Note ajoutée. « Personnes à l’incroyance incorrigible qui n’aspirent pas à l’illumination et ne peuvent donc envisager d’atteindre la bouddhéité. Beaucoup de sūtras disent que les icchantika sont intrinsèquement incapables d’atteindre la bouddhéité, mais certains sūtras du Mahayana affirment au contraire qu’ils peuvent eux aussi devenir bouddha. C’est le cas du Sūtra du Lotus, où le bouddha Shakyamuni dit : « À l’origine, j’ai fait un vœu, dans l’espoir de rendre toutes personnes égales à moi-même, sans aucune distinction entre nous. Ce que je souhaitais depuis si longtemps est maintenant accompli. » Dans ce Sūtra, il est dit que Devadatta, qui symbolise les icchantika, pourra à coup sûr devenir bouddha. » (https://www.nichirenlibrary.org/fr/wnd-1/Glossary/I)